The Sun Always Shines on T.V — ft. Wesley

Ces dernières semaines, Wesley en avait bavé et de manière générale, il n’était pas au mieux de sa forme auparavant, du moins sur le plan sentimental. Puis il y avait eu l’histoire de l’ouverture dramatique de cette boîte de nuit, où il s’était retrouvé à deux doigts de la mort et ça l’avait secoué pour tout un tas de raison. Il n’arrêtait pas de revoir Esteban faire demi-tour pour sauver une autre personne, lui essayer d’expliquer ce qu’il avait vu aux secouristes pour les aider tout en luttant pour respirer et pour ne pas se gratter à s’en arracher la peau.
Si ça allait mieux physiquement, mentalement c’était un peu le bordel au milieu de tous ses neurones qui s’entrechoquent, de ces souvenirs et déceptions. Wesley avait décidé de reprendre sa vie en main, d’avancer pour devenir meilleur mais c’est le genre de grand changement facile à décider, moins à appliquer.
Et voilà que, presque comme par hasard, Tamsin avait pris de ses nouvelles, sans se douter une seconde de ce qui avait pu lui arriver. Tamsin, l’ancienne institutrice si souriante, si charmante, cette femme qui se faisait un devoir de guérir son petit cœur en lui présentant d’autres femmes qui ne lui arrivaient pas à la cheville, soi-dit en passant. Non pas que Wesley ait des vues sur elle, simplement il n’arrivait à se projeter avec personne en dehors d’Eliott.
Et ça devait changer.

Une fois au bar, il commande une bière pour se mettre dans l’ambiance et garder son éternel sourire. Quand Tamsin arrive, son aura ensoleille immédiatement le journaliste. Un soulagement.
— Tu sais bien les hommes, toujours assoiffés ! Wahou c’est quoi cette couleur de super star là ?
Il la regarde de bas en haut comme pour la jauger, avec un air approbateur comme si son opinion avait la moindre importance. Il se laisse ensuite enlacer, lui rend son étreinte et dépose un baiser amical sur sa joue.
— Si moi je connais mes classiques ? Je suis le roi du karaoké ma petite, tu vas retourner pleurer chez ton coiffeur quand j’en aurais fini avec toi !
Il fait mine de rire comme un super-vilain de dessin animé pour enfant et boit une gorgée de bière directement au goulot.
— Je suis content de te voir aussi, je te dirais bien qu’il faudrait qu’on sorte plus souvent mais je sais que je dois te laisser le temps de digérer le fait que je suis un bien meilleur chanteur.
Ce qui était absolument faux, Wesley ne chantait pas bien. Il adorait chanter, certes, mais l’un pouvait très bien aller sans l’autre…

Merci d’être mon ami.
Une simple phrase qui rend son sourire bien plus radieux, illumine jusqu’à ses yeux, le cœur touché par ces quatre petits mots qu’on oublie trop souvent de prononcer. Il profite de leur étreinte pour la serrer un peu plus fort, répondant pudiquement par son geste à sa déclaration. Au début, il avait envisagé Tamsin comme plus qu’une amie mais le courant ne passait pas entre eux de cette façon, pour une raison pas si obscure appelée Eliott Lloyd. Maintenant que le journaliste avait décidé de se détacher de son obsession, il se demandait si…
Mais non.
Il ne voulait pas gâcher une belle amitié.
Il boit une gorgée de sa bière pendant qu’elle commande son mojito. Ils triquent et elle attaque directement pour le questionner. Par SMS, on esquivait plus facilement qu’en face à face. Il hausse les épaules.
— En fait j’ai consulté une voyante, elle m’a tirée les cartes et elle m’a annoncé que j’allais mourir.
Il révèle ça le plus sérieusement du monde, en la regardant droit dans les yeux, puis… éclate de rire.
— Non je blague ! Elle ne m’a pas dit que j’allais mourir mais son tirage me fait réfléchir. Tu sais, j’étais… amoureux de quelqu’un, je le suis toujours sauf que ça ne se fera jamais, alors j’ai décidé d’avancer, de reprendre ma vie en main, j’essaie un pas après l’autre quand on n’essaie pas de me tuer. Enfin pas moi spécifiquement, je me suis retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, début juillet, le truc de la boîte de nuit là.
Il agite la main comme si ce n’était pas grand-chose, comme si les images résiduelles ne dansaient pas devant ses pupilles dilatées par l’effroi, comme si les cris ne hantaient pas ses cauchemars. Les siens, surtout, son propre hurlement : ESTEBAN ! et son ami qui disparait dans la foule pour retourner jouer les héros pendant qu’il reste là, pantelant, terrorisé. Il chasse tout ça, pour revenir à l’instant présent, au bar.
— Que ça ne t’empêche pas d’essayer de m’humilier au karaoké. Je dois bien essayer parce que t’as aucune chance…
Autant revenir sur des sujets plus légers, après avoir largué ses quelques bombes…

— Ouais mais j’ai eu… besoin d’un peu de temps pour digérer, tu vois ?
Il avait passé peu de temps à l’hôpital mais les séquelles respiratoires avaient été difficiles à vivre pour lui. Il avait toussé beaucoup et s’était senti faible, preuve que quand les poumons souffrent, c’est tout le corps qui trinque. Alors il avait passé un certain temps à somnoler sur son canapé et à essayer de remettre de l’ordre dans ses pensées, dans sa vie. Puis, en toute franchise, il n’avait pas voulu s’imposer auprès des gens qu’il aimait parce qu’il considérait que tout le monde vivait ses drames personnels. Ou, si ce n’était pas le cas, qu’il n’avait aucun besoin de les éclabousser avec les siens. Wesley préférait être la personne « qui sauve » plutôt que celle « qui est sauvée ».
— Non ce n’est pas la voyante qui me l’a dit, mais disons que… Tu vois, il va se marier bientôt, il est amoureux de son fiancé et ils ont un enfant ensemble. Enfin, pas ensemble, ensemble, c’est celui de son mec, mais ils forment une famille et je ne veux pas être le genre de gars qui fait voler une famille en éclat. Puis, l’élément le plus important, c’est qu’il n’est pas amoureux de moi. Ça joue.
Il sourit, en parle comme si ce n’était pas grand-chose et boit une nouvelle gorgée de sa bière déjà presque vide.
— Je ne dis jamais non à rencontrer tes copines, super star, mais je ne voudrais pas que tu te disputes avec elles après si je ne suis pas à la hauteur.
Il ne s’est jamais comporté comme un goujat, n’empêche que le courant n’était pas passé et la seule fois où il avait été plus loin malgré tout, ça n’avait pas été des plus glorieux au lit. Il n’était pas très en forme cette fois-là et la fille avait eu beau lui dire que ce n’était rien… Il se demandait si Tamsin avait entendu cette histoire ou si sa copine était restée discrète.
— En fait, je cherche une vraie relation. Si ça n’avait été qu’un coup d’un soir, j’aurais pu me taper Eliott mais j’ai envie… d’aimer, d’être aimé, je veux un truc sérieux, une fille ou un gars je m’en tape, quelqu’un avec qui rire, partager des choses. La voyante dont je te parle, j’ai bien accroché avec elle mais je ne suis pas certain qu’elle soit très fiable à ce niveau-là. J’ai peur de la faire fuir si on tente quelque chose et en même temps, je me demande si j’ai envie de tenter quelque chose ou si le désespoir me donne la fausse impression que ce serait une idée à exploiter, tu vois ?
Beaucoup d’hommes ne se confiaient pas ainsi mais Wesley avait grandi avec deux sœurs et parler de ses sentiments ne lui posaient pas de problèmes, ce qui expliquait aussi pourquoi il avait autant d’amies et pourquoi il se retrouvait la plupart du temps rangé dans la catégorie « ami » sans possibilité de plus.

Tamsin se montrait indulgente vis-à-vis de Wesley et ce dernier n’allait pas s’en plaindre. Il l’aimait pour son caractère bienveillant et maternel, il trouvait cette attitude charmante et dans d’autres circonstances, peut-être qu’il aurait pu tomber amoureux d’elle. Sauf que l’étincelle n’avait pas eu lieu, sans raison apparence. C’était juste… Comme ça. D’un côté comme de l’autre. Ce qui n’empêcha pas Wesley de se confier à elle, au contraire. Et, sans surprise, elle connaissait Eliott.
— Oui, c’est lui. Je bosse avec, enfin, avec Eliott, pas son compagnon. Et évidemment que j’ai bon goût.
Il se redresse un peu, comme si ce geste allait augmenter sa fierté, passer un peu de pommade sur son ego blessé. Eliott était magnifique et Adam, et bien… disons qu’ils allaient très bien ensemble. Si l’univers avait été un peu plus cruel encore, ç’aurait été Kit l’heureux élu et tout le monde aurait pu s’ouvrir les veines devant tant de perfection appareillée mais ça leur avait été épargné (sauf dans les fantasmes de Wesley, qui ne faisaient de mal à personne pas vrai ?).
— Je ne pense pas qu’elle profite de moi, elle n’a même pas voulu que je la paie pour le tirage de carte et après ça, on a été danser, on a bu un smoothie, on a échangé nos numéros… Je m’y connais un peu en escrocs et si c’en est une, c’est un nouveau type.
Il feint tout de même d’y réfléchir sérieusement en se caressant le menton mais définitivement, ses rares doutes ressentis de prime abord devant Riley et son tempérament unique se sont dissipés à la vitesse de l’éclair.
Wesley pose ses doigts sur ceux de Tamsin, effleure sa main subtilement à la mention de son mari décédé, afin de lui apporter un soutien silencieux mais présent. Il ne revient pas dessus, il a appris quand user des mots et quand user des gestes.
— Enfin je dois la revoir donc l’avenir nous dira si les risques ont payé ! Ce qui m’intéresse surtout, avant de te mettre la pâtée au karaoké bien sûr, c’est de savoir… Comment tu connais Eliott Lloyd exactement ?
Il sourit d’un air entendu qui ne laisse pas beaucoup de place à l’interprétation. Il a fait son deuil, il sait qu’Eliott a couché avec tout Détroit sauf lui (à peu de choses près) et ce n’est pas plus mal… Il suppose.

— Ah oui je vois, il t’a fait la cour ricane-t-il.
Il hausse les sourcils d’un air suggestif mais voit bien que la situation met son amie mal à l’aise alors il n’insiste pas, la gratifiant simplement d’un clin d’œil voué à la rassurer. Il ne lui en veut pas, pas plus qu’il ne la juge. Il espère qu’Eliott lui a apporté un peu de bonheur, même une joie éphémère, parce qu’elle le mérite.
Tamsin s’empresse de repousser le beau gosse anglais de leur discussion pour l’interroger sur Riley, sans chercher à cacher son scepticisme. Sans doute à cause du métier de voyante, qui n’inspire pas confiance.
— Je ne le prends pas mal, si tu m’avais annoncé que tu sortais avec un médium ou je ne sais quoi, j’aurais posé le même genre de questions. En fait, Riley tire les cartes mais je dirais qu’elle est plutôt une sorte de psy naturelle, tu vois ? Elle comprend ce que tu ressens, elle arrive à te poser les bonnes questions pour que tu t’interroges toi-même ensuite, elle n’essaie pas de te vendre du surnaturel. Lui parler, ça m’a aidé à mettre de l’ordre dans ma tête. Et comme on a bien accroché, on est sorti et on a appris à se connaître.
Ils devaient se revoir bientôt, d’ailleurs ! Wesley s’en réjouissait.
— Physiquement, mh… Elle est plutôt petite, je fais une bonne tête de plus qu’elle ! Elle est menue, elle a plein de piercings et de tatouages, elle a des dreads et des vêtements euh… je ne sais pas comment on appelle ce style vestimentaire, tu sais ça fait un peu nature comme ça, hippie mais en moins colorée ? Elle est magnifique, il faudrait que je lui demande une photo la prochaine fois. Elle n’a pas de réseaux sociaux, son téléphone ne va même pas sur Internet, tu imagines ?
Pour Wesley, c’est une aberration même si Riley lui en a expliqué les raisons ou plutôt la raison : l’habitude. Quand on grandit dans une communauté survivaliste, Wesley suppose que les habitudes ont la vie dure. Ce n’est sans doute pas plus mal de réussir à s’en passer mais, hélas, ça va l’empêcher de la montrer à Tamsin ce soir.
— Je ne sais pas si c’est la bonne personne, elle me fait penser à un esprit libre, un oiseau qu’on n’a pas envie de… je ne sais pas, mettre dans une cage ? Mais pour le moment, j’aime passer du temps avec elle, elle me fait du bien, je vais essayer de ne pas tout gâcher avec mes attentes de vieux.
Il rigole, autodérision habituelle, puis s’étire sur son siège.
— Bon tu as d’autres questions sur ma voyante ou t’essaies juste de retarder ton inévitable défaite ? provoque-t-il gentiment.

Wesley n’avait rien contre l’idée de présenter Riley à Tamsin mais il préférait d’abord y voir un peu plus clair dans ses sentiments pour la voyante et dans le paradigme de leur relation. Ils avaient beau s’entendre merveilleusement et son cœur battre plus vite en sa présence, cela ne suffisait pas pour dire qu’ils formaient « un couple » et donc pour lui faire rencontrer ses amis en la qualifiait de « sa petite amie » (et ce même si elle était effectivement petite et qu’elle était son amie).
Le sujet resta en suspend, Tamsin l’entraina vers la scène et chuchota quelque chose à l’homme chargé de la playlist. Une musique qu’il connaissait bien s’éleva alors que la voix de l’anglaise retentissait sur les paroles du début. Elle se tenait près de lui et ils finirent par partager le micro, lui chantant une partie et elle une autre.
Wesley ne chantait pas vraiment bien, il ne chantait pas exactement mal non plus, mais il y mettait du cœur, il se laissait entrainer dans la musique, bougeait, ajoutait de l’emphase, presque comme s’il donnait un spectacle complet. Il s’amusait, cela se voyait et c’était contagieux.
— When the night falls down I wait for you, and you come around and the world's alive with the sound of kids on the street outside.
Chaque fois que le titre de la chanson arrivait dans les paroles, ils le chantaient en duo. À la fin du morceau, ils eurent droit à des applaudissements et Wesley se laissa entrainer, en saluant le public comme s’il était une superstar.
— T’as vu ça ? Ils m’adorent. J’ai vu ce que tu essayais de faire mais ça ne marche pas avec moi. Attends la prochaine chanson !
Mais d’autres personnes attendaient leur tour, ce qui les empêcha d’enchainer. Wesley put alors relever, malicieux :
— Tu essayais de me faire passer un message avec cette chanson ?

— Tu parles, impossible d’avoir une moustache aussi géniale !
Il parlait de celle de Bono. Si Wesley se la laissait pousser, il ne ressemblerait à rien sauf peut-être à un puceau de treize ans et demi qui commence sa puberté. Il aimait bien sa barbe mais n’était définitivement pas un homme fait pour les poils sous le nez. Que ce soit lié ou non, sa remarque lui valut un câlin dont il ne se plaignait pas. Il aimait qu’on lui en fasse et pas forcément pour déboucher sur quelque chose de plus intime ensuite. Lui aussi croyait fermement à l’amitié entre les hommes et les femmes, d’ailleurs il avait bien plus d’amies que d’amis et si parfois il tombait amoureux de l’un ou de l’autre, en tant que panromantique, le genre ne changeait pas grand-chose à l’équation.
— Amen ma sœur !
Ils partageaient la même vision de la vie et de ses plaisirs simples. Le journaliste aurait rajouté à la liste un bon repas dans un restaurant goûteux.
— Et je te signale que j’ai passé toute une journée avec elle avant qu’on pratique le coït, comme tu dis. On a dansé, on a mangé ensemble, on a bu un smoothie, on a fait la fête au Foxes, on s’est promené sur les docks, enfin pas dans cet ordre-là mais tu vois l’idée, et seulement après je l’ai ramenée chez moi. En plus, le lendemain matin, elle m’a apporté le petit dej’, ajouta-t-il d’un air très satisfait comme s’il avait cuisiné lui-même. Est-ce que t’as déjà ramené quelqu’un qui t’offrait le petit dej, mh ? Je suis certain qu’Eliott n’a pas eu cette attention.
Il se sentait capable d’en plaisanter sans amertume et ne s’en privait pas. Il ne voulait toutefois pas la mettre mal à l’aise, juste la taquiner gentiment.
— Je ne crois pas qu’elle pratique la nécromancie mais on doit partir en excursion dans les bois, elle va m’apprendre la survie. J’ai émis l’idée que ça pourrait être le piège d’une tueuse en série donc si jamais tu n’as plus de mes nouvelles, c’est que j’avais raison. Mais n’aie pas de regrets, je serais mort heureux !
Le pire ? Il ne plaisante pas, pas vraiment, et il espère quand même se sortir de ce stage de survie improvisé même s’il est plus probable qu’il finisse à l’hôpital après avoir été mordu par une bestiole quelconque, avec sa chance pour les aventures rocambolesques… Ça ne l’inquiétait pourtant pas plus que ça et il la prit par le bras pour la ramener près du préposé à la chanson pour réclamer une chanson qui leur permettrait de bouger et de chanter en même temps, ce que Wesley adorait par-dessus tout.