So fucking electric • Andrea Lombardi

Andrea secoua légèrement sa main en arborant un sourire crispé. Ca faisait vingt minutes qu'il était là, et il semblait qu'ils s'étaient tous mis d'accord pour lui filer une entorse avant la fin de la soirée. Sans vouloir jouer les extra-lucides, il savait que ce n'était pas aussi innocent que ça en avait l'air au premier abord. C'était comme le fait de croiser les bras pour mettre une distance, c'était du langage corporel – et, dans ce cas précis avec les poignées de main trop affirmées, ça signifiait qu'ils tentaient de l'écraser. Au sens figuré, pour l'instant, mais tout de même, ça l'agaçait. Beaucoup avaient entendu parler de son arrivée ici après avoir passé des années à New York, et ils interprétaient ça comme un déclassement à l'image de la réputation merdique de Detroit. C'était un endroit qui ne faisait rêver personne, et le poids qu'avaient les différentes organisations illégales sur la mairie ou les forces de l'ordre n'arrangeait rien à cela. Personne n'était dupe au point de ne pas deviner pour qui il travaillait réellement – il n'était pas un simple investisseur, ce qui, au demeurant, lui valait quand même des invitations à dîner ou à des évènements presque tous les soirs. Les gens couraient après l'argent et carressaient dans le sens du poil ceux qui en avaient, mais au fond, ils le détestaient, sans doute. Cela dit, c'était réciproque. Andrea leur trouvait à tous un air campagnard absolument détestable.

La suite de son errance le conduisit près du chargé d'évènements de la mairie, qu'il connaissait plutôt bien depuis qu'il avait été question de réinvestir le Palazzo pour en faire un cabaret rutilant. Cet abruti avait voulu imposer certaines décisions architecturales de mauvais goût au prétexte d'un soit disant patrimoine historique – alors que cette ville misérable était littéralement un champ de ruines, ce type ne doutait vraiment de rien. Il avait même essayé de lui pondre une ordonnance d'obligation face au refus d'Andrea de prendre ses avis en considération, et le problème avait été réglé par un paiement glissé sous le bureau du chargé d'évènements, qui s'était ensuite estimé satisfait. Inutile de préciser qu'Andrea le méprisait de toutes ses forces.

Il lui servit un large sourire hypocrite quand ce crétin osa mentir sur la qualité du champagne, n'ayant aucun problème à se foutre de lui en public, ce que le fonctionnaire feignait d'ignorer. Il n'était pas seul – le couple Ford était là aussi (Andrea les avait reconnus, puisque déjà croisés de nombreuses fois ici et ailleurs), ainsi qu'une jeune femme qui, elle, lui était inconnue. Il n'écouta pas vraiment les présentations, se contentant de serrer la main qu'elle lui tendit, et bien vite, le chargé d'évènements pris la fuite, juste après ceux qui avaient bâti leur fortune familiale durant le IIIe reich.Tant mieux. Andrea leva brièvement les yeux au ciel comme s'il priait pour tous les abrutis qui l'entouraient (ou plutôt pour en être définitivement débarassé), et en retombant, son regard aterrit sur la jeune femme qu'il n'avait pas vraiment observée jusque-là, ce qui, vu sa plastique parfaite, était assez étonnant d'ailleurs. “Hey. Artificière, hein ?” Sourire en coin un peu las, et il passa une main dans ses cheveux pour les remettre en place. “Je n'en avais jamais vu de près.”

Il était toujours cynique, parfois un peu trop, mais son statut semblait lui épargner pas mal de remontrances pourtant justifiées. “Ne le croyez pas, pour le champagne. On dirait de la pisse, et si ses goûts sont aussi biaisés pour l'alcool, je n'ai vraiment pas envie de savoir le reste. A mon avis, vous avez totalement raison de refuser son offre.”

L'homme glissa ses mains dans les poches de son pantalon de costume, penchant très légèrement la tête pour mieux observer la jeune femme. Elle était... canon. Vraiment. Dans d'autres circonstances, il n'aurait pas hésité à lui proposer de travailler avec lui – mais l'expérience lui avait appris que ce genre de soirées n'était vraiment pas le lieu idéal pour ça. “Andrea Lombardi. Je suis le propriétaire du Palazzo, vous avez du en entendre parler. L'autre crétin vous dira que la mairie a dépensé sans compter pour la rénovation, mais je peux vous assurer qu'il n'y a rien de plus faux – à part peut-être ses cheveux.” Nouveau regard rapide vers le plafond. “Des implants – mal réalisés, c'est vraiment d'une tristesse...” Et puis, il lui jeta un coup d'oeil un peu plus complice, comme s'il avait brisé la glace entre eux et qu'ils pouvaient passer directement à la vitesse supérieure, quelle qu'elle soit. “Pourquoi perdez vous votre soirée ici, Ezra ?”

Andrea souria poliment quand la jeune femme appuya ses critiques contre le chargé d'évènements, et ce sourire devint visiblement sincère quand elle nota qu'elle savait qui il était, de par sa répution. Evidemment, il adorait ce genre d'attention. “Merci. Ca a été une véritable purge pour réhabiliter cette ruine.” Il parlait du théâtre délabré racheté pour créer son cabaret, et les discussions pour savoir s'il fallait mettre des colonnes ioniques ou corinthiennes avaient effectivement duré quelques mois de trop. Heureusement, à présent presque tout était à son goût et était optimisé pour servir ses intérêts et ceux de la Gorgo Nostra.

Et puis, la jeune femme sexy qui avait décidé de discuter avec lui révéla qu'elle était là pour se faire un nom – ou une image, mais c'était plus ou moins la même chose. Elle faisait sa propre publicité. Andrea pencha légèrement la tête en l'observant, amusé, se demandant si une artificière avait sa place au milieu des politiques et des VIP financiers de l'état. Pourquoi pas, après tout ? Il trouvait ça assez folklorique, après tout on ne croisait pas ce genre de personne très souvent. Et il s'ennuyait, ce qui lui offrait une distraction tout à fait appréciable. Elle souligna ensuite le fait qu'il devait sans doute être ici aussi pour faire sa promotion, ce qui ne fit que l'amuser encore davantage.

“Oh, je n'ai pas à me vendre, ni ici ni ailleurs” répondit-il alors en lui faisant un clin d'oeil amusé. Et c'était la vérité, on venait le chercher, pas l'inverse.

“Je comprends très bien ce ressenti... mon assistante se charge de mes réseaux.” Il n'avait pas le temps de s'en charger lui-même, et puis il était bien trop haut placé pour ça. Ca ferait mauvais genre.

Il finit sa coupe de champagne au goût très moyen et la déposa à son tour sur le premier plateau qui passa à sa portée. “Je suis coincé ici par... devoir.” Il enfouit sa main dans la poche de son pantalon, et ses doigts effleurèrent le sachet de cocaïne qui se trouvait là. Soudainement, il avait terriblement envie de l'utiliser. Il souffla par le nez et releva ce dernier vers sa compagne d'infortune. “Que diriez-vous de partager un peu plus d'intimité ?” Et pour justifier sa question, il sortit le sachet de sa poche pour le lui agiter quelques instants sous les yeux. Il se foutait bien d”être vu, apparement – ce milieu était trop privilégié pour qu'il ait matière à s'inquiéter de ce qui était légal ou pas. “Il y a des toilettes dans le couloir d'à côté.”

Andrea se mis à rire quand Ezra parla des gens qui auraient aimé être ici à sa place. Elle avait infiniment raison – tous ceux qui n'avaient pas accès à leurs soirées s'imaginaient les privilégiés baignant dans le champagne en parlant de leurs soucis infiniment insignifiants comparé à ceux que traversaient le reste de la population, écrasant métaphoriquement l'existance des membres de cette dernière. Et c'était la stricte vérité : leurs soirées ressemblaient à ça. Mais Andrea adorait faire partie de cette élite, lui. “Les secrétaires sont toujours assez... coincées. Aucune d'elle n'aurait accepté de me suivre” glissa-t-il en même temps qu'un clin d'oeil amusé alors qu'ils s'avançaient ensemble vers le côté opposé de la pièce. Il avait gardé le sachet dans sa main, et il tendit son verre vide au premier porteur de plateau qu'ils croisèrent. Ce n'était plus d'alcool dont il avait envie pour le moment. Quant à sa question sur le devoir lié à sa présence ici, il avait pris son temps pour peser ses mots avant de répondre comme s'il s'agissait de quelque chose de tout à fait désinvolte.

“Oh, pas grand-chose. Vous savez, il s'agit de montrer qu'on est là où il faut être.”

Une réponse très vague, mais en soi cela n'avait rien d'un mensonge. A elle de l'interpréter comme il lui plairait. Il salua encore une ou deux personnes au passage, sans s'attarder davantage pour discuter. Un grand rideau marquait l'entrée discrète d'un couloir qu'ils parvinrent enfin à rejoindre, et Andrea marcha droit jusqu'à la porte des toilettes des hommes, qu'il ouvrit en s'écartant pour laisser Ezra entrer la première. Ce faisant, il en profita pour la regarder de haut en bas, saluant mentalement sa... prestance. Puis, il referma la porte et désigna la cabine du fond. Il n'y avait personne, mais il ne servait à rien de chercher volontairement le danger, quoi qu'il ne lui arriverait sans doute rien si qui que ce soit les surprenait ici en train de s'enfiler quelques lignes. Il n'empêche, Andrea semblait ravi comme un gamin prêt à commettre une faute, l'alcool qu'il avait déjà bu l'aidant indiscutablement à se montrer sous son meilleur jour à la jeune femme. Il était beaucoup moins froid dans ses sarcasmes et beaucoup plus à même d'éclater de rire devant tout et n'importe quoi.

Une fois la porte de la cabine refermée, la notion d'intimité relevée un peu plus tôt prenait enfin tout son sens, vu la proximité qui était la leur désormais. Andrea se marra un peu en exposant à nouveau le sachet de poudre immaculée, et il laissa glisser son dos le long du mur pour se retrouver assis près de la cuvette des toilettes, qu'il referma avant de poser son téléphone dessus.

“Alors, Ezra...” Il ouvrit le sachet et déposa une quantité raisonnable de poudre sur son téléphone avant de se tortiller un peu pour sortir sa carte de crédit de sa poche. “J'espère que la soirée vous semble plus intéressante, maintenant.” Ca se voyait qu'il était passablement ivre, parce que ses mouvements étaient loin d'être aussi précis qu'ils auraient du l'être. “Parce que la mienne, ouais.” Un regard brillant d'amusement se planta dans le sien. “Comment vous compter me payer pour ça, hm ?”