loser | kit

Les doutes, incertitudes légères qui vont et viennent pour s'inscrire contre l'encéphale. Son appartement ? Oui, il lui semble bien loin en l'instant. Mais tout est éparpillé dans l'esprit, aux places qui ne devraient pas leur être destinées. Il a soupiré cet air toxique, empoisonné des effluves qui s'y sont amassées. Il a trop bu, Phoenix. Il a trop calciné la trachée avec cet arrêt soudain qu'il s'était forcé à honorer ; en vain, les habitudes restent et lui ne fait qu'un peu plus y céder. Sans réellement qu'elles n'aient à forcer ; il est lâche et malléable quand l'alcool s'immisce contre les veines assoiffées. À parfois s'y perdre avant que tout n'ait à le relever. La voix qui résonne, ce timbre qui vient frapper contre la conscience pour qu'elle n'ait pas à se briser. Non, l'occasion qu'on ne lui donne pas de s'enfermer dans cette voiture pour cuver. Non, il ne tient pas à le voir s'y enfoncer, à la merci de ceux qui pourraient risquer de l'approcher. Il a soupiré, la moue qui s'est tirée en cet air de défi qu'il a su ne pas prononcer. Try me. Mais le reste condamne cette audace qu'il aurait pu oser – un hôtel. Un haussement d'épaules, lui qui se pli à cette volonté exigée. Un hôtel, pourquoi pas. Ou chez lui, qu'importe. Qu'importe tant qu'il n'a pas à s'étouffer dans un recoin de rue comme il a d'ores et déjà pu l'expérimenter. Qu'importe, finalement, à partir du moment où cet excès ne mène pas à la fin de cette seconde chance qu'on lui a concédé. Il y réfléchit, Phoenix. Penché en avant, accoudé où il le peut ; cet air songeur qui dénote clairement avec la prestance affaissée et le joug des liqueurs sur les pupilles dilatées. « But ! These are discussions for the end of the night… right… Is it the end of the night ? Do you want to go ? » Les questions auxquelles il n'a nulle réponse. Sait-il encore s'exprimer ? Le doute, encore. Ce foutu doute qui ronge les entrailles, qui l'amène à boire davantage du verre qui lui avait été confié dans l'espoir d'y retrouver cette voix éteinte et égarée.

Parce qu'on aurait pu lui voler cette dernière, qui sait.
Parce qu'ils sont nombreux, les voleurs, à fouler ce genre de chemins à la nuit tombée.

Une légère toux, abruti qui vient de boire de travers. Quelques excuses avant de s'en redresser. Là, la volonté qui s'est enfin désignée. Elle s'est avancée pour pouvoir offrir quelques syllabes à donner. « We're going to your place. » Comme une affirmation, un ordre maigre et embrumé de tout ce qui mâche les mots sans qu'il ne puisse y parer. Anesthésié qu'il est, Ledger, par tout ce qui corrompt les sens ; l'infection bien avancée. « We can finish the night there. » La fin qui résonne comme une supposition – lui qui se fait d'abord assuré pour enfin se perdre un peu dans tout ce que l'esprit pourrait avoir à envisager. « But... you lead the way ! » La voix qui éclate, qui retrouve pleinement cette force qu'elle a toujours possédé. Il s'est redressé, non sans tituber. Une main qui s'accroche sur l'épaule de cet allié et ami tout trouvé. Une main fermement ancrée sur cette dernière quand le verre, le dernier, est vidé en quelques gorgées enchaînées. Oh, il lui faudra un temps infini pour s'en remettre quand l'aube viendra offrir ses lueurs salvatrices sur la ville désolée. « No, wait. If it's too far, we can find a hotel. I'm sure there is one around. » Mais il s'avance déjà, Phoenix. Il le sommait d'attendre, mais lui rejoint d'ores et déjà cette entrée pour s'engouffrer en plein dans la vivacité d'un air bien frais.       

Not far. Mais tout lui semble si loin en l'instant. Il a l'impression que les failles du monde s'ouvrent, se creusent à chaque pas qu'il orchestre sur la ligne suivie, sur les sentiers que déblaie celui qui se tient à ses côtés. Pourtant, il a laissé faire – il a suivi. Nulle âme qui vive entre les murs qu'ils ont à rejoindre ; non, il n'ira pas s'en plaindre. Le souffle s'apaise, les esprits parviennent à batailler. Il s'abreuve à l'air frais, il s'enivre à ces brises légères qui caressent la peau trop chaude, presque prête à se calciner. Et il contemple les alentours, pendant sa marche. Il essaie de s'y retrouver avant que l'attention ne soit rappelée – aussitôt posée sur la devanture devant laquelle ils se sont arrêtés. Il acquiesce, lève les bras dans la foulée comme pour un peu plus appuyée cette victoire qu'ils sont en mesure de pouvoir célébrer. Ils l'ont fait ; ils sont parvenus jusqu'à ces lieux, cette sérénité méritée. Hymne de la victoire qu'il sifflote jusqu'à pouvoir s'inviter dans ce séjour révélé. Un rire qu'il laisse lui échapper, comme une impression de déjà-vu dans les prunelles de celui qu'il a suivi jusqu'en cet univers décalé. Là, c'est au fond de ces orbes qu'il croit avoir d'ores et déjà aperçu cet univers décalé. Brève, la courbe. Bien installée mais loin d'être moqueuse, plutôt sereine en vérité. Oh, il est si rare désormais ce sentiment qui parvient en l'instant à l'envelopper. L'invitation à boire qu'il ne peut refuser, la main qu'il a déjà levé pour implorer que lui soit donné ce nouveau poison mais l'attention, oh l'attention dévie et dérive. Petit animal vers lequel il se dirige déjà – les caresses qu'il distille aussitôt puisque admiratif, captivé par cette petite vie à portée. « Oh man... I dunno. Beer. » Pour commencer. Pour recommencer en vérité – nouveau round qu'il engage rien qu'en ces syllabes prononcées. « Beer and... fuck, whatever you can have, I don't care. » Parce qu'il est charmé, Phoenix, par cette présence que les prunelles persistent à admirer. Non, il n'en a jamais réellement approché – même dans le sanctuaire de cet ami dans lequel il s'était réfugié l'hiver dernier, ces créatures là n'avaient pas été monnaie courante aux soins qu'il pouvait prodigué. « What's the name of this beauty ? » Magnificence, à n'en pas douter – plus encore dans cet état dans lequel il s'est retrouvé. À demi-conscient, à demi-envolé. Les ailes déployées qui s'apprêtent à tout balayer pour lui offrir à nouveau cet univers dont on l'avait arraché. « It's just... so fucking fluffly, I'm in love with it. » Le rire qui trahit cette nouvelle fascination – comme un gamin, Phoenix, devant l'improbable qu'on lui aurait pourtant présenté. Enfant, il l'est – l'a toujours été. L'esprit qui a dû s'acclimater à la déchéance et à l'abandon trop vite pour pouvoir profiter des petites joies qu'il aurait dû expérimenter. « Can I take it ? I mean... do he bite or something ? »        

Eugene. Le nom qui s'ancrera dans cet esprit tremblant et embué. Eugene, et le sourire ne s'est pas affaissé. Il tient sa place, les caresses qu'il y distillait. Il en a oublié un instant les lieux, ces alentours qu'il n'a pas encore pleinement exploré. Obnubilé, l'idiot, captivé par la petite chose puisque l'attention ne parvient plus à trop aller et venir, enivrée. Ce n'est que lorsqu'il lui revient que la conscience s'éveille un peu plus, lui qui se laisse prendre au jeu de la petite chose qui débute son ascension. Il laisse faire, Phoenix, branche qu'il accepte de devenir puisqu'il est pris d'une certaine et étrange passion. Et s'il s'est laissé prendre au piège charmeur du petit animal, les prunelles se sont instinctivement déposées sur ce qui fut ramené. Là, le poison sur lequel il lorgne puisque tous les démons l'incitent à s'y risquer. Rien qu'un soir, rien que quelques heures d'insouciance où rien ne pourrait lui arriver. Il est prompt à se laisser entraîner, Ledger, dans cette ancienne euphorie qui, un jour, l'avait si bien caractérisé. Magnifique tentation à laquelle il n'a fait qu'acquiescer, lui qui a offert cette sublime brume sur les songes d'ores et déjà emmêlés. Un souffle, rien qu'un soupir pour finalement s'en emparer. Les phalanges qui fouillent les poches dans la foulée pour s'approprier la prison de cette flamme nécessité. La question qui s'élève et qui, néanmoins, force le sourire à lui revenir. L'image du chien qu'il ne peut renier – cette présence qu'il a sauvé d'une solitude trop expérimentée. « Yeah. » Mais il l'avait déjà deviné ; sa réaction a probablement été un détail plus que suffisant pour l'anticiper. « I've a dog, his name's Fucker. » Sans honte pour ce sobriquet qu'il lui a donné. Sans honte puisque son univers a toujours été détraqué. Non, c'est même plutôt logique pour quelqu'un comme lui que de se risquer à ce genre de fantaisie pour cette présence qu'il s'est trouvé. « I left to Chicago for a few months, to my friend' shelter. He was there, waiting for someone to take him but... he's five already, all of those assholes wants puppy, not a adult. » Un haussement d'épaules, haine qu'il peut posséder à l'égard de ceux qui veulent jouer à la famille parfaite avec ces petites bêtes avant d'avoir à les abandonner, l'euphorie passée. Il chasse cette réalité de sa tête, s'en remet à cette compagnie pour le rejoindre sur le canapé – pour pleinement s'y laisser couler. « I wanted him to have a good life so... here we are. » Les bras qu'il a écarté, la bouteille récupérée, la fumée qu'il laisse enfin s'élever pour encrasser les poumons qui se pensaient certainement sauvés. « You don't like animals, don't you ? » Les prunelles qu'il a croisé, cette espèce de réticence qu'il parvient à noter – à moins qu'il ne soit en train de l'imaginer. Le doute possible, permis en vérité. Les effluves qui traînent encore, qui s'amusent à torturer l'âme de cette aliénation passée mais, enfin, retrouvée.        

Il essaie de comprendre, il essaie d'imaginer – une vie sans ces présences, sans tout ce qu'il parvient à y trouver. Cette espèce d'improbable sérénité que ces créatures sont à même de lui donner. Non, il ne se voit pas continuer sans cette affection toujours à portée, sans ce rôle qu'inconsciemment il se doit d'honorer. S'occuper d'une bestiole qui n'a rien demandé si ce n'est un peu d'amour pour ne pas soi-même s'oublier ; une pensée en partie égoïste mais réelle. En partie, il s'oublierait volontiers pour que ce chien évoqué puisse avoir le nécessaire afin de perdurer. Il sacrifierait bien de ses plaisirs pour son confort, c'est un fait. « Well, I don’t like pets. » Réponse qu'il accepte, qu'il ne contestera pas. À chacun sa manière de vivre, à chacun ses ambitions et ses appréciations. « Love animals, as long as they’re in the wild living their best lives, far away from me. » Brève courbe inscrite sur les lèvres, poison auquel il s'en remet à son tour – Phoenix, transformé en point de chaleur approprié pour celui qu'il n'a pas cessé de caresser. La main qui y reste aimantée, qui continue son manège sur le pelage à sa portée. Charmé, envoûté, il ne parviendra probablement pas à s'en défaire avant que les lieux ne soient à quitter. Plus tard, quand les esprits seront retrouvés, quand les effluves embrumées ne cacheront plus l'horizon auquel il se repérait. Néanmoins, l'argument qui suit parvient à le faire réfléchir. Il n'y a pas songé, Ledger, à cet avenir qui pourrait avoir à le briser – la perte de ce chien qu'il s'est approprié. Il secoue la tête, il essaie de chasser cette vérité qui menace pour les jours à venir, les mois, les quelques années qui ont encore à s'écouler. Non, il ne veut pas y penser. Il ne fait que hausser les épaules, celui-là, continuant sur sa lancée ; ravivant l'intoxication interne aux bouffées de fumée qui flirtent avec les lèvres qui continuent de s'y risquer. Les poumons tremblent – d'appréhension et d'envie, il faut l'avouer. Bref silence, comme un instant suspendu dans cette drôle d'éternité. Un silence finalement brisé, les prunelles qui s'attardent sur ce qui lui est tendu avant que la mémoire ne parvienne à rappeler les derniers événements que celui-là désigne dans la foulée. « Yeah, right. » Tout, il lui délaisse tout ce qu'il possède. Numéro et compte réclamé ; tous ces moyens de pouvoir le contacter quand le pari sera à honorer. Oh, il lui laissera le temps de s'approprier les vêtements à son effigie mais il saura lui rappeler, il saura faire en sorte qu'il n'ait pas à oublier. « You've no idea... I can't wait to see that. » Un rire qu'il laisse lui échapper avant que le téléphone ne soit rendu, avant que ces liens précieux ne lui soient donnés. « Don't forget, I need to see everything and maybe... one day... I'm gonna post one to insta, just for fun. » Déjà prêt à répliquer, Phoenix, s'il lui fait entendre que ce n'était pas dans le marché conclu. Déjà prêt à argumenter, celui-là, songeant qu'il pourrait très bien porter ces choses rien que le temps d'une photo sans l'honorer pour la journée entière. Qui sait, il s'en méfie - pourquoi ? Parce que lui l'aurait fait.