We're all mad here ft. Theodora

Wesley baisse les yeux, mal à l’aise. Non, pas une seconde il n’a pensé que l’infirmière pourrait perdre son emploi à cause de lui. Maintenant qu’elle en parle, la culpabilité l’étreint encore plus fort. Il se sent stupide, se demande pourquoi il se lance sans arrêt dans des combines de ce genre, si tout cela ne cache pas autre chose mais l’instant est mal choisi pour l’introspection. Il marmonne à nouveau un piteux « je suis désolé » sans savoir où se mettre.
Puis soudain…
Amaya se manifeste, à sa manière, et le langage corporel de l’infirmière change. De la colère, sur le qui-vive, elle semble se détendre. Difficile de lire les expressions sur son visage ou de savoir si elle ne va pas essayer de lui coller un pain (il le voit, ce poing qui se contracte, il n’est pas aveugle). Pourtant, contre toute attente, voilà qu’elle semble… accepter qu’il lui parle ? Accepter ses explications, ses intentions ?
— Évidemment que ça ne sera pas au profit du criminel. J’écris pour les gens, pas pour les monstres.
Dans les faits, c’est ce qu’il essaie de faire mais il ignore, pauvre Wesley, à qui appartient son journal, à qui il doit son travail. Oh, il sait qu’il fréquente parfois des gens peu fréquentables mais il y a un monde entre blanchir de l’argent et agresser des femmes d’une manière aussi immonde, pour rien d’autre que le plaisir personnel. Il déglutit.
— Mais… elle est capable de parler ? Je n’ai pas eu l’impression qu’elle le puisse. Elle vous a déjà confié quelque chose ?
Les questions reviennent, spontanées. Il a remis sa casquette de journaliste, pour essayer d’y voir plus clair. Est-ce que Amaya a « des phases » ? Est-ce qu’il est mal tombé ? Un peu suspicieux, il ajoute :
— Vous me laisseriez vraiment faire… comme ça ?
Sous-entendu : sans rien attendre en retour ?

Le malaise était palpable entre l’infirmière et le journaliste. Il y avait de quoi. La culpabilité de Wesley agissait comme une lame de fond, elle ratissait très bas dans son estomac et lui collait un début de nausée. Pourtant, quitte à avoir fait tout cela, autant aller jusqu’au bout. Lui n’avait plus rien à perdre…
Contre toute attente, non seulement l’infirmière accepta qu’il interroge Amaya mais cette dernière accepta également de lui parler. Il apprit ainsi que son traumatisme avait causé des séquelles psychologiques et qu’elle se protégeait derrière une sorte de personnalité différente. Il aurait bien aimé consulter son dossier, par curiosité, tout en sachant que c’était franchement malsain… On ne se refait pas.
— C’est… gentil, merci.
Il s’adressait ainsi aux deux femmes. Retournant dans la pièce, Wesley s’appuya contre le mur afin de se trouver face à Amaya, sans pour autant empiéter dans son espace vital. Optant pour une voix qui se voulait douce, il s’humecta les lèvres et commença par expliquer sa démarche :
— Je m’appelle Wesley et je suis journaliste. Il y a quelques semaines, je me trouvais au commissariat et j’ai entendu parler d’une affaire semblable à la vôtre. J’ai commencé à enquêter et je cherche des indices pour relier différents évènements entre eux. Si… si ce que je pense est exact, vous êtes une des premières, peut-être la première, à qui c’est arrivé. J’imagine que beaucoup de policiers vous ont questionné mais est-ce que…
Il ne termina pas sa phrase. Amaya avait secoué la tête au moment où il évoquait les policiers. Il déglutit en comprenant ce que ça signifiait.
— D’accord. Est-ce que vous le connaissiez ?
À nouveau, elle secoue la tête.
— Vous l’aviez déjà vu ?
Elle hésite, puis secoue encore la tête.
— Vous pourriez le décrire ?
Elle répondit majoritairement avec des gestes. Wesley tournait ses questions de manière à ce qu’elle ne soit pas obligée de parler si elle ne le voulait pas mais elle le dut, par moment. Au final, il n’apprit pas grand-chose de plus si ce n’est que l’homme sentait le tabac froid -et que l’odeur la plongeait dans un état de panique- et qu’il avait une bague, ce qui indiquait qu’il était marié, fiancé ou veuf. Ça n’aidait pas beaucoup, pas autant que ce que Wesley espérait mais en tournant correctement son article, il pourrait au moins prévenir les femmes hispaniques et les encourager à la prudence.
Pendant tout le temps qu’il avait échangé avec Amaya -non pas que ça ait duré si longtemps- il n’avait pas jeté un seul regard à l’infirmière et il ne le fit qu’après avoir remercié sa patiente, qui ne répondit rien.
— Merci de m’avoir laissé lui parler.
Il ne la regarda pas dans les yeux, toujours écrasé par son malaise.

Wesley ressentait du soulagement en constatant que son interrogatoire improvisé n’avait pas perturbé la patiente et que l’infirmière semblait moins énervée contre lui. La culpabilité ne disparaitrait pas pour autant et jamais tout à fait mais c’était un début, au moins. Un premier pas dans la bonne direction.
— Je n’ai pas menti.
Il aurait bien précisé aussi que les menaces ne servaient à rien mais il n’en menait pas large et il comprenait son besoin de les formuler à voix haute. Lui, de son côté, tiendrait parole et ne pouvait qu’espérer l’accord de sa rédactrice en cheffe pour publier cet article. Peut-être que, de cette façon, la police de Détroit se déciderait à bouger même s’il risquait de perdre un peu en popularité. Le jeu en valait la chandelle.
Il prit d’un air très sérieux, trop quand on le connaissait un peu, le papier qu’elle lui tendit après avoir noté son numéro de téléphone. À nouveau il aurait pu ironiser, souligner que si elle ne voulait pas être mêlée à tout ça, éviter de lui donner son nom et son numéro de téléphone semblait un premier pas dans la bonne direction. D’un autre côté, on trouvait facilement des informations sur n’importe qui, grâce à Internet, et il pariait qu’il aurait mis la main dessus de toute façon, s’il l’avait voulu. Alors il garda le silence, pour une fois.
À ce sujet, du moins.
— Je vous remercie, finit-il par dire après avoir laissé passer quelques secondes.
Elle s’était déjà détournée de lui mais elle l’avait entendue, il le savait, ça se percevait à sa posture, à son langage corporel. Avec le recul, Wesley se dit qu’il avait géré cette affaire comme un manche ou pire, comme un bleu. Qu’il aurait dû s’y prendre autrement, ouvrir les yeux plus tôt sur la réalité de certains métiers, ne pas penser à son scoop en priorité. Comme quoi, même à presque quarante ans, on continue d’apprendre et de se comporter comme un crétin.
Parfois.
Il tâcherait de se faire pardonner dans son article et, peut-être, d’aider à attraper ce salopard.

And that’s all ?