Beneath the crow's feathers † Soan Haynes

Beneath the crow's feathers

@SoanHaynes

Le sifflement aigu de la bouilloire ramène Charlie à la réalité. Perdu dans ses pensées depuis une bonne dizaine de minutes, il se masse les tempes avant de retirer l’eau bouillante du feu. Longue journée passée à arpenter les rues du Southwest, à toujours voir les mêmes patients, à se geler dans le froid de novembre. Pas réellement un adepte du thé, il en a besoin en ce début de soirée pour se réchauffer, et hors de question de boire du café à cette heure. Quoique ça ne changerait pas grand-chose puisque l’insomnie était maîtresse de ses nuits. Il verse alors le liquide dans une tasse, pensant à une chose, enfin s’asseoir sur son canapé et regarder un énième navet. Sûrement que Les sopranos serait au programme de cette soirée. Vieille série que son père lui avait montrée en arrivant sur Détroit. Du moins, c’était avant que les deux ne décident de ne plus se parler.

Il chasse cette idée de son esprit et expire profondément. Mal de tête qui ne veut pas partir tambourine jusque dans ses oreilles. Il reste accoudé sur le comptoir, fronçant les sourcils, comme si la douleur allait passer par elle-même. Inévitablement, il ouvre un placard et attrape une boîte d’aspirine. Alors qu’il s’apprête à prendre le médicament, un tambourinement se fait entendre. Il ferme quelques secondes les yeux, espérant que ce ne soit que le fruit de son imagination, sauf que la réalité le rattrape rapidement. Il s’agit bien de quelqu’un qui frappe à sa porte.

« Shit »

Il a l’habitude d’avoir des visites impromptues à son appartement surtout quand il s’agit de soigner les Crows, mais il aurait préféré rester tranquille ce soir. Il inspire profondément et avale l’aspire avant de se diriger vers son entrée. Il ouvre la porte et est presque surpris de voir Soan. Pas qu’il n’ait pas l’habitude de le voir, il l’a soigné un paquet de fois puis ils se connaissent depuis un nombre incalculable d’années. En soi, il le connaît depuis qu’il est gamin. Soan avait déjà la vingtaine à l’époque. Il se tient donc devant sa porte et dévisage le corbeau pendant quelques instants. Charlie voit bien que la corneille est mal en point.

« The fuck happened to you, brother ? »

Il ne perd pas de temps et l’invite à rentrer.

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Beneath the crow's feathers

Soan, impossible de prévoir ce qui allait sortir de sa bouche. Quoique Charlie n’était plus vraiment choqué par les propos du corbeau. Après autant d’années, on s’y faisait. Pas perturbé par ses blessures, ne demandant même pas à les soigner, le voilà qui pénètre violemment, comme à son habitude, dans l’appartement. Le médecin tente d’assimiler toutes les informations qui assaillent son esprit. Il prend une grande respiration puis ferme la porte. Une belle soirée qui s’annonce. Il tique à la vision du liquide rouge qui parchemine son sol. Il ne le supporte plus ce liquide qui tâche quotidiennement ses mains et maintenant qui s’invite chez lui. Comme une impression d'autoriser la mort à se rapprocher de plus en plus, à se faufiler dans les recoins de son antre et à poser sa marque. Comme une malédiction. Il détourne le regard du sang qui a perlé pour se rapprocher de son comptoir. Il s’appuie dessus tout en observant Soan.

« Nah, the only thing that fucks me is my goddamn headache – littéralement – You know I only smoke cigarettes, but you can smoke your shit if you want ! »

Charlie ne va pas argumenter là-dessus. Si Soan veut fumer sa weed, il ne l’empêchera pas même si l’odeur lui brûle les narines. Il se frotte le front tout en analysant le visage de son ami. Aurait-il paré les coups avec sa tête ? Rien qu’en voyant son nez, le médecin se retient à peine de grimacer. Il ne comprend pas. Il ne comprend pas ce besoin de s’infliger de la douleur. Ce besoin de sentir les os perforés la chair. De sentir les poings qui frôlent la peau. Le sang qui coule alors que les plaies s’étirent sur les visages enflés. Violence injustifiée témoigne d’un esprit torturé. Violence maladive qui est redemandée encore et encore. Le médecin garde ses pensées pour lui. Inutile de rentrer dans le débat.

« Do you want something to drink ? Beer ? Whisky ? Before I try to fix you because god you need it ! »

Proposé de l’alcool n’était pas nécessairement une bonne idée sur le moment, mais il doute que Soan veuille boire du thé avec lui. Il en aurait pourtant bien besoin. Il les voit tous ces corbeaux dont la vie se raccourcit. Ils viennent chez lui, un par an, avec leurs vices qui les détruit petit à petit. Alcool, drogues, blessures plus profondes les unes que les autres, le mental ne tient qu’à un fil alors que le corps périt. Malheureusement, Charlie, il ne peut les aider. Il fait ce qu’il peut, mais il n’est qu’un seul homme.  

« Does it feel good to have a broken brow bone and a smashed nose ? »

Question légitime.

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Beneath the crow's feathers

@Soan Haynes

Il reste là, Charlie, les bras croisés à observer les mimiques du corbeau assis face à lui. Elles sont subtiles, masquées, presque trop parfaites, ces gestuelles qui tentent de dissimuler la chair mutilée et la douleur lancinante. Les traits tirés qui camouflent les émotions. On ne peut tromper le médecin qui a déjà, presque, tout vu dans cette ville damnée. Où le désespoir rencontre la foi. Où vacillent les esprits qui ne sont pas encore fragmentés. Où la violence ébranle les âmes angéliques. Démon prêt à aspirer le peu d’humanité restante. Que reste-t-il à ceux qui n’ont pas péri ? En regardant Soan, en posant les pupilles bleues sur le liquide rougeâtre, la seule réponse à cette question est l’agonie.

D’un geste de la main, Charlie saisit le paquet de cigarettes rangé dans un des placards de sa cuisine. Il en sort un bâtonnet de nicotine qu’il lance à la corneille. Il le regarde, hochant un sourcil à la technique utilisée par Soan. Il est presque impressionné, Charlie. Alors que son mal de tête commence doucement à passer, l’odeur agresse violemment son nez, future migraine en prévision.

« I only have cheap wisky. I am not that chic, you know? – il attrape une bouteille au hasard - I’m sure women will love your new scars. Maybe they will give you a price on the merchandise. If your nose is broken, you have the right to thirty minutes more. »

Sarcasme qui imprègne la pièce. Paroles crachées au visage de l’autre. Il ne le changera pas. Le corbeau est un volatile borné. Il en rigole, le plus vieux, celui qui est censé être sage, ne semble pas prendre au sérieux les blessures qui suintent. Les conséquences. L’azur se pose à nouveau sur le visage de la corneille. J’me sens vivant. Il grimace le médecin. Celui qui se dévoue à soigner, guérir et sauver. Il tique en servant le verre de whisky. Comment pourrait-il sauver celui qui ne souhaite pas l’être ? Il pousse d’un geste nonchalant l’alcool orangé alors que les paumes de ses mains s’écrasent sur le plan de travail.

« Why do you want to leave a mark ? You could have a decent life if you stopped risking your life for non-existent glory ! »

Mots qui résonnent dans la pièce. Mots de celui qui ne veut pas perdre un être aimé. Celui qui veut aider. Il fronce les sourcils, Charlie, alors qu’il sort sa mallette de soins. Farfouillant dans les poches, saisissant le désinfectant et les compresses, s’arrêtant un instant.

« It’s fine, i can’t sleep anyway. Insomnia is a bitch. »

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Beneath the crow's feathers

@Soan Haynes

Abasourdi. Sentiment qui imprègne ses pores. Il le connaît bien, pourtant, le corbeau face à lui. Il ne comprend simplement pas pourquoi Soan possède ce besoin viscéral de mettre son corps face à autant d’épreuves douloureuses. Devenir une légende ? La gloire ? Ses poings en sang et son visage tuméfié, voilà ce qu’il resterait de lui après sa chute. Pas de chants ou d’hymnes en son honneur. Peut-être une tache de sang incrustée sur le ring. Mais ils sont des centaines à être passé par là avant lui. Ils ont tous laissé leur marque à leur manière. Soan n’en serait qu’une de plus. Perdue et oubliée dans les tréfonds de ce fight club maudit. Charlie martyrise son esprit, tente d’assimiler les mots qui s’échappent des lèvres blessées de la corneille brutalisée, sans réussite.  Il ne le quitte pas du regard. Il observe les mimiques du corbeau. Fier de lui. Heureux. Il en presque dégoûté, Charlie.

Il s’approche de Haynes, le coton imbibé d’alcool en main, l’oblige à se tourner vers lui afin qu’il puisse déposer le liquide sur ses blessures.
«You should put this on your grave. I slaughtered everyone, I spilled my blood on the white ground and now I’m dead, remember me.”

Elle secoue la tête la jeune corneille tout en nettoyant le sang qui perle de cette chair ouverte. Il a grandi avec ces corbeaux, il a appris d’eux, il a passé presque la totalité de sa vie en leur compagnie. Soan et les autres ont été comme des mentors, des êtres adulés, des inspirations. Il n’est plus vraiment sûr de quoi que ce soit désormais. Ils se consument.  
«You know, I prefer you alive. And what about the people that care about you ? Do you want them to remember you like that ? A broken face every night, dead ambitions, a life spent fighting. »

Il essaie d’aider, il sait qu’il se prend le mur de plein fouet. Il ne le changera jamais. Ses mots sont durs, cognent aussi fort qu’un taureau pendant un rodéo, mais c’est parce qu’il veut essayer de bousculer cette conscience renfermée. Il espère, d’une manière ou d’une autre, que l’alcool qui se répand sur la peau rougie de la corneille le poussera à éviter le ring à nouveau. Mais après tant d’années, il revient toujours chez Charlie pour panser ses blessures. Il est décidé à rester dans cette routine meurtrière.
« I can’t get high, if people need me in the middle of the night, I need to be ready. »

Il souffle tout en déposant les pansements sur les nouvelles balafres de Soan.
« In ten years, I will remember you as the one who wasted his life. »

Mots crus. Mots qui tentent de percer cette âme. Non, parce qu’il ne lui donne que quelques années d’existence tout au plus.

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Beneath the crow's feathers

@Soan Haynes

Il soupire. Si ses mots n’arrivent pas à le faire revenir à la raison, rien ne le pourra. Il ne peut rien faire d’autres si ce n’est que de continuer à soigner ses plaies, recoudre sa peau décharnée et l’accueillir chez lui. Lui offrir de l’alcool bon marché et des cigarettes en abondance. Il hésite, le jeune corbeau, à répliquer. Il le sait que ce ne serait qu’un gâchis de salive. Il est bien décidé à poursuivre le chemin emprunté, Soan, animal enragé et bête incontrôlable. Charlie serait le premier à déposer l’œillet blanc sur sa tombe. Le cœur emplit de regrets. Un corps inerte de plus, allongé sous les pierres tombales. Destinée intemporelle de ces volatiles persécutés. Il n’a pourtant pas tort, le plus vieux. Ils ont vendu leurs âmes au diable. Ils l’ont fait en sachant la contrepartie demandée. De leur plein gré. Vie de souffrance, pensées perturbées, quotidien insupportable. La mort apparaît soudainement comme une aubaine pour la corneille. Délivrée de cet enfer. Il est à ses portes, prêt à faire le pas, mais l’univers n’en a pas fini avec lui apparemment. Il a un travail à mener.

« I wish I didn’t have to fight for my life. Sometimes, I want to give up and run away. »

Paroles à demi prononcées, dans un murmure silencieux, comme s’il avait honte de cette pensée. Elle est cependant là, la vérité. C’est bien la première fois que ces mots sortent de sa bouche. Il veut partir. Tout plaquer. Une absence sûrement non remarquée, débarrasser de ce fardeau, de cette douleur persistante et lancinante. Libérer de Détroit et de ses âmes pourries. Mais, il reste tiraillé. Pas encore prêt à traverser la mince fracture qui s’étend dans son esprit.

« What is the purpose of our life here, Soan? The more we advance, the more the targets line up behind our backs and the more we lose. »

Ce groupe d’oiseaux, que sont-ils vraiment ? De la vulgaire chair à canon ou changent-ils vraiment les choses ? La différence est bien que trop fine. Il ne sait même plus quoi penser. Il jette les cotons salis, se frotte les yeux et finit par se verser un verre aussi. Il abandonne la tisane laissée de côté et déguste la boisson alcoolisée. Pas habituer à boire, n’en a pas franchement l’envie, il brise ses principes le temps d’un instant. Il est à bout. Il ne s’en rend même pas compte.

« I miss Ireland. Everything was simpler there. »


Il est bien trop tard pour ramener la gloire de l’innocence.

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BENEATH THE CROW'S FEATHERS

@Soan Haynes

Une vie de peinard ? Difficile à dire. Il doute, Charlie, sur la véracité de ces propos. Il est persuadé que la plupart des Crows ont choisi cette voie. Un chemin pavé de sang, de crimes, de souffrances où l’odeur de mort s’attache. Elle les suit. Après quelques années, ce sont les regrets qui vous rattrapent. Quand on finit par perdre un être cher, on remet en cause les choix foireux de la voie soi-disant libératrice. Certes, plusieurs ne l’ont pas voulu, cette destinée maudite, mais peuvent-ils faire demi-tour ? Et si Soan adopte un discours presque d’amour pour ce groupe d’oiseaux sauvages, le jeune médecin se demande s’il en pense les moindres mots. Veut-il vraiment continuer à se battre ou cherche-t-il à atteindre un salut plus tôt que prévu ? Il ne sait pas, Charlie.

Il se met à douter, l’oisillon. Il ne veut ni guerre ni cadavres. Ni pertes, ni victoire. Une vie ordinaire. Les mots galvanisés du plus vieux n’arrivent pas à convaincre Charlie. Il ne se retrouve pas dans ces paroles.

« Among ours ? The only thing we have in common is our origins. Rotten blood that drains this city of its last hope. We’re dying and we don’t even see it. »

Cynisme qui imprègne chaque pore. Voile sombre qui recouvre l’esprit. Il comprend mieux pourquoi l’alcool est ravageur. Seul moyen de noyer les pensées noires qui maculent le cerveau. Il hoche la tête à l’évocation des Italiens. Conflit qu’il comprend, mais auquel il ne veut prendre part. Tiraillé. D’un côté, cette famille qui compte sur lui, le Serment d’Hippocrate qui rythme les battements de son cœur, et de l’autre, l’appel d’un destin moins tragique, des plaines vertes de l’Irlande. Le choix est là.

« We are weak, we lack everything. This war with the Italians will never end. Blood and loss await us. Death and the gates of hell. »

Les dernières paroles sont prononcées tout en avalant une gorgée du whisky. Le regard se perd sur le verre vide. Il verse à nouveau le liquide brûlant. Il sait que s’il continue sur cette lancée, c’est l’alcool qui parlera et non plus sa conscience éclairée. Une grande inspiration est prise. Il sourit à Soan.

« Yeah...well, I like your optimism, but I think we’re doomed. The life expectancy of crows is not very high, unfortunately. »

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Beneath the crow's feathers

@Soan Haynes

Oh, il l’a perdu depuis bien longtemps, la foi. Cette même foi qui semble animer Soan d’un feu ardent et d’une ambition presque dangereuse. Cette croix tatouée sur les côtes atrophiées du jeune médecin, elle ne veut plus rien dire. Les murs de leur église ne représentent plus qu’un vulgaire tas de pierres renfermant mensonges et espoir abîmé. Cette entité soi-disant protectrice les a fourvoyés plus d’une fois. Désormais, ils ne peuvent compter que sur la nuée de volatiles. Et pourtant, les rangs se resserrent, l’impatience et la colère dominent. Il a envie d’emprunter le chemin d’Haynes, cette effervescence qui s’est emparée de lui, il aimerait aussi qu’elle emplisse son cœur, mais il est bien trop brisé. Il n’y croit plus à tout ça. « I hope his plan is good or none of us will make it in one piece this time ».

Isaiah, ici dans ce bas-monde, il est ce qui se rapproche le plus de ce Seigneur. Il est leur voix. Il est la main qui les guide. Libérateur. Plutôt dévastateur. La confiance a été brisée tout comme avec ce Dieu. Il écoute, Charlie, les paroles de celui qui leur apportera la gloire arrachée et une place de choix sur le trône des vainqueurs. Toutefois, la passion n’est plus. A-t-elle vraiment existé ? « Well... I think even God won’t look at us in the eye when we face him ».  Parce que maintenant qu’il les a abandonnés, il ne voudrait pas que les corbeaux nuisent à son confort. Ils devront avancer seuls, mais ce n’est pas grave, ils le font déjà depuis bien longtemps.

Soan n’a pas complètement tort, ils sont intelligents. Ils sauront rebondir et trouveront un moyen de reprendre leur place à Détroit. Mais à quel prix ? Est-ce qu’ils iront jusqu’à se sacrifier ? Malheureusement, il n’a pas la réponse et le plus vieux non plus. Il l’observe se diriger vers la porte. Charlie espère que son ami n’ira pas se foutre à nouveau dans le pétrin. Il y a peu d’espoir pour ça. « I’m not sure Soan. There is a fine line between doing the right things and doing good things for us. The future will tell I guess ».

Et il le regarde s’enfoncer dans les ténèbres.

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