Connard ça prend une ou deux baffes ? [ft. Sandrivio]

De légers bruits parviennaient à ses oreilles au moment où il s’était réveillé. Il avait l’impression qu’on lui avait enfoncé du coton dans la bouche. L’impression aussi que quelqu’un lui donnait des coups de marteaux sur la tête, et ses yeux brûlaient lorsqu’il les ouvrait. Il les avait refermés rapidement. Qu’est-ce qu’il avait fait hier soir ? Un violent mal de crâne l’empêchait de réfléchir. Mais ensuite, un parfum qui flottait dans l’air le fit se redresser : celle du café.

Le bouclé avait cligné des yeux pour en chasser le sommeil et réalisa que le soleil filtrait à travers les rideaux. Balançant sa main sur le côté, Livio attrapa son téléphone et observa l’écran rétroéclairé : 12h27. Quelques messages qu’il préféra oublier le temps de son petit déjeuner, Livio soupira. S’extirpant lentement du lit, il se sentait courbaturé de partout. En caleçon, il fit le tour de la pièce du regard, puis attrapa un jogging jeté par terre qu’il enfila.
La soirée de la veille l’avait fait rentrer tard, probablement en taxi, ou bien il avait conduit la voiture de son grand-père, il ne savait plus trop. Néanmoins il était arrivé à bon port vers 4 ou 5 heures du matin.
C’est en baillant qu’il sortit de sa chambre pour rejoindre la cuisine. Il ne fit même pas un signe à son père qui était déjà présent dans la cuisine. Ni un bonjour. Ni merde. Nan, Livio se dirigea vers la machine à café, où une tasse fumante était déjà là, toute prête, toute chaude. C’était probablement son père qui se l’était préparé en cette fin de matinée. Mais qu’est ce qu’il en avait à foutre, Livio, hein ? Ca aurait pu être au pape que c’était pareil. Alors sans même demander à qui pouvait bien être cette douce préparation, le jeune homme l’attrapa et en bu une gorgée.

Et c’est toujours silencieux qu’il se dirigea vers la porte du frigo où il en tira une bouteille de lait. Puis, il fouilla dans les placards pour chercher une boite de céréales mais il n’y avait plus la sienne. Dans un soupir, Livio attrapa celle de son petit frère et s’en servit un bol. S’installant sur l’îlot central il ne releva même pas les yeux vers son père, préféra lui balancer, le nez plongé dans ses céréales, derrière la boite rouge et verte : — T’aurais pu penser à rach’ter mes céréales. Comme s’il n’avait que ça à faire, hein ? T’en profiteras pour prendre du lait aussi, hein, avait-il ajouté en se penchant pour regarder les mini jeux derrière la boite de céréales, en plissant les yeux.

@Sandro Falconi

Le rapport conflictuel entre eux n’était plus qu’une simple intuition, presque la lecture d’une vérité écrite dans l’espace qui les séparait. Voilà des années qu’ils ne se parlaient plus sans sarcasme, sans témoignage d’une relation qui s‘était dégradée faute de mieux. Livio ne releva pas la tête, préféra écouter son père d’une oreille distraite. Mais ses poils se herissèrent quand il entendit le son de sa voix, strict.
Apparemment chacun possède son Everest : construire une maison, se dépasser physiquement, parler en public… Tout le monde caresse un projet dont la magie se loge dans la difficulté, voire l’impossibilité de le réaliser à court terme mais que nous confions à la promesse de le faire un jour… Le projet que chérissait Livio, depuis la mort de sa mère, était de tarter son père. Mais après ça il serait certainement un homme mort.

— Alors je te laisse gérer la boutique de grand-père puisque tu as l’air à cheval sur le protocole, avait-il répondu en relevant un regard froid à son père. Il semblait que l’évidence avait pris le contrôle de leurs vies et les guidait vers des années de plus en plus électriques.

— Grand bien lui fasse. J’n’suis pas mon frère. Et le petit dernier ne s’était pas mis une sale race jusqu’au levé du jour. Il exprimait seulement une conviction. On ne cessait de lui répéter que son petit frère était un exemple, qu’il devrait apprendre de lui. Tu ne sais plus distinguer tes deux fils ? Vous pourriez croire qu’il s’agissait de l’élan d’un jeune idiot en formules ridicules. Il n’en était rien. Mais son père avait dans les yeux la force apaisée de ces hommes qui savent où la vie les mène et le retour de la main droite facile.

Depuis 2016, les années mêlant la douleur d’un combat disproportionné entre père et fils et l’exaltation procurée par chaque bataille remportée. Cette discussion n’était pas la première qui avaient miné leurs relations. Et l’effroi que Livio avait lu dans les yeux de son père, le jour de la disparition de sa mère s’était transformé, aujourd’hui en dépit. Depuis ce jour, la guerre était ouverte entre eux, une guerre factice à laquelle lui et son père ne restaient pas étrangers.

La demande… Pardon “l’ordre” de lui refaire un café fut sèchement craché. Le jeune homme prit une cuillère de ses céréales et se stoppa à mi chemin. Il la posa doucement puis attrapant la hanse de sa tasse fumante il étira un sourire, en plongeant son regard dans celui de son géniteur.

— Tu es plus proche de la machine à café. Il leva sa tasse avec un sourire comme pour trinquer et ajouta avant d’en boire une gorgée. — Bonne dégustation, padre.

@Sandro Falconi

Son testament ? Tout ça il le perdrait ? Maison ? Argent ? Voiture ? Tout ? Sa phrase n’attendait pas de réponse, du moins pour lui. Alors il n’avait rien dit, s’était contenté de laisser ses doigts jouer avec la cuillère qu’il tenait. On lui répétait sans cesse que son petit frère était merveilleux, un petit ange mais jamais on ne le remerciait, lui, d’aider le vieux et sa boutique. Non. Ce qu’on retenait de lui c’était probablement son échec aux études et sa soit disant “arrogance”. Sa mère, elle, n’aurait jamais pensé ça de lui.

Livio resta un moment sans répondre. Il avait bien bien reçu ce flash, son esprit s’était évadé. Il avait perçu un vide dans le continuum de ses pensées. Cela n’avait duré qu’une fraction de seconde, mais l’avait ébranlé. Puis la tasse vola, il sursauta au même moment.

SBLAM ! Et dans un son strident elle s’explosa au sol.

Dans sa tête se bousculaient des images d’avant, de l’enfance avec son père, de son frère tout petit, des cabanes et des éclats de rire,… Il avait envie de s’évader de la condition humaine recette famille sclérosée… de partir à l’aventure… Il se souvint de sa mère avec nostalgie et gratitude, car il l’associait à la joie qu’il avait connue. Il observa son père sans un mot, le regard lançant des éclairs. Y a bien un “sale fils de pute” qui avait manqué de partir mais ça reviendrait à insulter sa propre grand-mère et probablement l’arrêt brutal de sa vie à lui. Une grande parenthèse s’étala entre eux, un silence profond, un silence qui les unissait dans leur recherche d’un absolu qu’ils appréhendaient chacun à leur façon.

— Je dois tenir de toi, alors. Le ton est sec et cassant.

Toutes ces femmes qui avaient traversé la porte de la maison après la mort de sa mère. Oh il savait Livio. Il ne les avait pas toutes vu mais les langues déliées de la Gorgo avaient parlé. Puis il y en eu une, plus bavarde que les autres diront nous.
Au fil du temps, l’image de sa génitrice s’était lentement détachée de celle qu’il avait. Seul son visage, qui lui apparaissait, à chaque fois qu’il entendait que son père se tapait une autre nana, le ramenait plusieurs années en arrière. Lentement et s’appuyant sur le comptoir de la cuisine, le bouclé se leva pour s’accroupir devant les morceaux de céramique et le café coulant le long des meubles en bois.

— J’aurais dû faire quoi ? Lui donner un autre nom ? Elle savait très bien qui j’étais. tenta-t-il de justifier. Tout en continuant à nettoyer les conneries (de son père), l’aîné Falconi ajouta : — Et puis elle a sûrement fait l’effarouchée mais crois moi que je l’ai pas forcé à prendre mon numéro. Ca pour le coup il tenait bien de son géniteur, à collectionner les femmes même quand la chasse était gardée. Il aurait dû se taire, ouais.
Jetant les morceaux de la tasse à la poubelle il se tourna rageusement vers son père. — Et arrête de m’engueuler pour un truc que tu ferais toi aussi si t’en avais l’occasion ! Crachant son venin il reprit sans lui laisser l’occasion d’en placer une :

— J’fais qu’faire ce que tu m’as appris quand t’étais encore présent !

@Sandro Falconi

Sandro n’était pas le père de l’année mais Livio n’était certainement pas le fils du millénaire non plus. Certes il pensait être venu sur Terre pour incarner la beauté et l’intelligence mais le jeune Sicilien respirait surtout la médisance et l’égoïsme. Ce n’était pas la faute de ses parents, ou peut-être que si, mais Livio s’était formé tout seul quand son père avait préféré s’évaporer tel un riche au moment des impots. Il ne considérait que les gênes, les événements passés n’avaient plus tellement d’importance pour lui. Néanmoins, il ne l’avouerait pas, mais si quelqu’un touchait à un seul de ses cheveux, le jeune homme prendrait les armes.

Livio avait l’impression d’être à l’opposé de son père, l’image complétement inversée. On lui avait pourtant bien dit qu’ils étaient très similaire mais lui n’y voyait rien de ressemblant. Non, ils n’avaient que le nom en commun. Et puis il voyait bien dans le regard de ce père toute l’amertume de ne pas voir son aîné ressembler plus à son dernier né. Il ne montra aucune émotion quand son frère souligna le fait qu’il était bien plus intelligent que ça. Certes il l’était, il n’en doutait pas une seule seconde, mais ça lui fit étonamment baisser les yeux comme s’il était en train de réaliser que, non, son père ne le voyait pas comme un moins que rien. Bien sûr que je le suis. préféra-t-il répondre plutôt que d’avouer qu’il avait été touché par cette phrase.
Puis il haussa les épaules, cracha même sur la présence ou non de son père. Oh ouais fais la victime. Il soupira en se redressant. Tu aurais pu faire quelque chose, genre être présent parce que si t’as perdu ta femme nous on a perdu notre mère.

Il agita la main en l’air. De toute façon j’ai pas envie de parler de maman avec toi. Non c’était encore un sujet sensible, dont Livio se servait pour faire du mal à son paternel. Il avait bien entendu la faiblesse dans la voix de cet homme dur et fort qu’était son géniteur. Il y avait peu de moment où Livio pouvait le constater. Non Sandro était un Titan, un géant avec des failles si subtile que seul un oeil aguisé pouvait les apercevoir. Et aussitôt il s’était frayé un chemin pour le blesser. C’était ça, Livio Falconi.

A croire qu’il était le Dieu de la destruction. Depuis petit il aimait détruire tout ce que faisait les autres ; les lego, les constructions en bois, le barbecue de Papie qu’il avait poussé dans la piscine à l’âge de 13 ans. Tout n’était qu’un moyen pour être vu, détesté ou admiré. Encore étonnant qu’il n’est foutu personne en cloque, hein ? Donc je dois baisser la tête juste parce que l’autre ne sait pas tenir sa femme ? C’est moi le fautif quand c’est elle qui a le string en feu ? Il écarta les bras. Qu’est ce qu’il va faire ? Hein ? Me regarder de travers, le vieux ? Me frapper avec sa canne comme grand père ?

@Sandro Falconi