A moment you'll never remember, a night you'll never forget | Kit & Isaac

I did. Ça résonne dans l'esprit, ça bouscule cette mémoire qui pensait pouvoir se reposer – en vain, trop bien sollicitée. Il a froncé les sourcils, Isaac, prit de court par ces simples syllabes énoncées. À tout en oublier, à s'abandonner une fois encore dans cette brume instaurée. Elle règne, elle masque certains souvenirs, elle efface jusqu'à ces images qu'il aurait peut-être pu garder. Rien ne lui vient, pas même une phrase, pas même un son, pas même un rictus qui pourrait avoir survécu aux tornades alcoolisées sous lesquelles il aimait à se glisser. Le néant le plus pur, le plus opaque. Ce silence assourdissant qui corrompt l'encéphale tout entier – jusqu'à n'en plus rien laisser. Il ne fait plus que guetter, les prunelles posées sur ces traits qui se sont attendris, cette espèce de colère dissipée. Not sure I have anymore to say. Prêt à répliquer, mais rien ne lui vient. Toujours ce vide, toujours cette incertitude qui enserre le palpitant jusqu'à l'asphyxier. Il l'avait fait, mais toute sa réalité fut altérée, tout s'est dissipé pour ne plus laisser que cette sensation de liberté – de prison assez vaste pour au moins y croire, au moins s'en persuader. Et si le compliment qui suit n'arrache qu'un soupir à l'écrivain un peu égaré, il y a ce sourire qu'il feint pour ne pas perdre l'attention de celui qu'il venait de retrouver. Il s'était attendu à tout, Isaac, mais certainement pas à cette étrange vague de doutes qui s'est mise à tout engloutir, affamée. « You mean I can get my old spot back ? » Un battement manqué, inexpliqué. Comme une lame embusquée qui se dévoile enfin pour s'enfoncer contre les chairs, creusant vers ce pauvre muscle toujours bien caché. Asséché, peut-être. Insensible, il voudrait pouvoir s'en convaincre pour ignorer les fondations qui se sont mises à trembler. Si loin, pourtant si prêt de cette vérité oubliée. Si loin, pourtant si prêt de tout ce que l'esprit avait pu évincer. Il y a cette image trop floue qui s'implante contre les songes, qui les sollicitent pour être reconstituée. Mais la peur, oh glorieuse et effroyable émotion, la peur qui s'est mise à tout diriger ; gouvernante momentanée sur cette carcasse infectée.

Le voilà qui songe à Claire, à tout ce qu'elle lui a laissé.
Cette absence, ce vide, la possibilité de tout oublier.
Tout, jusqu'à ce passé qui ne la concernait pas, mais qu'il a tout de même chassé.

« Guess it's a yes, but I assume you don't want it, don't you ? » Pour en revenir à ce qu'il avait pu sous-entendre, ce besoin de s'éloigner, de fuir tout ce qui pourrait potentiellement l'entraîner vers ce que Isaac s'évertue à nommer « liberté ». Patient, curieux pourtant. La main qui s'amuse à jouer avec le comptoir sur lequel la paume s'est posée, mais les prunelles qui y restent, qui continuent de le toiser. L'azur qui s'y ancre, qui réapprend ces lignes contemplées – qui croit enfin percevoir ces années qui se sont écoulées dans la sagesse que leurs consœurs parviennent à lui susurrer. Un sourire, un rictus bien soulevé. Là, ce défi qu'il laisse silencieusement s'instaurer avant que le regard ne s'abaisse à la liqueur pour ne rien trahir de tout ce qui pourrait se manifester ; honnêteté qu'il en vient à lâcher puisque les failles sont d'ores et déjà trop espacées. « She left me 'cause I was... I don't know. Un haussement d'épaules, l'esprit a tiré un trait sur cette partie de cette dernière conversation avec celle qui a définitivement tout changé. Tout, jusqu'à ce lien avec la réalité qu'il a délibérément lâché pour ne plus avoir à la côtoyer. She just left, I guess. Everyone does that, right ? I'm fine with it, at least, I know that everything change and nothing last. Every day is a new beginning. Well, I try to make each of them a new one. » Vérité donnée, confiée. La perdition toute exposée, bien que sous-entendue, en partie cachée. Mais il sait, il connaît cet esprit auquel il vient de s'adresser. Non, ce n'est pas un secret – Isaac s'est un peu plus enlisé dans ces sables mouvants que tout le monde lui prédisait. « I try... all the time... to forget what happened the day before. I need it, in a way. »              

L'écho de quelques syllabes. Comme une mélopée échappée. Des paroles qui s'ancrent, qui trouvent refuge dans l'esprit – pourtant vouées à être chassées. Elles sonnent, en l'instant. Elles imposent ce rythme étrange dans ce monde tremblant. Maybe I do. Mensonge qu'il croit pouvoir désigner, les croyances qui refusent de s'y porter puisque la vérité est ailleurs, dans des faits déjà exposés. Le passé. Ancien temps affamé qui ronge désormais tout ce qui fut, tout ce qui aurait pu être quant à tout ce qu'ils avaient supposé. Il oubliera, il oublie toujours Isaac – s'y force pour prospérer. Il reléguera ces paroles aux limbes qui auront à tout consumer, à grignoter chaque mot, chaque verbe qui aurait pu être usé. Pour qu'il subsiste, pour qu'il puisse encore s'élever. Pour que les ombres ne viennent pas l'enlacer jusqu'à pleinement l'asphyxier – seconde morte qu'il ne sera pas à même d'encaisser. « Are you really fine with it though ? I used to. But now that I’m kinda… enjoying making memories, I’m not sure it’s the best way of living anymore. » Maigre rictus qu'il laisse s'installer. Une courbe légère qu'il ne laisse pas pour autant s'accentuer. Magnifique, cette avancée qu'il semble avoir pu honorer. Magnifique pour ce chemin qu'il semble avoir parcouru au cours de ces huit effroyables années quand lui, finalement, n'a jamais tenu que cette place toute appropriée. Il stagne, Wrynn dernier. Il stagne dans des eaux troubles, mais réconfortantes pour l'endocarde qui parvient toujours à s'y retrouver. « So, what do you want right now, Isaac ? Anything I can help with ? » Un rire qu'il ose, une note échappée à la trachée qui s'était momentanément serrée. Un rire, comme une symphonie oubliée – plus sincère que ces autres qu'il essaie parfois de concéder. « Nothing involving dying, if possible. » Un haussement d'épaules alors, amusé par ces détails, par ce qu'il n'a pu réellement tenir à l'écart de cette interrogation soulevée. Il ne sait pas, Isaac, ne sait plus vraiment ce qu'il aurait pu avoir à chercher. Tout n'est plus que mystère sans fin, sans faille à creuser. Tout n'est qu'opacité à laquelle il se doit de s’accommoder.

L'azur s'est baissé, le palpitant s'est affolé.
Oh, il aurait pu rester cet autre, celui qui appartient au passé.
Il aurait pu revenir sur bien des démences à orchestrer.
Sur la magnificence de cette folie qu'il aurait à faire briller.
Et pourtant, il a ce besoin d'honnêteté – comme à même de lui offrir ce que peu peuvent observer.
L'humanité derrière la déchéance qu'il a pleinement embrassé.

« I don't want anything. » Parce qu'il croit d'ores et déjà tout posséder – parce que tout ce qu'il pourrait avoir à souhaiter se tient déjà entre ses paumes, en un vice auquel il persiste à se condamner. « And I don't know what I was looking for by coming here. I did it, and that's it. » Flirte la pulpe des doigts sur le verre de ce qui se tient à sa portée. L'azur s'égare, comme happé par un point invisible si ce n'est pour ces prunelles captivées. Tout s'est mélangé dans l'esprit de celui qui n'a fait que suivre un instinct, sans justification donnée. L'appel du passé, peut-être – comme un rappel de tout ce qui lui avait échappé. Tout ce qu'il a laissé filer sans avoir à se retourner. « See ? I didn't spoke about anything involving death or whatever. The way I see things, you already died years ago to move on on something else, dear. » Désigné, celui qui se tenait à ses côtés. Loin d'être un reproche, les paroles qui lui ont échappé n'expriment finalement plus qu'un fait, un constat que le regard se doit d'admettre désormais. Il n'est plus celui qui s'était tenu à son bras il y a des nuits, des jours – une éternité. Il n'a plus cette ancienne essence que chérissaient avidement ces maigres et pitoyables souvenirs. « I'm happy for you, tho. Enjoy that new path, will you. » Comme un toast qu'il en vient à porter, un dernier élan qu'il s'approprie avant que les esprits n'aient à s'emmêler. Trop violentes, trop éveillées ces émotions qu'il tient d'ordinaire à contrôler – au mieux à cacher. Elles sont là, elles s'amusent à hanter les pas qu'il pourrait avoir à oser. C'est l'instinct qui force la carcasse à se retrouver, c'est ce besoin qui s'est mis à gronder. Il s'est redressé, abandonnant alors ce poison qui ne l'a pas encore noyé – les autres vices à quérir, un abandon total auquel il souhaite s'en remettre pour ne rien laisser entacher cette grande insouciance qui s'est effritée.