La face cachée de la lune

Il arrivait à Wesley de se retrouver dans des soirées où tous les excès étaient permis. C’était dans un évènement de ce genre qu’il avait couché avec Kit la première (et unique) fois et le revoir avait fait remonter des souvenirs à la surface. Restait-il dans cette ville un seul homme charmant célibataire ? Ou femme, d’ailleurs, le journaliste ne se fermait aucune porte simplement l’univers s’obstinait à lui envoyer des beaux gosses. Comment lutter ?

À la fois nostalgique et déprimé, Wesley s’était laissé entrainer par une connaissance dans une sorte de rave orgie en bordure de la ville. Il avait déjà pris du poppers et avait noué son t-shirt autour de sa tête pour une raison dont il ne se rappelait pas, un verre de mauvaise bière dans la main. C’est dans cet état qu’il percuta Milo.

Il eut besoin de quelques instants pour que deux neurones se reconnectent entre eux. Il ignorait l’appartenance de l’Italien à la Gorgone ou plutôt, il la soupçonnait mais avait appris, avec Sandro, à taire ses interrogations pour éviter les problèmes. Lorsqu’ils s’étaient rencontrés précédemment à des soirées, il s’agissait d’endroits bien plus calmes et ça le surprenait de le voir ici, surtout que dans son souvenir, il était catholique pratiquant et donc…

Et donc il y a des femmes aussi, ici, crétin, se morigéna-t-il.

— Euuuuuuuuuuuuuuuh au départ oui mais j’crois que j’l’ai perdu.

Il pouffa comme si c’était amusant et dans son cerveau rendu euphorique par la drogue, ça l’était. La dernière fois qu’il avait vu son pote, il embrassait une jolie rousse avec entrain et peut-être qu’ils se trouvaient dans la tente, désormais ? Wes s’apprêtait à aller voir quand il était rentré dans l’Italien. Et pas de la manière dont il aurait voulu lui rentrer dedans. Enfin… Non, ça, c’était le pop’ qui parlait.

— Bin et toi alors ? Tu t’es perdu aussi ? C'est la foire à la perte ce soir !

Vaguement, le journaliste se disait qu’il devrait peut-être se la jouer un peu moins exubérant. Même s’il soupçonnait Sandro de savoir qu’il était des deux bords, ils n’en avaient jamais parlé et mettre son amitié avec un tel homme en péril aurait été dangereux. La perspective l’aida un peu à redescendre sur terre même si ses neurones restaient très embrouillés.

Quelqu’un avait donc fait une mauvaise blague à Milo en l’invitant ici sans lui dire de quoi il s’agissait exactement. Wes ne trouvait pas l’idée spécialement amusante, il y a des sujets avec lesquels il vaut mieux ne pas s’amuser et ça venait de la part d’un blagueur invétéré qui riait de tout… Essayant de stabiliser son cerveau euphorique à cause du poppers, il se demandait s’il pouvait le ramener chez lui et se rappela que non parce qu’il n’avait pas sa voiture. Il était venu avec des gens et savait qu’il resterait jusqu’au petit matin, heure où des taxis accepteraient de venir jusqu’ici. De toute façon, pour une rave party, il y avait rarement un parking officiel et organisé.

— J’t’avoue là j’ai pas d’idées MAIIIIS on peut y réfléchir ensemble, p’tet qu’on en aura une, tu vois. Deux cerveaux, tout ça.

Il lui tape l’épaule, enthousiaste, sans se rappeler si Milo apprécie le contact physique ou non. Comme il ne lui retourne pas une droite, Wes se dit que ça va, ça passer au moins un peu.

— Un peu… pompette ?

Le journaliste éclate de rire. S’il savait… Mais justement ! se souvient-il en catastrophe. Il ne doit pas savoir. Alors il passe sa main dans ses cheveux d’un air un peu honteux.

— Ouais tu vois j’ai bu cette bière et je me demande si c’était vraiment que d'la bière dedans, j’aurais du être plus attentif. En général c'sont plutôt les filles à qui des gens mal intentionnés font c'genre d'coup. En fait, faut pas l'dire mais chui là pour le travail. J'fais un reportage.

Il pose son index sur ses propres lèvres d’un air conspirateur. Sans doute qu’il a connu des moments plus crédibles mais au moins, il essaie. Encore une chance que les effets du poppers ne durent pas très longtemps, du moins pour l’euphorie. Pour le reste, il risque de s’assoir dessus. Ou pas, justement et c’était bien le problème ! C’est pas comme s’il n’avait pas l’habitude de rater son coup, ça devenait juste un peu lassant.

— Et donc toi, t'as des amis d'merde si j'comprends bien?

Ou l'art de mettre les pieds dans le plat.

— Peut-être qu’il te fait une blague ?

Wesley tente de trouver une raison, pas tellement parce que ça l’intéresse ou qu’il cherche à rassurer Milo. Non. Il essaie juste de focaliser son cerveau sur quelque chose de concret afin de chasser les effets de la drogue qu’il a prise -de son plein gré- et mieux réussir à embobiner cet italien-là. Il ne le connait pas suffisamment pour jauger de son ouverture d’esprit, par contre il en connait bien un autre, du même acabit, qui ne se serait jamais retrouvé dans une soirée comme celle-ci et qui ne se serait pas laissé manipuler. Manipuler… les grands mots, tout de suite, sortent et claquent. Wes n’a pas de mauvaises intentions envers Milo, il essaie juste de sauver les apparences, de préserver une autre amitié et de ne pas encaisser un jugement moralisateur, parce qu’il n’est pas en état.

Il accepte de partir en quête de bière et jette un regard un peu triste à la tente où il se rendait avant de percuter l’Italien. C’était jouer avec le feu et de toute façon, ça ne l’aurait pas vraiment aidé. Au contraire, il se serait dégoûté le lendemain matin, mais sur le moment… sur le moment… il aurait peut-être rencontré quelqu’un qui ressemblait vaguement à Eliott. Ou même à Kit, pourquoi pas. Ou…

Boire de la bière.
Ouais.
Boire tout court, n’importe quoi.

Il suit Milo dont la remarque l’a conforté dans sa certitude qu’il valait mieux se taire. Tous deux parviennent enfin au bar improvisé et se retrouvent avec de quoi boire. Voilà que Wes subit un nouvel interrogatoire auquel il ne s’attendait pas.

— Ah euh bin… C’est un peu compliqué, commence-t-il pour essayer de noyer le poisson.

Il boit une autre, longue, très longue gorgée d’une bière trop amère pendant qu’il réfléchit à quel genre d’article il pourrait écrire. Puis il pense aux poppers, en se disant justement qu’il aurait bien aimé faire passer le goût de l’un avec l’autre. Alors il se penche sur Milo et lui souffle son haleine alcoolisée sous le nez pendant qu’il lui explique. S’il agit ainsi, c’est pour donner l’impression du secret et pour se faire entendre malgré le brouhaha des gens et de la musique.

— Tu vois, y’a plein de dealers ici. Ils vendent plein de substances, pas que celles dont on connait le nom et les effets. Dans les deux dernières soirées de ce genre, y’a eu quelques accidents. La police le sait mais c’est pas leur priorité, alors j’essaie d’approcher des revendeurs pour comprendre pourquoi ils vendent des trucs qui tuent leurs clients. Ce n’est pas vraiment un bon business model, tu vois ? Personne ne sait que je fais ça, j’veux impressionner Lara.

Lara, la rédactrice en cheffe qui appartenait aussi à la Gorgone mais ce dernier point, Wesley l’ignorait tout comme il n’avait aucune idée que sa place, il l’avait conservée grâce à son amitié avec Sandro. Naïf petit chéri… qui ment avec une facilité déconcertante, qui invente des histoires qui sont vraies, sauf que lui-même se fiche du devenir de ces gens qui se bousillent à dessein. Lui-même a pris ce risque en achetant de quoi planer un peu mais ce genre de risque permet de se sentir en vie.

— Donc si j’comprends bien toi t’es pas trop du genre à « profiter de la soirée » ?

Il enchaine en espérant ne pas recevoir plus de questions. Les guillemets s’entendent à l’oral, sont mimés d’une main libre, clin d’œil presque conspirateur. Milo a-t-il seulement déjà déboutonné son pantalon ailleurs que dans un lit aux draps bien propres ?

La bière a l’air bonne ? Wes se fait la réflexion qu’il devrait vraiment emmener Milo boire de la bière correcte, celle-ci est acide et probablement coupée à l’eau pour en vendre davantage en maximisant les profits. La base. Mais le journaliste comprend vite que l’Italien se moque de lui ou plutôt, qu’il le coince à sa manière. Ça pourrait l’amuser, cette façon qu’il a de ne considérer que les femmes, comme si aucun homme n’en prenait un autre dans cette tente. Son cœur bat plus vite, sans qu’il sache s’il s’agit du contrecoup du poppers ou de la crainte d’être découvert après s’être pris un sermon.

— Peut-être oui.

Wesley lui-même ne pratiquait pas le sexe pour le sexe, sauf dans les périodes comme celles-ci où il se sentait mal et avait, comme le disait Milo, un autre vide à combler. Il cherchait l’amour, pas l’orgasme. Enfin, s’il pouvait avoir les deux…

Le sujet change, Milo évoque son plan. Le journaliste hausse les épaules mais avant de pouvoir lui détailler sa manière de procéder, voilà qu’une accusation fuse. Wesley sourit, comme il sourit toujours. Il éclate même de rire.

— Je ne suis ici que pour le travail ! Je n’aime pas profiter de la soirée sans connaître la fille un minimum. Je suis vieux jeu, tu vois. Je cherche l’amour.

L’amour, il l’avait trouvé mais à sens unique. La seule réponse à un « je t’aime » c’était un éclat de rire ou un « c’est à moi que tu parles ? » apparemment. Pour lui, en tout cas. T’exagères, tu le sais. Il se sent seul. Si seul.
Et il sourit, il sourit toujours, il le droit.

— Être sous couverture, ça implique des risques ! Jamais un rédacteur en chef ne dénoncera un journaliste pour avoir, tu sais, pris quelques libertés tant qu’on n’agresse personne. Puis c’est pas comme si j’allais la consommer, la drogue, c’est juste un moyen de nouer contact, de comprendre ce qui se passe, comment ça se passe, pourquoi ça se passe. Je ne me présente pas comme un journaliste, ça c’est la pire des idées. On est ici in-co-gni-to.

Le je qui devient on, soudain, comme si Milo allait devenir son complice. Complice d’un article qui ne sera même pas écrit, complice d’une excuse donnée par crainte que certaines personnes apprennent ses élans de désespoir, son sexe à risque et surtout, sa trop grande ouverture en la matière.

— Du coup on peut consommer de l’alcool et même danser si tu veux, je ne t’imaginais pas bouger sur de l’électro, comme quoi t’es un homme plein de surprises !

Peut-être plus qu’il ne l’imagine ?

— Bah s’tu m’apprends, pourquoi pas ?
Il ne sait pas valser, Wes. Il ne sait pas vraiment danser. Il bouge son corps en rythme, sans essayer de ressembler à quelque chose. Il profite du son, se laisse aller sans réfléchir, juste pour le plaisir d’évacuer le trop plein de ce qu’il peut ressentir. Alors la danse de salon… autant oublier ! Est-ce que l’Italien se prêtera au jeu ? Il en doute, à moins de glisser quelque chose dans son verre mais le journaliste ne s’abaisse pas à ça. Il ne veut pas courir un tel risque, on ne peut jamais savoir comment quelqu’un réagira, ses soucis de santé éventuels… Et ça ne le fait pas vibrer, comme perspective. Il préfère que Milo soit consentant, s’ils doivent danser ensemble. Il note quand même qu’ils ont beaucoup de choses en commun et que, vraiment, il devrait le présenter à Harvey ! Même si Harvey est flic, n’empêche, il est sympa.
— Patron, carrément ? J’adore le pouvoir, je peux dominer le monde, je suis sûr !
Il rigole, pour souligner l’absurdité même du concept, et enchaine :
— Ça se voit que t’es un débutant. Déjà, le vrai journaliste percute par ses mots. Ce sont les minables qui cherchent les photos choquantes et à scandale, tu vois ? On ne fait pas ça, au Freep.
Le voilà qui pontifie…
— Et bien sûr, on vend tout un tas de drogues dans ce genre de soirée mais celle qui nous intéresse est un dérivé d’héroïne, les effets sont semblables sauf que, figure-toi, elle colore la langue en rose ! Enfin, j’veux dire, un rose pas normal quoi, comme euh… Barbie ? Tu vois l’idée. Du coup vu la mauvaise luminosité, il faudrait d’abord tenter une infiltration pour pouvoir vérifier les bouches, se laisser emporter par le flow et voir si on a de la chance. Donc, le plan, c’est de faire la fête et compter sur la chance. Tu crois que tu peux faire ça ?
Il le défie, maintenant ! Jouer avec le feu, quelle idée, surtout avec un homme dans ce genre. Et pourtant… crétin.

- Na pas de fraise, plutôt de cerise il paraît.

Difficile de savoir si Wesley est sérieux ou non quand il affirme cela. Le suspens continuera de peser... Tout comme la façon de procéder. Pourquoi donc ne pas mettre sa langue dans toutes les bouches qui semblent appétissantes ? Devant Milo, il devra se contenter des femmes mais ça ne le dérange pas. Avec un peu de chance, il accrochera avec une d'elle et oubliera Eliott...

(L'espoir fait vivre)

Milo semble motivé à l'aider. D'un côté, tant mieux et de l'autre, c'est bien sa veine ! Heureusement Wes adore apprendre à connaître de nouvelles personnes, nouer de nouvelles amitiés, alors même s'il est en partie frustré sur un plan sexuel (il lui reste une main droite au moins), il s'avère surtout satisfait et c'est ce qui compte. Les bras de l'italien autour des épaules, Wes se laisse emmener vers un groupe de femmes qui gloussent. État normal ou non ? Difficile de l'affirmer... Et il n'a pas le temps de jauger la situation que Milo, ce traître, le pousse dans leur direction ! À cause de son équilibre relativement précaire vu les substances ingérées, il manque de perdre l'équilibre et se rattrape in extremis dans la poitrine d'une fille, les mains sur le rebord de son t-shirt trop petit qui, dans la foulée, s'abaisse pour révéler ce que son soutien gorge aurait dû cacher. Elle pousse un cri de surprise ce qui permet à Wes de voir qu'elle a la langue rose (victoire !) mais elle lui colle une gifle... Avant d'éclater de rire.

- Bon t'perd pas d'temps toi ! Ça te plaît c'que tu vois ?
- Euh bah... Oui faudrait être difficile quand même hein. Tu connais mon pote Milo ? Ça te gêne s'il s'agrippe avec moi ? On fait tout ensemble on est inséparables. Comme les doigts de la main. Au fait la tienne, elle a un sacré retour !

Tout en parlant, le journaliste se remet droit, remonte obligeamment le soutien gorge et le t-shirt, époussette par pure serviabilité le haut en s'assurant que rien ne vient entacher cette poitrine, ce qui provoque de nouveaux gloussements. Il espère que Milo saura prendre la balle au rebond même s'il l'a un peu mis dans la mouise pour se venger.

((J'écris depuis le train si jamais il y a une bêtise ou quoi je corrigerai en rentrant ))

Aaaah le charme à l’italienne… Wesley serait presque jaloux de la facilité avec laquelle Milo emballe la fille. Un joli sourire de ses dents blanches, une ou deux phrases bien placées et hop, c’est dans la poche. Elle accepte de les suivre à l’écart, au mépris de la plus élémentaire des sécurités. Il ignore si sa copine avait plutôt envie que l’histoire vire à la partouze ou si elle essayait de se montrer digne de son rôle d’amie en la surveillant. De toute façon, le groupe a d’autres chats à fouetter et eux aussi.

Est-ce qu’ils vont devoir se la faire ensemble ? Décidément, dans le genre soirée surprenante, ça se posait là ! Milo parvient à confirmer que les yeux de Wes n’ont pas louché et que cette fille a probablement des informations. Restait à savoir comment les lui tirer. Quand elle se retrouve contre lui après avoir été repoussée par Milo, elle fait la moue.

— Et toi, t’es plus gentil j’espère ?
— Un vrai amour, t’inquiète. Faut juste savoir comment le détendre.

Coup du sort :
Option 1 : la fille comprend le sous-entendu et n’a plus de drogue sur elle, elle leur décrit son dealer et les invite à revenir.
Option 2 : la fille a encore de la drogue sur elle et leur propose d’en prendre.
Option 3 : la fille se méprend sur la signification de la phrase de Milo et pose un acte sexuel envers lui.

— J'ai quelque chose qui devrait l'aider...

Elle prend la main de Wes et la glisse entre ses seins. Curieux, le journaliste investigue (après tout c'est le coeur de son métier !) jusqu'à trouver un petit sachet remplit d'une poudre rose. Il a déjà été ouvert, ça se voit aux traces de doigts.

— Idéalement ça s'injecte mais je serais curieuse d'essayer autrement. T'es partant, beau gosse ?

Elle regarde Milo, provocatrice. Wesley a toujours la main sur sa poitrine parce que... pourquoi l'enlever, tant que ça ne la dérange pas ? Ils ne pourront pas la questionner sans éveiller ses soupçons et être pris pour des flics, puisque le hasard a voulu qu'elle ait de la drogue sur elle. Revendait-elle, peut-être ?

— Moi perso' je suis motivé sans. Pas toi ?

Du regard, Wesley essaie de lui parler, de lui dire de... de quoi, en fait ? Bordel, il ne sait pas vraiment mais ça lui fait bien envie, cette histoire, l'air de rien. Il a toujours aimé les femmes qui savaient ce qu'elles voulaient et même si celle-ci semble plus à fond sur l'italien que sur lui-même, ça ne le dérange pas. Puis Wes est curieux, il se demande jusqu'où Milo pourrait aller...