the mirror's image always talking the same shit · ft. theodora

Elle sursauta alors que les coups se remirent à pleuvoir. Elle grimaça même en voyant toutes les éclaboussures rouges tomber au sol, encore et encore, comme s’il était impossible de les arrêter. L’image n’avait rien d’agréable et l’idée même d’y prendre plaisir semblait absurde. Pourtant elle était là, elle était de ceux qui observait le combat, un peu plus en retrait que les autres, bien moins enclins à exprimer de la joie sur le visage de l'un ou de l'autre, mais elle était là. Une fleur perdue parmi les ronces, ayant misé une cinquantaine de billets sur le vainqueur pour avoir le droit d'entrer. Une rouquine parmi une masse d'hommes enjoués à la vue de ce spectacle sanguinaire qui ne semblait jamais prendre fin. À l’observer, lui se débattre, ou plus souvent se faire battre. Stupide qu’il était de participer.
Et puis, un soupir de soulagement s’échappa finalement de ses lèvres lorsque le combat prit enfin fin. Lorsqu'un vainqueur fut annoncé, qui n'était pas celui qu’elle aurait au fond espéré, même si son pari allait vers son ennemi de la soirée. Un soupir de soulagement parce qu'il était encore debout, suffisamment bien pour ne pas devoir être transporté d'urgence à l'hôpital. Si on ne lui avait pas dit qu’il remonterait déjà sur le ring, elle n’aurait jamais pris la peine de se déplacer, de venir observer et de grincer des dents en voyant son dur labeur pour remettre Mitchell sur pied réduit à néant en simplement quelques instants. Idiot, Mitchell était un idiot qui lui donnait envie de le gronder comme un enfant recommençant encore les mêmes bêtises. Imbécile.

Dora récupéra quelques billets gagnés sans trop de difficulté, une petite liasse qui lui permettrait, si l’envie lui prenait, de faire les courses pour terminer le mois en beauté. Ce n’était pas une somme importante, mais c'était toujours ça de pris. De l'argent gagné de manière douteuse qu’elle glissa discrètement au fond de sa poche arrière. Ensuite, elle s’éloigna de la foule et se dirigea vers les vestiaires, laissant derrière elle ce champ de bataille humain.

Les bras croisés, elle observa le corps meurtri de Mitchell une fois qu’elle fut à l'intérieur. Elle se sentait partagée entre l’idée de tourner les talons et de le laisser là avec ses blessures, ou de tenir sa promesse. Elle n'était pas certaine qu'il le méritait réellement. Tout de même, un rictus satisfait s'afficha sur ses lèvres, légèrement heureuse de lui avoir fait peur, car c'était déjà une petite victoire.

« Je crois que j’avais mentionné repos et absence de bêtises jusqu’à complète cicatrisation, non ? »

Pas de bonjour, pas de « est-ce que ça va », car il était clair, à en juger par l'expression de son visage, que tout n'allait pas pour le mieux. Et il était tout aussi évident que les paroles qu'elle prononçait n'étaient pas destinées à le réconforter. Elle ne réagit pas immédiatement à la main qu'il posa sur son flanc, même si elle semblait endolorie. Elle aurait bien aimé lui faire payer davantage pour avoir saboté son travail, mais elle se retint.

« C'est une manie de ne jamais écouter les conseils de son médecin par ici. »

Sa voix sonna plus froide à mesure qu'elle prononçait ces mots. Dora n'aimait pas endosser le rôle du flic, elle détestait devoir être celle qui réprimandait les autres, mais visiblement, elle n'avait guère le choix. Elle s'avança de quelques pas, juste assez pour attraper la serviette posée sur le banc à proximité, puis la projeta directement sur son visage. Si elle ne pouvait pas lui infliger d'autres blessures, elle pouvait au moins exprimer son mécontentement de cette manière. De plus, elle en profita pour lui rappeler sa défaite histoire de bien l'emmerde au passage.

« T'as perdu une sale somme au fait »

Certains étaient partis les mains ou les poches bien remplies, peut-être même excessivement. Bien au-delà des quelques billets qui lui avaient été accordés pour sa mise. L'argent n'était de toute manière pas la raison de son déplacement. Mais cela restait un détail qu'elle préféra garder pour elle. En quoi cela le concernait-il de toute façon ? Un soupir, en revanche, lui échappa et se dissipa avec exaspération. S'il se moquait de ses blessures, soit, c'était son droit, mais elle espérait que son travail acharné pour empêcher qu'il ne meure bêtement méritait un peu plus de considération. Malheureusement, elle savait pertinemment que c'était trop demander dans ce monde-là.

Elle le suivit des yeux. Ses épaules se haussèrent en signe de résignation. Oui, elle avait fait un pari, passons à autre chose. Ses bras restèrent croisés, comme s'il se moquait complètement de l'état de son corps. Prendre soin d'enfants était son quotidien, comme si s'occuper des fous en psychiatrie ne lui en faisait pas déjà voir de toutes les couleurs.

« Ne t'en fais pas, te suivre n'est pas mon passe-temps préféré. Je préfère les gagnants »  

Ryder n'était pas le centre du monde, il n'était encore moins le centre de son monde. Mais qu'il le veuille ou non, du moment où elle avait commencé à apposer ses mains sur ses blessures pour le remettre sur pied, il devenait une personne qu'elle se devait de veiller. S'assurer que ses gestes ne le conduisent pas droit en enfer, même avec autant de bâtons dans les roues. Pour le reste, il était bien libre de faire ce dont il avait envie. Elle n'était pas sa mère après tout. Stupide qu'il était. Surnom qu'elle se répéta un nombre incalculable de fois mentalement. Sans aucun doute, il était bien le plus stupide des Devils. Et pourtant, la panoplie était large. Et même si elle le trouvait idiot, elle se maudissait encore plus pour ce qu'elle allait faire, parce qu'elle aurait dû simplement passer son chemin et le laisser dans sa souffrance.

Dans une autre vie.
Celle où elle n'avait pas un tant soit peu d'empathie.

Dora passa une main dans ses cheveux pour les ramener en arrière, usant de l’élastique laissé à son poignet pour les attacher à vitesse grand V, afin de ne pas avoir des mèches dans les yeux. Quelques pas pour attraper la trousse de secours improvisée, un autre pour s’installer sur le banc à ses côtés. Elle fit de son mieux pour ignorer soigneusement son regard et pour ne pas grimacer à cause de la fumée de cigarette flottant dans l’air.

« Ce n’est pas pour toi que je le fais . »

Mais pour cette foutue conscience professionnelle qui allait la rendre chèvre. Pour ce foutu serment d'Hippocrate qui mettait tout le monde sur le même pied d'estale. À croire que ce dernier n'avait jamais connu de personnes méritant de souffrir un peu.
Elle fouilla dans la trousse, ne fit aucun commentaire sur le peu qu’il pouvait y avoir, c’était déjà mieux que rien, mine de rien. C'était même bien plus qu'escompté finalement.

« Attends au moins que les plaies soient refermées la prochaine fois... »

Un murmure échappé en trouvant ce qui allait désinfecter.

« Ou arrange-toi pour mieux esquiver , soupira-t-elle.   Allez, laisse-moi regarder. »

Il ne devait pas être bien difficile d'esquiver correctement les coups reçus, n'est-ce pas ? Enfin, elle n'en savait rien au fond. Ce n'était pas une experte en combat, encore moins une coach en la matière. Néanmoins, on devait bien lui enseigner cela pour monter sur le ring, non ? Éviter de finir sur un tapis comme une vieille loque, impossible de se relever. Ou bien faire des parades suffisantes pour limiter l'impact. Des faits auxquels elle ne s'était jamais réellement attardée et sur lesquels elle ne tenait pas à débattre.

Encore un soupir s'échappant d'elle, les yeux rivés sur ses côtes, car ce n'était pas joli à voir et que le strict minimum de sa trousse ne servirait pas à grand-chose. Enfin, si, à nettoyer et à s'assurer - visuellement - que ce n'était pas plus grave que cela en avait l'air. Et s'il avait des côtes cassées, intérieurement, elle avait hâte de lui dire que c'était bien fait pour lui. Dora ne lui accorda pas un regard, bien trop concentrée sur sa tâche, bien que ses yeux roulèrent quelques secondes vers le ciel pour ses mots si faussement gentils.

« J'y ai pensé, mais malheureusement, le dispensaire du coin ne dispose pas de tête de gland à réprimander. Quel dommage . »

Dora riposta avec autant de sarcasme qu'il lui était donné d'avoir. Pourtant, elle avait sérieusement envisagé cette possibilité, ce serait mentir de dire le contraire. Au moins une fois. Juste pour tenter d'aider certains, même si bien souvent cela aurait été vain. Peu de choses auraient été réellement différentes.

« Et alors, ça change quoi si j'ai envie de tenir cette stupide promesse ? Ça ne va pas t'empêcher de dormir, à ce que je sache.  »

C'était elle que ça concernait dans tous les cas, pas lui. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire si elle avait envie de s'y tenir ? Est-ce que le monde allait s'écrouler sous les pieds de Mitchell ? Est-ce que la terre cesserait de tourner ou bien l'air se consumerait ? Stupidité. Tout comme le fait de vouloir s'y accrocher. Mais au fond, ça lui donnait l'impression de garder un peu les pieds sur terre.
Enfin, elle fouilla à nouveau dans la trousse pour en sortir une nouvelle compresse, espérant secrètement que cela piquerait sur ses plaies.

« Pourquoi cherches-tu à te faire démolir ? »

Et puis, la question lui échappa sans prévenir. Dora n'eut pas le temps de réfléchir, pas l'occasion de peser ses mots, ni de tourner sept fois sa langue avant ça s’échappe. Trop tard de toute évidence pour revenir en arrière. Mais Dora n’était pas dupe, pas totalement, pour avoir capté quelques trucs à force de le rafistoler encore et encore.  

« Je suis sûr que tu aurais pu le gérer seul si tu voulais vraiment le pactole , dit-elle, fronçant légèrement les sourcils en examinant sa blessure de plus près. Ne bouge pas . Elle marqua une pause. D’accord, il y avait peut-être un rapport de force à prendre en compte, mais est-ce que tu aimes vraiment te faire écraser à ce point-là ? »