lane boy - Lestat & Taemin

Une pause dans la tourmente. Une pause dans ces doutes qui lancinent, dansent, s'embrasent jusqu'à l'asphyxier. Une pause dans cette routine mal huilée, ces banalités qui dérangent pour tout ce qu'elles peuvent avoir à cacher. L'envers du miroir, les non-dits qu'il devine sans mal quand l'heure passe, quand les pas résonnent dans l'entrée de sa demeure dans laquelle il ressasse. Les doutes. Les doutes qui restent, flirtent avec l'encéphale jusqu'à le corrompre, jusqu'à l'oppresser. Les doutes qui suivent ses allers, ses retours, ses enquêtes même puisque l'esprit est ailleurs que sur ces devoirs auxquels on le disait marié. Il change, Roseburry, sans en prendre pleinement conscience. Parfois presque plus humain, parfois plus froid encore qu'il n'avait pu l'être par le passé. Il change, et le monde continue de tourner. Les phalanges s'appuient aux tempes, les paupières se sont closes. Il essaie de chasser les mots durs de son esprit, les querelles insensées qui se multiplient depuis quelques semaines désormais. La voix de la bien-aimée qui continue de lacérer la tranquillité, même dans ce bureau où seules ses respirations perturbent le silence qui s'était mis à régner. Il n'entend plus, il n'écoute plus. L'âme est ailleurs, à voguer vers des possibilités, des fantasmes qu'il croit hors de portée. Puis la vibration, le téléphone qui attire l'attention. Puis les coups sur le panneau de bois fermé, cette silhouette qui finie par s'immiscer pour se prononcer. Il observe, sourcils froncés. Il observe, ayant oublié le cours du temps – ces longues heures qui se sont déjà écoulées. Officer Park ; et la mémoire est fatiguée qui ne remet pas de suite les nouvelles qu'on lui avait déjà confiées. « I'm here to talk about the case we opened on the docks... ; plus intrigué, enfin. Les mains se sont jointes, l'azur n'a plus dévié. The women found in the container. I thought you'd be interested as it happened in Southwest. Et un soupir, et la paume qui passe sur les traits. I can come back later if it's not the right time. » Il aurait pu en sourire, il aurait pu en rire. Le bon moment, ça ne l'est jamais. Le bon moment, il n'existe pas – il n'existera jamais. Puis le silence, la pause dans la course des minutes qui s'effondrent. Le silence, Roseburry qui en soupire finalement, le bureau qu'il essaie d'un peu ranger, les phalanges qui flirtent avec ces quelques informations qu'on lui faisait remonter.

« What do you think about it ? » La voix tonne, claque. Elle s'impose enfin dans cet échange qui n'en était pas un. Il réclame son avis, par principe. Il réclame son avis, rien que pour voir à quel point celui-là pourrait être utile. Parce qu'il sait, Lestat, il sait que si son intuition première est fausse – il devra endurer cette présence à ses côtés pour plusieurs jours, jusqu'à ce que l'affaire ne soit enfin classée. « Ten girls. None speak english. No ID, no name, not a single word to the officers ; except you. Là, l'intérêt qu'il lui concède complètement. Là, le regard qui revient peser sur cette silhouette, qui cherche à quérir tout ce qui n'aurait pas été mentionné. Curieux, juge et bourreau qu'il en devient dans ce comportement qui effraie et qu'on méprise. What did they told you, Officer Park ? » Et il s'est levé, enfin. Il se hisse à sa hauteur, Lestat, les mains dans le dos, la patience qui essaie de faire prospérer. Patience. Patience à faire régner. Patience qui manque. Patience qu'il n'a jamais posséder. Les irlandais ne sont pas à l'origine de cette affaire commencée, mais une implication n'est pas à négliger – ces territoires sont leurs qu'ils ne laisseraient pas leur échapper. À moins qu'il ne se soit trop égaré, Roseburry, perdant de ce sang froid à mesure que le cœur apprenait maladroitement à s'animer.                    

Il a en mémoire les lignes tracées, ces frontières immatérielles qui érigent les propriétés des rats avides, encore affamés. Il a en mémoire chaque méfait, chaque faute, chacun des faux pas orchestrés. Des drogues distribuées aux armes subtilisées. Des cadavres délaissées aux manigances cachées derrière un bois qu'on a fait brûler. Il connaît chaque nom, chaque visage, chaque existence. Il s'est aventuré au plus proche du danger, il a étudié jusqu'aux habitudes des vautours qui prétendent ces quotidiens si simples et rangés. Puis les mots résonnent, dénoncent les faits. Ces filles abandonnées au froid, au manque d'air. Ces créatures qu'ils estiment sans intérêt quand ils pourraient étrangement tuer pour un affront aux femmes et sœurs possédées. Les sourcils se froncent tandis qu'il réfléchit, qu'il s'enfonce dans cette affaire à peine commencée. Il n'entend plus que de moitié les suppositions, cet avis partagé qu'il réclamait. On les a envoyé là, sur ce territoire d'ores et déjà contrôlé. On les a envoyé là, sur des quais observés, surveillés, dirigés. En plein dans la nuée d'obsidienne, sous les ailes de ceux qui ne cherchent que le profit, mais qui ne savent rien gérer. Ils sont dissipés, éparpillés. Ils ont ce sang chaud qui contraste avec la gérance d'un trafic humain tel que la prostitution. Il réfléchit, il essaie de rallier les lignes entre elles. Il est silencieux, Roseburry, parce qu'il met bien trop de cœur dans cette enquête lancée. Une issue aux tourments qu'il s'impose, aux questions qui s'amusent à le molester. Une pause dans l'orage de ses songes, loin des dilemmes qu'il se doit de résoudre avant de pouvoir se relever. Il s'éloigne de son humanité, s'en remet à ce qu'il sait faire de mieux – œuvrer pour offrir un soupçon d'air frais à ces rues infectées. « That's the Irish area but they have nothing to do with it. Well, almost nothing to do with it. » C'est de son ressort, ce sont ses quartiers, son terrain de jeu ; son obsession en dehors de la corruption qui flirte dans les lieux qu'ils sont tous à animer. Il tique, Lestat, en y songeant. Les prunelles s'attardent sur les environs, sur les silhouettes qui vont et viennent, sur celles qui surveillent le bureau dans lequel on vient de s'imposer. Ils observent les réactions, ou ils essaient de deviner à quel moment leurs alliés auront alors à se cacher. Tout devient un prétexte à s'éloigner des pensées qu'il se doit de démêler. « I take the case. » Il ne lui demandait rien, le jeune homme qui s'avançait vers lui – mais il affirme, Roseburry, parce qu'il ne tient pas à rester ici.

Il a des dossiers à régler, des rapports à écrire. Il a des conclusions à faire, et pourtant, il s'emporte encore à vouloir rejoindre le terrain et en rajouter. Les heures ne sont pas extensibles, il aime à prétendre qu'elles le pourraient. « Mandarin you said, hm ? » La mémoire fouille, cherche, essaie de créer ces liens. Le passé, les années qui se sont écoulées – la tuerie dans le restaurant où les Italiens succombaient. Un piège, refermé sur ces têtes pensantes, sur les agents qui s'y rendaient en quête de réponses. Il se souvient des coups de feu, des vitres brisées, des blessés. Le détective qui y déversait ses tripes, la harpie qui se tenait à ses côtés – la sœur Lincoln épargné par les assaillants masqués. Les Italiens exterminés, dans un restaurant chinois, où des Irlandais semblent avoir eu un accès. Une alliance, le lien est là, dans les corridors de son esprit malmené. « They used the Irish to make them come here. » Il le dit dans un naturel déconcertant, l'homme qui se lève pour récupérer son manteau, ses affaires, jusqu'aux clés de cette voiture probablement mal garée. « It's your lucky day, you come with me. Let's talk with these girls, shall we ? » Ravivé, l'enthousiasme de l'homme. Parce qu'il s'agit de ce métier pour lequel il concède bien trop de son énergie, parce qu'il s'agit de cette pause dans la tourmente qu'il ne cesse de s'imposer. « What did they send you ? » Par acquis de conscience maintenant qu'il prend le temps de l'observer ; parce qu'il ne se souvient pas d'avoir aperçu ce faciès dans son bureau avant ces quelques minutes qui se sont écoulées.                     

Il s'enfonce dans l'infamie, il flirte avec les tréfonds que la ville dégueule. Il y a ce fiel qui coule, saccage la beauté des pavés d'autrefois. L'infection est tenace, vivace, elle prend les hommes, s'empare des cœurs jusqu'à n'en rien laisser. Rien que des toxicités, des cruautés ; l'absence d'humanité par les vices exacerbés. Le monde est corrompu, son humanité avec lui. Oeuvrer n'y changera rien, tous les efforts d'une vie ne guériront pas les plaies centenaires qui dégueulent encore leur poison. Il le sait, Lestat, même malgré cette détermination qui flamboie, malgré ce besoin qui le guide à trop s'activer. Il le sait, mais les traits que la mémoire font rayonner sont moteur ; il a besoin d'y voir un sourire, une parcelle de bonheur. Il veut la savoir en sécurité, loin des affres, loin des crevasses où les démons reposent en attendant de se rassasier. C'est pour cette jeune sœur fébrile qu'il doit encore s'essouffler. C'est pour elle, plus que pour quiconque, qu'il tente de faire régner le poids de la justice sur les ombres qui se sont multipliées. Celles qui grondent encore dans ces quartiers tant guettés. Il en a soupiré, Lestat, dans une solitude légère qu'on lui concède ; avant que cette silhouette ne lui revienne. Les questions qu'il posait sont encore en suspens, perdues dans le brouhaha de ces lieux désolés. Il réfléchit, Roseburry. Il s'aventure là où personne ne souhaite aller, dans le vortex infini d'un esprit qui ne cesse de gronder. Les orages sont violents, les bourrasques meurtrières. Il y a ce sang qui coule, ces noms qui défilent. Il y a ces suppositions qui virevoltent. Il y a ces secrets qui se cachent et contre lesquels il œuvre encore – déterminé. « So… you think someone is working with the Irish ? Il ne le pense pas, il commence à en être certain. Il les connaît, ces oiseaux noirs, ces volatiles de mauvaise augure. Ils sont cupides, insouciants. Ils sont sanguins, imprudents. Ils ne sont pas ceux qui orchestreraient un tel marché, ils ne font qu'agir, passer, puis s'envoler. Or… using the Irish ? Là, il s'en approche – il apprend. Il voit au-travers des voiles qu'on leur impose. Ou presque. I’ve seen more girls coming from Latin America than Asia on the streets… » Les espoirs qui s'étiolent aussi certainement qu'ils se sont amassés. Il en soupire, Lestat, délaissant cette ombre dans l'ascenseur quand les portes ont à s'ouvrir, la liberté à être rendue. Il quitte l'antre des idiots et des incompétents. Il s'en remet à la rue et ses parasites, aux litanies muettes qui serpentent sur les allées. « Because you don't know where to look. » L'arrogance dans l'affirmation alors que les parkings sont rejoints, le véhicule récupéré. Il est tenté de prendre les devants, mais patiente encore un peu pour le laisser s'installer. La journée va être longue, mais il croit pouvoir en tirer quelque chose de celui qui s'est présenté. Il a des informations que d'autres n'ont pas, faisant de lui une aide de choix.

Southwest s'indique, la voie délaissée.
Eastside rejoint, là où les couvertures magnifiques cachent la médiocrité.

Les rues sont propres, les maisons flamboyantes. Il y a ce luxe qui pullule, qui fait rougir ceux qui ne gagnent que quelques briques pour essayer de subsister. Les arbres flirtent avec les effluves des billets et la plupart des parfums rappellent la corruption à plein nez. Il méprise la plupart des habitations qu'ils ont à passer, il ignore les boutiques guindées et les restaurants chics qui brillent depuis l'entrée. Son intérêt est ailleurs, sur ces lieux que certains oiseaux ont fréquenté. Des noms récurrents, comme la promesse d'une guerre bien plus lourde que les précédentes. « Tell me what you see. » Ils se sont arrêtés, garés pas très loin des lieux observés. Un restaurant nouveau, tout juste retapé. Des lanternes clichées aux portes, des regards qui lorgnent les alentours pour ceux qui se tiennent devant. L'écriture originaire de ces contrées éloignées, la traduction pour rendre cette planque plus naturelle qu'elle ne l'est. Il dévoile une partie de son enquête, Lestat, en offrant aux prunelles innocentes du gosse à ses côtés la preuve même qu'une autre maladie s'implante sans un mot, sans même être remarquée. Dynasty Kong et son lot de secrets et de bassesse. Une nuée de corbeaux affamée de soufre, un dragon en quête d'empire et de richesses.                      

Les couleurs changent, diffèrent du reste. Les couleurs ne sont plus les mêmes, elles se ternissent à mesure que le tableau se forme. Des silhouettes informes, des spectres qui trahissent la noirceur qui rôde désormais. Les environs corrompus, la tranquillité mise à mal par de nouveaux secrets qui prennent racines, s'enfoncent comme pour infecter ce qui ne l'était pas encore. Les couleurs changent, plus vives et alarmantes ; un drapeau rouge qu'il tente de faire observer. Aux abois, Lestat qui ne fait que trop traîner. Aux aguets, l'homme qui refuse de voir la ville ployée puisque sa sœur y vit, puisqu'elle se doit d'en être protéger. Les valeurs mises à mal. Il veut faire le bien, mais les motivations sont uniques et personnelles. Il veut faire le bien, Roseburry, jusqu'à ce que le calme soit proclamé et que les armes puissent être rendues – le repos qu'il mérite et qui tarde à lui être accordé. Les couleurs changent, rendent alors l'avenir incertain. Patience dont il use encore, le Lieutenant, parce qu'il croit en ces rumeurs qui serpentaient. Il en vient à espérer que celui-là soit d'une aide précieuse plutôt qu'un nouveau fardeau à balader. Il aurait pu prier, Lestat, avant que requête ne soit honorée. Il lui réclamait sa vision des choses, l’interprétation de cette triste vue qu'il s'est mis à lui offrir. Les clichés servis, les véracités quant à la manière dont ces nouveaux lieux peuvent être contemplés. Ça suinte l'infamie, ça dégueule ce qui ne peut être appréhendé. Sur les lippes, un soupçon de sourire s'ancre – caché et minime, mais bien présent puisqu'une once de satisfaction en vient à se manifester. Il acquiesce à ce qu'il suppose, Roseburry – il lui laisse ces minutes pour pleinement briller. « Too much money for a family restaurant. Both in the customers and place… ; les traits qui s'animent encore, tandis qu'il reprend un peu de sa prestance sur son assise. And… hm… I guess… you’re trying to tell me it’s related to what we found on the docks… am I right ? » La courbe aux lèvres s'est un peu plus appuyée – elle marque enfin ce plaisir à jouer avec ces enquêtes qu'il entend bien boucler. « Tell me what you think… » Penser, le terme inapproprié. « Thinking is not really what I do. » Pour parer à ce qui semble de plus en plus les encombrer. Les songes emmêlés, la raison qu'on veut faire prôner quand l'instinct pourrait tant aider.

Les bases ont été oubliées depuis bien trop longtemps.

« Not, it is not about what I think but about what I know. »  La main s'est levée, faisant le chemin entre ces lieux tout juste instaurés et la marina qui commence à battre son plein – prête à accueillir ceux qui peinent à voir, à comprendre. Des familles et des adolescents, des âmes trop innocentes pour savoir que les quais de plaisance sont déjà souillés du soufre qui aura à les asphyxier. « They're working with those Irish and I have no doubt about this information. These people, they have the same need, the same mentality. » L'évidence dans ce qu'il en a déduit. L'aisance avec laquelle ils parviennent à cohabiter. Il y a ce naturel qui revient, le profit mise en avant pour contrer les quelques préjugés qui auraient à tout faire chavirer. « You wanted to know where these girls comes from ? Here's your answer. They make them come here and then, the Crows would have sold them or, they would have help those gentlemen here to send them away... maybe Chicago or something like that. That's how it works but I'm not telling you anything, you already know that. » Il le vantait comme un atout à s'approprier. Il le vantait comme un élément prometteur – il y croit, tient encore seulement à pleinement s'en assurer. « Now, these women have a week or two to help us in this before the imigration send them back. We won't take down all of them, I made my peace with that, but just a few names, that's all we need to hit with enough impact. »