Keira Thompson & Lorcan O'Connell

4AM. Téléphone étampé contre l'oreille.

Première sonnerie. Verre encore plein d'la veille balancé à travers la pièce. Éclat de verre qui se répand sur la moquette.

Deuxième sonnerie. Allez-retours incessants entre la fenêtre et le laptop, posé sur la table, refermé brusquemment pour ne plus en voir la page Web. Que dis-tu. Les pages web. « Mais réponds! »

Troisième sonnerie. Main cognée contre le gyspe à en faire trembler les fondations de la maisonnée. Front doucement plaqué près du cratère, yeux clos, soupir fumant de frustration. Bien sûr qu'il va pas te répondre après ce coup foireux qu'il t'a fait. T'es sur le point de raccrocher et passer au plan B, ni plus ni moins que retrouver son adresse et flamber son quartier, qu'un déclic se fait miraculeusement entendre. Il a décroché. Bouffée de rage mal gérée.

« Tu t'crois malin hein? Ta saloperie n'a vraiment aucune limite. »

Vibration sur ta table de chevet. Vibration qui se mélange à ton rêve, toi qui viens tout juste de trouver le sommeil dans les bras réconfortants de Morphée. T'as bu en rentrant du bar, t'as laissé ta solitude se transformer en spleen que t'as désespérément cherché à anesthésier. Le whisky coule encore dans tes veines, un jour tu manqueras peut-être de te réveiller. Nouvelle vibration qui te tire de l'inconscience. Who the fuck. Plongé dans l'obscurité derrière des rideaux opaques, t'attrapes ton téléphone. Ou du moins, t'essayes, manquant plusieurs fois de le faire tomber par terre. « Allo ? » Machinalement porté à ton oreille, t'as manqué de regarder le nom affiché sur l'écran. Et t'aurais dû. Le son strident de sa voix termine de te réveiller, bien que la tienne soit rocailleuse et tes yeux encore à moitié fermés. « Je te manque déjà ? » Oh, t'as bien compris qu'elle était énervée. Très énervée. Mais tu comprends absolument pas de quoi elle parle. Qu'est-ce qu'elle te reproche maintenant, l'hystérique ? « De quelle saloperie on parle au juste ? J'en ai fait beaucoup, va falloir que tu sois plus précise. » Jouer la carte de la provocation n'est certainement pas une bonne idée, mais bordel, t'étais en train de dormir et cette enfoirée vient te prendre la tête avec tu ne sais quelles conneries, encore !

Cette voix, elle t'est tout simplement insupportable, d'autant plus lorsqu'il feinte honteusement l'ignorance. Haïssable croassement, désagréable bourdonnement dans ton oreille qui te donne envie de condamner ton portable au même sort que ton fond de whiskey qui imbibe désormais le tapis. Tu t'arrêtes sur place au beau milieu du salon, les lèvres entre-ouvertes, bouche-bée, outrée. L'audace qu'il faut pour prétendre ne pas savoir à quoi tu fais allusion alors qu'il a parfaitement conscience de ce qui te pousse à l'hystérie. « Te fous pas d'ma gueule O'Connell! » Ce sont les seuls mots que tu réussis à bafouiller, la langue vipérine, la voix désaccordée par un mélange de frustration et de contrariété porté à ébullition. Tu lèves le bras vers ton laptop d'un geste désignateur, comme s'il épiait avec hilarité ta réaction excessive à ce qu'il qualifie probablement d'une simple blague de mauvais bon goût. « Comment tu pourrais ne pas l'savoir! C'est le nouveau buzz du site. Que dis-je, DES sites! Me fais pas croire que t'as aucune idée de ce dont j'te parle! Le fait que t'aies été trop bourré pour t'en rappeler, c'pas mon problème.... En fait si, c'est exactement ça la merde! »

Pire. Réveil. Du monde. Tourné sur le dos dans ton lit, tu fixes le plafond d'un air totalement désespéré. Si au moins tu comprenais ce qu'elle te reprochait tu pourrais peut-être mettre un terme rapidement à ses gloussements stridents. Mais dans la plus grande sincérité du monde, t'en as aucune foutue idée. Aie aie aie. Quand on t'appelle O'Connell, c'est jamais bon signe. Ta connerie doit être titanesque, dommage que tu ne t'en souviennes même pas. « Respire, Thompson. » Tu jettes de l'huile sur le feu, maintenant que t'es réveillé, autant la taquiner un peu. Des cris, toujours plus de cris – un peu ta faute – et ton incompréhension qui se creuse. Le nouveau buzz des sites ? Les indices sont minces, mais tu laisses tout de même un blanc pour essayer de rassembler toutes les pièces du puzzle dans ton esprit encore embrouillé. « Je ne parlerai pas sans la présence de mon avocat. » Elle ne va sans doute pas apprécier ta blague à sa juste valeur. « Non mais sérieusement, de quoi tu parles ? Je peux avoir un lien ? » Question presque innocente. Presque, parce que tu crois commencer à entrevoir ce qui est en train de se passer. Elle t'accuse d'avoir fait quelque chose quand t'étais bourré, quelque chose de nuisible pour son image et qui peut se diffuser sur plusieurs sites. Est-ce que … ? Naaaaan, quand même pas. Mais peut-être que si ?

Son impudence n’a donc véritablement aucune limite. Tu mords inconfortablement ta lèvre inférieure, sans égard pour la douleur, à presque en laisser les traces de tes plaquettes porcelaine. Tu retiens un juron. Puis une insulte. Puis un autre juron. Le langage cru se fait insistant, tentant, il te tiraille l’intérieur pour te remonter à la gorge nouée, goulot d’étranglement qui empêche la haine de s’échapper de ta bouche tordue en une grimace scandalisée. Respire? Respire! Est-ce qu’il ose vraiment? Tu te diriges tel un terminator déchaîné vers l’ordinateur pour en relever l’écran. « Respire?! » T’as pas rêvé, cette putain de vidéo est bien en ligne. Elle est devant toi, en pause, l’image figée sur ta personne dans une position plutôt incriminante. Nouvelle vague d’injures que tu retiens difficilement les lèvres désormais pincées. « Le lien… T’aimerais un live tant qu’à y être? Joue pas à ce jeu avec moi. C’est quoi, ta vengeance personnelle pour hier soir? T’étais choqué d’pas avoir toute mon attention? Dis, combien de fois tu l’as visionnée mh? Non, non, tu sais quoi, ne réponds surtout pas. Crois-moi, c’est pas d’un avocat dont t’auras besoin, c’est d’une équipe médicale complète! »

Ahahah. Que c'est difficile de te retenir d'éclater de rire, si bien que tu laisses malgré tout quelques soubresauts étouffés s'échapper de ta gorge. Une sextape. Elle est en train de te parler d'une sextape. « Je crois qu'on appelle ça le karma. » Quoi ? C'est pas parce que t'es pas responsable que t'as pas le droit de profiter de la situation. Elle est désemparée, hystérique, totalement achevée par ce coup du sort, et quelle satisfaction de l'entendre jacasser à l'autre bout du fil en sachant que t'es même pas le coupable dans l'histoire. Sourire scotché à la superglue aux lèvres, tu te redresses dans ton lit pour te mettre assis, et t'attrapes le verre sur ta table de chevet pour vider d'une traite le fond de whisky restant. « Crois-moi, j'aurais aimé être à l'origine de ton désespoir Thompson, mais c'est pas moi. Pour une fois, j'y suis pour rien. » Difficile de prôner ta vérité avec les circonstances de la soirée. T'as effectivement récupéré son téléphone portable, mais promis juré craché, t'as pas fouillé dedans. Pourquoi ? T'en sais rien, mais tu l'as juste pas fait. Et puis, quelle idée aussi de laisser du porno amateur traîner dans sa galerie de téléphone, c'est donner le bâton pour se faire battre. « Faut croire que je suis pas le seul qui peut pas te voir en peinture. Alors, qui t'as énervé au point de voir ton cul finir sur la toile ? T'as fâché quelle ex ? » Sérieusement, aucune chance que tu sois le seul sur cette foutue planète à vouloir la remettre à sa place. Cette fille a, avec certitude, plus d'ennemis que d'amis. « Arrête d'être obsédée par moi, ça t'empêche de réfléchir correctement. » Est-ce que t'es en train d'allumer ton ordinateur pour chercher la vidéo en même temps ? Absolument. Bruit de Windows au démarrage. Ah, oups, grillé. « Pornhub ? Xhamster ? Xvidéos ? Tous ? » Ahahaha. Ahahaha pour le restant de ta nuit, assurément.

« J'emmerde le karma autant que je t'emmerde! » C'est pas le karma qui va se charger de son cas ce matin. « Bon sang, c'que j'te ferais si t'étais là, au beau milieu du salon avec moi. » T'es vachement tentée de prendre la porte et filer direct pour défoncer la sienne, mais avec le péricarde qui cogne plus fort que ton - quoi? - quatrième verre de whiskey suivant ton réveil turbulent, t'hésites fortement, bien que défintivement pas assez, à prendre le guidon. T'as déjà ta vie profesionnelle bonne pour la casse, inutile d'y envoyer la moto en bonus collatéral. S'il pouvait à tout le moins assumer sa connerie monumentale, qu'on en finisse. « Foutaises que t'y es pour rien! La putain de vidéo, y'a que moi qui l'ai d'enregistrée sur mon portable, portable que t'avais en main encore hier. Que t'as réussi à ouvrir. Et que t'as visiblement fouillé de fond en comble! J'veux bien que tu sois un p'tit con, mais de là à franchir ce cap! Qui d'autre aurait pu, non, qui d'autre aurait voulu, aller jusqu'à poster le tape de mon... » Silence. Long et douloureux silence. Tu fixes la deuxième tête à l'écran, chevelure blonde qui retombe sur un dos que t'as griffé nuits et nuits encore les derniers mois durant. «...T'as trouvé mon cell au bar... Clairement, ça peut être que toi... c'est toi qui... Tu... Fuck.» Parce qu'évidemment, la réponse est là, devant toi, presque sur le point de te sauter à la trogne. O'Connell, il est un paquet de trucs, sauf que menteur, là maintenant, ne figure pas sur la liste des insultes que tu serais en droit de lui balancer. Et il a visé droit dans l'mille. « Ct'enfoirée... Okay, écoute, oublie c'que je t'ai dit, j'ai un truc à fai-...Est-ce que t'es en train de chercher sur ton laptop?! » Affirmative. For Christ's sake! « No way. T'oserais pas. »

Ouais, son raisonnement fait du sens, sauf qu'elle a complètement tort. T'as certes eu son téléphone entre les mains, mais t'en as strictement rien fait, si ce n'est y laisser un message pour lui faire comprendre qu'en bon samaritain, t'as fait en sorte qu'elle le récupère rapidement. Mais maintenant que t'apprends ce que contenais ce foutu portable, t'es dégoûté de pas avoir joué le connard jusqu'au bout. Pour une fois. « Thompson, c'est pas moi. » Tu lui le répètes encore, avec le plus de sincérité possible, pour dissiper son ultime doute. Dans le revenge porn, généalement, faut regarder du côté de l'ancien partenaire. Keira Thompson sextape. Évidemment, les mots-clés sont on ne peut plus évidents. N'importe qui pourrait retrouver la vidéo rapidement, toi y compris. La miniature ne montre rien d'explicite, mais t'as le doigt qui flirte avec le pavé tactile. T'as envie d'appuyer. T'as envie qu'elle t'entende regarder alors même qu'elle est à l'autre bout du fil, mais tu fais rien. Pour l'instant. « Moi ? J'oserais pas ? Tu me connais depuis le temps, non ? Tu crois vraiment que je me priverais de ça, Thompson ? En quel honneur ? » L'humiliation est au bout du doigt. Tu sais qu'elle serait véritablement écoeurée de savoir que tu l'as vue en plein ébats avec son ex, alors même qu'elle a deviné depuis longtemps l'attirance que tu éprouves pour sa plastique. « Tu sais quoi, je vais te laisser une chance. Dis-moi ce que tu me ferais si j'étais dans ton salon là maintenant, et si je trouve ça plus hot que la vidéo, je te promets que je la regarde pas. » Le deal est juste. Ce ne sont que des mots que tu lui demandes. N'importe qui avec un peu d'imagination pourrait s'en sortir avec les honneurs. Quelques mots pour s'épargner un sale coup à l'ego. Come on.

« Pardon? » Point d'interrogation qui n'en est pas vraiment un, plus un point d'exclamation déguisé qui lui laisse l'opportunité de reculer avant de s'exploser sur une mine. Ça devrait en aucun cas t'amuser, sa remarque déplacée qui n'est plus à ça près de frôler l'insolence. Dès la première rencontre, il a franchi des limites, passé sous le ruban à barricade Danger. Do not cross. Voyant, immanquable. Et maintenant, il gambade insoucieusement sur ce terrain hostile, toujours plus loin. Toujours plus suicidaire. « Je dois avoir mal compris. Tu répètes pour voir? » Non, ça devrait pas t'amuser du tout, au contraire, alors pourquoi... Conneries, ça t'amuse zéro. Tu fronces les sourcils, le regard outré qui transperce le clapet dans l'espoir que la flèche surgisse de son côté de l'écran. Tes ongles tapotent le chêne, cliquetis qui s'accélère, mauvais présage. Trahison, tes mots impatients s'échappent, sans même attendre de réponse, sans même que le cerveau en mesure la portée. « Toi tu m'as mal comprise en tout cas, semble-t-il. Tu t'attendais à ce que j'te fasse quoi dans mon salon, là maintenant? »

Elle a pas dit non. C'est plus la surprise que le dégoût que tu entends de l'autre côté du téléphone. Tiens donc. Tu laisses traîner un long silence, que tu teintes d'une ambiguïté subtile. Puis tu refermes l'ordinateur et fais en sorte qu'elle l'entende. Pour l'heure, la vidéo ne t'intéresse plus, pas alors que tu pourrais obtenir quelque chose en live. « Je crois que t'as parfaitement compris. Mais je vais te le répéter quand même. Ferme les yeux, et dis-moi ce que tu me ferais si j'étais dans ton salon. Tu sais ce que j'attends de toi, t'es une plaie mais loin d'être stupide. » Le jeu est fucked up, mais bon sang, il fait naître quelque chose de brûlant dans le creux de ta poitrine. Une source de chaleur qui descend plus bas. Toujours plus bas. « Tu veux vraiment que je te le dise ? » Le ton de ta voix a brusquement changé. Il y a ce ton rauque transformé par le désir qui raisonne jusque dans ta gorge. « Moi j'aime ça brusque. Contre les murs, comme tu le sais. Et toi ? J'ai pas encore regardé la vidéo, je préfère que tu me le dises par toi-même. T'aimes ça comment ? Et peut-être que je te dirais ce que j'attendrais que tu fasses si j'étais là. » Tu te rallonges sur le lit, tête sur l'oreiller bien calée, te laissant porter par le jeu, qui, tu l'espères, ne prendra pas fin trop vite. Est-ce qu'elle va se dégonfler ? Ou est-ce qu'elle va suivre tes penchants de dépravé insolent qui sont avec certitudes semblables aux siens ?

Souffle court, souffle lourd. La tension naissante s'allie en fourbe à l'apesanteur pour te contraindre à prendre inconsciemment appui contre le mobilier dans un moment d'hésitation déconcertante. Un autre. Encore. T'es pas croyante Keira, tu ne crains ni tourments de l'enfer ni douceurs lancinantes d'un paradis assomant, mais si dieu existe, si la tentation du démon porte un nom, elle porte assurément le sien. Lorcan. Homme de foi, incarnation du péché qui n'a rien d'un Saint lorsque ses lèvres s'animent pour caresser votre âme d'une luxure décadente dont les flammes purificatrices du Tout Puissant-même ne sauraient la sauver. « Comme j'le sais? Si ce que tu m'as montré c'est tout ce que t'as à donner, la déception doit être flagrante chez ces dames. » Référence nerveuse à votre première rencontre. Remarque acide qui, à défaut de la dissoudre, dissimule ta fébrilité tant à celui au bout du fil qu'à toi-même. Propos à double sens, double lame qui t'entaille la langue, laissant au passage un goût ferreux d'amertume. Quelle est cette frustration amorale qui relance l'assaut, menace d'assiéger ce corps parcouru d'un frisson? De quelles abîmes surgissent ces fantômes d'une main contre ta gorge, d'un souffle contre ta peau bafouée qui te caressent là où l'hérétique a laissé ses marques invisibles, indélibiles? Toi-même ne sais. Tes doigts ont cessé de résonner contre la table, torniturance étouffée, tic frustré figé en suspens pour mieux s'attarder sur ces paroles profanes. Il veut jouer. Et il joue bien. Avec tes nerfs surtout. Tu pourrais raccrocher, lui balancer la tonalité d'une ligne coupée en guise de réponse à cette tentative débauchée. Assumer qu'il te voit dans tes moments les plus intimes, découverte, sans facade ni muraille. Pensée insuppportable qui te lacère la fierté. Ou. Tu pourrais laisser tes démons danser. Passer un pacte avec ce diable arrogant qui n'a rien vu de ces contrées dépravées en lesquelles vous pourriez vous perdre. Se rappelle-t-il que courtiser l'envie, t'en es tout autant capable que lui? « Je fermerai pas les yeux. J'aime regarder. Et j'aime qu'on me regarde. Que tu me regardes. » Ton regard se porte presque instinctivement vers ton canapé, comme guidé par tes pensées fertiles, corrompues à la source, pureté souillée depuis bien longtemps déjà. Ça n'est qu'un jeu. Manipulation inoffensive sans être toutefois gratuite dont tu lui feras payer le coût au quintuple très vite. « Le contrôle, c'est ce qui me fait vibrer. Cambrer. J'aime ça froid, suppliant, agenouillant. Si t'étais ici, là maintenant, je voudrais juste que tu poses les yeux sur moi. Jamais les mains. Même si des miennes, je dessine les courbes de mon corps. Ou que je m'attarde sur les tiennes. Pas d'affection. Pas de tendresse, d'émotion. Seulement le pouvoir. » Le pouvoir, oui. Mais lorsqu'il se retrouve dans les mains d'autrui. Ça, le lui as-tu dit? Le lui donnerais-tu, à lui? Jamais.

Oh, si elle savait. Elle est si loin du compte que sa pique manque lamentablement la cible. Homme plein d'assurance, il t'en faut bien plus pour être offusqué par des attaques sous la ceinture. Tu te contentes de lui répondre d'un rire cassé par la fièvre. Le jeu érotique continue. Tu passes ta langue sur tes lèvres, comme si les humidifier allait faire baisser la température qui vient de faire exploser ton thermomètre interne. Que tu me regardes. Le frisson parcourt tout ton corps fébrile, tes doigts libres agrippent légèrement le drap. L'avantage, c'est que toi t'assumes pleinement l'attirance à en retourner la tête que tu lui portes, bien qu'elle n'ira pas jusqu'au bout, jamais rien de concret. C'est pas le but. Le but est tout autre. Mais pour une femme qui préfère épouser les formes féminines, elle se prête plutôt aisément au jeu. « Le pouvoir je le partage qu'avec moi-même. » C'est ferme, non discutable. Mais sa réponse est volontairement ambiguë, alors tu creuses, tu cherches la faille pour pouvoir infirmer ou confirmer ce que tu pensais être certitude à la fête foraine. Elle joue bien, tu lui accordes ça, mais voyons ce qu'elle va faire de ta prochaine main. « Alors tu pourrais t'allonger sur le sol, de préférence sur un tapis si t'en as un, parce que j'aime laisser des marques... J'aurais pas besoin d'utiliser mes mains, mais... t'as rien dit pour la langue. » Tu laisses un moment de silence pour que tes mots frappent, pour que l'imagination soit ta complice. « Et quand tu m'auras supplié suffisamment, peut-être que je céderais. » Dimanche, tu sais ce que tu vas aller confesser. Pas tes ébats avec des femmes dont tu as déjà oublié le nom, mais cet échange qui te ferait renoncer à Dieu pour trouver de l'aide auprès du Diable. T'as pas le droit de céder. T'as pas le droit d'en avoir autant envie. Alors pour ne pas craquer, tu lui vendrais ton âme. Seul échappatoire à ce piège qui se referme sur toi. « T'aimerais que je cède ? Je pourrais poser mes mains par terre et mener la danse avec froideur. Sans tendresse. Sans émotion. Et tu pourrais dessiner mes courbes, ou... tu pourrais regarder. » Tu ne parles pas que de tes yeux. En fait, tu parles pas du tout de tes yeux. « Et crois-moi, je ne raterais pas une seule étincelle dans ton regard. » C'est comme ça qu'elle aime que les choses se fassent ? Ou bien il se pourrait que finalement, malgré toute l'évidence palpable, vous soyez incompatibles dans le jeu du pouvoir ?

You know, it's true what they say about little boys:
Born with no natural inclination to share.

« Peut-être. Peut-être que j'aurais envie que tu me malmènes, que tu m'envires. M'assailles. Me prennes. Me condamnes. Je bouille peut-être à l'idée fantasque tu m'arraches impieusement le souffle rendu cette journée là. » Il sait très bien laquelle. Celle-là, celle à laquelle il pense sans doute depuis, celle qui t'effleure l'esprit la nuit. Douces terreurs nocturnes desquelles tu t'éveilles en sueur aux petites heures, ces impuretés incandescentes que l'alcool béni n'arrive plus à exorciser de ton être en mal. Un scénario que tu lui murmures et qui saura assurément le contenter dans sa quête d'une hantise à idolâtrer, nouvelle obsession qui détournerait son regard du ciel. En tout cas, c'est pas à prier qu'il occupera ses mains quand t'en auras fini.

« Ou peut-être qu'au contraire, toi qui n'aimes pas courber l'échine, tu te retrouverais à désirer l'envers, l'inexploré, l'indécente possibilité que j'aie le dessus. C'est à ça que je voudrais t'entendre céder. À l'envie que ce soit mon bassin qui serpente contre le tien, que ce soit ma fièvre inextinguible qui mène le bal. Tu pourrais t'en prendre au tapis si ça en devenait invivable, tant que tes empreintes ne s'étampent jamais sur ma peau. » T'as pas encore quitté ton état de transe, ta paume libre désormais seul pilier qui t'évite de sombrer dans cette folie passagère. Tu clignes des yeux, secoue brièvement tes pensées confuses. Évidemment que tu ne fais qu'acter. Amusement éphèmere qui ne t'as point fait oublier l'urgence qui se propage tel un virus. Tu vas simplement lui donner ce qu'il demande, cette fois, sauf qu'à aucun moment tu ne t'y laisseras prendre. Ton corps se traîne jusqu'à l'armoire, saisit un verre que tu remplis à ras-bord. Est-ce que tu trembles?

« Peut-être que mon corps appelle le tien, qu'il est en manque depuis la foire. Peut-être que j'ai ce désir qui me dévore de découvrir si t'arriverais non seulement à garder tes mains pour toi lorsque ton nom s'échappera de ma gorge dans un supplice ardent. » Ton verre cogne sur le comptoir contre lequel tu t'adosses, les ongles qui remontent ta chevelure au balancement de ta tête. Yeux clos. Sourire diable. Sirène meurtrière, toi qui connaîs par coeur le chant du vice. Ses intonations. Ses gémissements. Véritable arme que tu utilises sans scrupule pour toujours obtenir ce que tu veux. « O'Connell please. »

Fuck. Cette fois c'est tes dents qui viennent à la rencontre de ta lèvre inférieure, la mordant, la déchirant presque dans un excès de bouillonnement concupiscent. Un sang en ébullition que tu t'efforces de ne pas voir converger en un seul point. Tu restes silencieux, bercé par sa voix lascive qui te conte monts et merveilles, berceuse graveleuse pour adulte qui te met dans tous tes états, mais certainement pas celui de dormir. T'es trop con. Tu veux qu'elle te supplie, que ses yeux transpire le désir, que ses mains soient incapables de s'écarter de ta peau, mais voilà que tu te mets à la vouloir plus ardemment que jamais. Une passe éphémère, c'est certain. La nuit renforce la lubricité, demain matin, il ne restera qu'un souvenir graveleux de vos échanges interdits. Tout comme ce souvenir de la fête foraine, pas vrai ? Fuck. T'espères qu'elle sait jouer de son bassin avec autant de dextérité que les mots qu'elle utilise pour te faire tourner la tête. T'as besoin de reprendre le dessus. Tu te laisses beaucoup trop aller à ces penchants masculins qui vous font tellement souvent défaut. L'adversaire est de taille, l'adversaire sait taper là où ça fait du bien. Ce jeu initié par toi-même est en train de prendre un tournant défavorable, tu ne lui laisseras pas tout ce pouvoir, alors tu décides de le reprendre. Maintenant. « Touche-toi. » Tu souffles ce qui se mélange à une demande et à une supplication, comme si t'étais épuisé d'un acte que tu n'exécutes avec ardeur que dans le coin de ta tête le plus obscène. « J'ai envie de t'entendre. » Non, ce n'est pas qu'une tentative pour asseoir la domination qui t'échappe. C'est une envie qui t'obsède depuis la foire, depuis que ta main a malmené sa gorge et que des semblants de grognements lascifs s'en sont échappés. Elle va refuser. Évidemment qu'elle va refuser. Elle joue bien, mais pas assez bien encore. Vous poussez toujours plus loin cette folie qui ne t'amènera qu'à finir la nuit sous une douche glacée pour faire redescendre ton excitation qui vient d'atteindre son paroxysme. Pour l'heure, t'es plus certain d'avoir autre chose que de la frustration à y gagner. « Et t'as raison, peut-être que j'aimerais te regarder te mouvoir lascivement sur mon bassin, prendre les rênes pour me rendre dingue, échapper mon prénom pour me faire complètement perdre pied. » Et tu sais déjà ce que tu lui dirais : « Continue. T'arrêtes pas, Keira. T'arrêtes surtout pas. » Dernière arme pour obtenir ce que tu veux. Keira, soupiré, presque gémit, alors que tu tentes de garder ta main chaste.
Si tu t'arrêtes Thompson, t'as perdu.