(( four )) prideful vibe | llewyn

Le plus jeune qu'il laisse vagabonder, l'autre qu'il s'empresse d'approcher. Le temps qu'il leur consacre, Phoenix, parce qu'ils ont tant à partager. Eux, plus que quiconque. Eux, parce qu'ils ont tant d'années à rattraper. Le temps qui manque, mais l'opportunité saisie, empoignée. Il a cherché une bouteille, d'autres verres à salir encore – qu'importe. Il s'est avancé, les épaules hautes, l'esprit un peu plus ressourcé. Les chiens qui devancent, encore, qui se jettent sur cet oncle qu'ils apprennent à apprécier, dont ils réclament les attentions maintenant qu'ils ont usé de celle du maître. « Hey, calm down a bit assholes. » Il insiste, parvient à l'en défaire. Ils aboient, attirent l'attention et les rires ; mais lui ne s'en remet qu'à cet autre frère, à l'étreinte nécessaire – comme à tous depuis qu'il s'approche pour les remercier. « Looking good tonight, do I need to remind you it supposed to be my night ? » Pour taquiner, pour saluer cette apparence soignée – parce qu'il trahit toute la fierté qu'il aurait à lui porter et lui ne peut qu'en être touché. Les paumes aux épaules quand ses biens sont lâchés. Face à face qu'il improvise, les mots absents puisqu'il aurait tant à réciter. Des souhaits oubliés aux espoirs qu'on a brutalement molesté par le passé. Le souffle coupé quand solitude s'était mise à claquer, ses griffes enfoncées dans la carcasse du gosse qui priait qu'on lui reste ces deux fragments de lui, emportés là où seules les ombres s'étaient mis à régner. Un sourire, marqué de la culpabilité qu'il n'arrive pas à chasser, mais de cette sérénité acquise dès lors qu'ils se sont retrouvés. « He's somewhere if you want to catch him later. Parce qu'il l'a probablement cherché, parce qu'il ne peut qu'apprécier ces liens qui se tissent – non pas seulement avec lui, mais dans cette fratrie en entier. Did she said something already ? » Il désigne cette femme avec qui il s'était présenté – la femme de sa vie comme il l'appelle, et ce bonheur qu'il ne peut que lui partager. Il lui souhaite le meilleur, Phoenix, n'a jamais fait que cela en vérité. Plein d'optimisme, l'homme, quand il s'agit de ceux qui lui sont chers – pessimiste quand il s'agit de lui-même. Sa chance est passée, elle a vogué vers d'autres terres, d'autres contrées. Elle lui échappe, le regard qui s'abaisse un peu plus à chaque mot échangé. Il ravale sa détresse, il ravale ces maux qui ressurgissent des profondeurs méprisées. Un souffle, un rire, avant que l'euphorie ne revienne se mettre à gueuler. « What do you think, you ? You like it ? » L'approbation fraternelle qu'il cherche, Ledger premier, pour appuyer un peu plus cet émerveillement quant à ce qu'il a réussi à réaliser. Les verres qu'il apportait qu'il sert, d'ores et déjà levé. Ce n'est pas le premier, ça ne sera probablement pas le dernier – mais il compte bien en profiter, savourer cet instant, comme si demain menaçait déjà de tout lui enlever.             





   

Imparable, ce sentiment qui s'est mis à gronder. Le besoin de tout entendre, de voir ces sourires s'élargir, de ressentir cette même fierté pour ces lieux qu'il dévoile, pour ce monde qu'il partage. Incessante, cette nécessité qui prend et condamne toutes ses pensées. Les phalanges tremblent, cachées, crispées de cette peur de voir ne serait-ce qu'une étincelle de déception sur le faciès de ce frère retrouvé. Il s'est laissé noyer, Phoenix, chérissant l'étreinte amenée pour masquer tout ce qu'il ne parvient pas à énoncer – le fond des songes, les plaintes du cœur qui se nourrit de chaque seconde à leur côté. Il s'apaise. Il essaie de taire les malins et les moqueries qu'ils ont à murmurer. Il s'apaise, s'enivre à cette prospérité – il tente d'accepter cette pleine et entière réalité. Le sourire qui rayonne, le rire qui tinte encore dans le brouhaha ambiant. Là, le costume désigné, les paumes qui y passent pour un peu plus le lisser. Ils sont nombreux, les commentaires sur l'audace dont il a usé. « Yeah, I did my best. » Tandis que les prunelles s'égarent, s'abandonnent sur les alentours. Assemblée, présence adorée. Assemblée, ce monde qui vient honorer ces liens forgés. Assemblée, ces êtres pour qui il aurait tant à donner. Fier et reconnaissant, les mots manquent tandis que le plus jeune des frères parade et qu'ils l'observent. Il a ce rictus tendre qui s'accroche à ses lippes, il a ces éclats sereins qui flamboient sur l'eau et la terre, sur les iris quelque peu dilatées, déjà marquées d'une euphorie sévère. « And of course we will. » Il n'y manquera pas, accrochera le cliché dans le bureau qu'il s'est approprié. Ils n'y manqueront pas, certitude appuyée, parce qu'ils ont tant à rattraper. Tant à partager. Toute une vie à s'approprier. Puis il y vient, sur ces commentaires qu'il réclamait. Magnificence qu'on lui vante, les efforts qu'on applaudit. Fierté qu'on lui lègue, et le muscle sous les côtes se gonfle encore, pompant inlassablement le sang réchauffé, ce bien-être qui circule en délicieux poison dans les vaisseaux gonflés. Touché, plus qu'il ne pourrait réellement l'exprimer. Touché, autant que s'impose cette brève humidité au regard qui choisit de rapidement se détourner. « Naaaa... Don't, it won't be that great. » Modestie momentanée, lui qui espère pourtant pouvoir faire reconnaître son nom, s'ancrer dans un univers où toutes les portes lui semblaient pourtant fermées. Dieu qu'il aurait pu prier, Phoenix, pour faire partie de ces grands qu'il a toujours adulé. « But thank you... really. » La main sur le cœur, instinctive. Le geste qui semble anodin, mais qui témoigne de tout ce qu'il ne parvient pas encore à exprimer. Il a tant à dire, seul le temps parviendra à délier la langue encore cachée. « No, wait. Can you imagine ? Me ? On the first page of a fuckin' newspaper ?... Ladies will fight each other to buy it. I'll be a hero for the journalists. » Et il fait mine d'y réfléchir, l'idiot, avant qu'un rire ne vienne défaire le mime du penseur. « C'mon, you have to see what it looks like from upstairs. » Là, il s'éloigne déjà, les chiens qui s'empressent de suivre dans la foulée, s'arrêtant ici et là pour ses présences qu'ils connaissent et qu'ils tiennent d'un coup à déranger. Lui, il ne s'en remet qu'à Llewyn. Lui, il s'en remet à ce frère qu'il invite à s'asseoir un instant à la table qui laisse la vue se dégager. « Here. Une pause, le sourire qui n'a pas quitté les traits. How you're doing ? I didn't even ask. »              





   

L'euphorie s'immisce, lancine jusqu'aux veines pour les corrompre, pour les gonfler – il en tremble encore un peu, l'idiot qui ne prend pas encore conscience de ce qu'il est en train d'accomplir. Il nage à contre courant, flirte avec quelques brumes, quelques fumées étranges qu'il ne parvient pas tellement à interpréter. Il est ailleurs, dans un entre-deux dérangeant et satisfaisant. Et il l'imagine à son tour, cette couverture qu'il était le premier à évoquer. Un autre rêve, un fantasme en vérité. Ce ne sera jamais qu'une idée qu'il persistera à chérir, une ambition de plus dans la longue liste des choses qu'il ne réalisera pas. Et qu'importe, qu'importe finalement puisqu'il les a eux, ces frères retrouvés. Les spectres du passé devenus réalité. Il s'y accroche, il choisit de pleinement s'y abandonner – il en profite du mieux qu'il le peut, là, installé à ses côtés. Les prunelles scintillent des lueurs qui vont et viennent, baignent les lieux de cette aura singulière. La courbe reste aux pulpeuses, une ligne tendre qui rappelle l'existence de celui qui croyait se fissurer. Il l'entend battre, cet endocarde qui parvient peu à peu à se raviver. Il l'a remercié d'un énième sourire, d'un léger coup à l'épaule ; les mots s'inscrivent contre les parois de son âme, gonfle sa fierté. Mais il cesse les enfantillages, retrouve comme une espèce d'improbable sérieux quand le plus jeune daigne enfin lui répondre. Il y a ce calme qu'il lui décrit, comme une ligne simple et droite, sans tressautement dans sa continuité. Un destin mérité, une parcelle de sérénité à pleinement s'approprier. Il voudrait l'encourager, l'aîné qui a failli par le passé. Il aurait tant à dire, tant à lui faire entendre pour que celui-ci puisse s'apaiser – mais il connaît trop bien les démons avec lesquels il se doit de batailler. Il en fait les frais à chaque jour qui s'épuise, constamment rattrapé par les ombres qui peuvent le guetter. Aussi, il n'a pu qu'acquiescer, Phoenix, avant que le sang ne se paralyse, avant que l'âme n'ait l'impression d'étouffer. La trachée serrée, le cœur meurtri et le regard égaré. Il prétend ce bonheur, cette perfection dans le timbre qu'il laisse parfois s'emporter. On le croit à l’abri du moindre maux, comme insensible aux piqûres du monde à son encontre ; et pourtant, il n'a fallu que d'un nom pour le décontenancer, pour faire apparaître cette pointe de douleur dans le regard dépareillé. « You got so many pretty girls around you it’s unreal. » Too many actually. Non pas qu'il ait à s'en plaindre, mais ses craintes lui jouent des tours, les séquelles du passé forcent les sentiments à parfois trop prendre les devants. Elles sont quelques unes à retenir son attention, parce qu'elles parviennent à lui offrir cette sensation d'exister. Le sourire est maigre qui stagne sur les lèvres, puis le soupir vient, trahir jusqu'aux non-dits qu'il essaie de ravaler. « Yeah, I'm sure it's because of this shirt, you know. » S'il est crédible dans cet essaie de légèreté ? Pas le moins du monde, mais il tente, Phoenix, pour ne pas s'enfoncer là où les démons veillent et où la chute l'appelle. « She was ma girlfriend but... it is what it is now. Les épaules qui se haussent, terre et mer toujours baissées. Les prunelles lorgnent un point invisible, jusqu'à s'abandonner sur la danse de ses phalanges sur le verre d'ores et déjà vidé. I've fucked everything up. I lived with her and Willow for a month or two and... well, anyway. Il s'est redressé, celui dont la gêne se dévoile. La jambe tremblante, le regard fuyant, la honte qui suinte de ses traits. Il est pathétique, Phoenix, à agir comme un enfant ; tout en sachant pertinemment qu'il est le responsable, sans chercher à le nier. À demi adulte, à demi gosse effrayé. I would love to try again with her, don't get me wrong, but she's with someone else now and... like you said, I've plenty of pretty girls around me. » Too many, actually. « What about you, with your girl ? You've got some plans or something like that for what's coming next ? »               





   

Il essaie de ne pas y songer – les erreurs, les regrets, la honte et la culpabilité. La noirceur sur l'âme qui tente son ascension, un orage cuisant qui s’apprête à tout ravager. Il aurait tant à dire, tant à revendiquer ; le courage pourrait alors briller, mais il tient son repaire, la cache dans laquelle il s'enfonce. Il manque à la carcasse qui s'anime et tremble. Il manque à cette essence qui chavire, consumée par les flammes des réflexions trop poussées, pas assez martelées. Tout et rien, un paradoxe infini qu'il crée sans le savoir – ignorant des conséquences de chacun de ses actes, conscient pourtant de ceux qui touchent jusqu'au pauvre muscle qui peine à se relever. Là, ce sont les confidences qu'il tente d'effacer, l'attention rendue à celui qui reprend pourtant ses fardeaux par les cornes, qui y distille comme une once d'espoir que Phoenix ne possède plus. Il s'improvise guide, Llewyn, pour celui qui a failli il y a bien des années. Il ne mérite pas cette main tendue, les paroles récitées. Il ne mérite pas cette inquiétude qui brille maigrement dans les prunelles croisées. Alors les joues se sont colorées, les traits se sont abaissés. Sous les côtes, les battements sont plus lourds, conséquents. Symphonie-litanie qui serpente jusqu'à déposer son venin aux côtés des fantasmes réprimés ; il rappelle ces parcelles d'infini qui pourraient encore avoir à se manifester, un élan de la vie pour parfaire la destinée qu'il s'imaginait. Loin des tourments, aux bras de celle qu'il appelait sa dulcinée. Patience supposée, puis le retrait des troupes – le frère prétend ne rien y connaître quand, déjà, bien des conseils ont été soufflés. Il en a sourit, l'oiseau calciné. Un rictus aux pulpeuses tandis que Terre et Mer s'abandonnent sur ces silhouettes qui se frôlent et se rejoignent ; marée humaine dans laquelle se cache ces lueurs grandioses auxquelles il ne cesse d'aller se brûler. « You don’t know what life will bring you tomorrow… today it brings you your family, friends, a restaurant and… yeah. So many pretty girls. » Ces dernières en particulier. Elles sont ancres. Elles sont cette décimation à laquelle il ne peut s'empêcher de s'abreuver. Il croit y trouver une sérénité, n'y trouve à chaque seconde qu'un peu plus de regrets. Il joue avec le feu, s'y brûle plus qu'il ne le devrait. Les pensées s'y perdent alors, à reprendre chaque exemple dans l'ordre donné. Family. Ses frères qui peuvent désormais apparaître avec lui sur ces clichés à immortaliser, sa fille qui va et vient entre les invités, qui tente de faire valoir sa présence auprès de ceux qui acceptent de se pencher pour tout écouter. Euros qu'il aurait dû davantage approchée, devant qui il n'a pas su pleinement s'exprimer. Friends. Parce qu'ils ont tous répondu présent à l'invitation qu'il lançait, parce qu'ils sont les fondations même de cette stabilité précaire sur laquelle il parvient à se reposer. Des plus proches à ceux qu'il connaît moins, tous ont cet intérêt sincère à s'assurer que ce monde puisse pleinement se révéler. A restaurant. Le rêve du petit garçon qui se réalise, qui s'implante dans cette énième chance qu'il n'a pas mérité. La fierté en étendard sur la magnificence des lieux qu'on ne cesse de vanter, l'ego gonflé d'avoir su s'émanciper des affres de sa monstruosité. So many pretty girls. Toutes plus importantes que les autres, sans pour autant parvenir à lui faire oublier les syllabes que beugle l'endocarde molesté. Il s'y perd, Phoenix, avant que la voix ne vienne l'en tirer, un lien scintillant qui apparaît dans l'ombre de ses névroses et ses pensées déchirées. « What’s next… hopefully, making you an uncle ? That’d be great. We’re … working on it. Il s'est redressé, le regard de nouveau levé – posé sur le deuxième damné de cette lignée malmenée. Une large courbe aux lèvres, le bonheur qui prend ses droits sur ces traits déjà tirés. But eh ! I’m fine otherwise, I’m in the best restaurant of all of Detroit. » Le contact bref, les iris qui s'élèvent vers ce qu'il avait à exposer. L'émergence de son univers, le fond caché de cet esprit si torturé.

Humble qu'il en devient, à secouer le faciès, réprimé ce que beaucoup se sont mis à clamer. Puis reconnaissance en vient à s'imposer, en un éclat dans le regard, en une étoile singulière qui émerge dans ce paysage déjà particulier. Il le sent se gonfler, le cœur sous ses côtés. Plein de tout ce qu'il ne parviendrait pas à nommer, cherchant cette vitalité dont il a tant manqué ces dernières années. Il croit respirer, s'élever. Il croit pouvoir sentir ses ailes se déployer, flamboyantes de ces halos perdues puis récupérées. Au milieu de tous ces êtres qui se sont déplacés, il a l'impression d'exister. Pour la première fois depuis des mois et des mois à errer, Phoenix n'est plus spectre. Mais il y a ces murmures qui perdurent, ces révélations qui continuent de perler contre les corridors de l'encéphale qui s'est embrasé. « We don't fucking care 'bout that right now. Did you just said I could be an uncle ? Man, I... I don't... Jeez ! » Il s'est redressé, encore, ce sourire con qui lui colle au faciès. « You know what ? It's gonna work. » Certain qu'il s'en fait, il lui insuffle tout ce bon qu'il possède, tout cet espoir qu'il parvient encore à expirer. Il lui promet en une implicite petite phrase que tout ira selon ses souhaits. « And I'll be there. Whenever you need. » Le lien qui s'accentue encore, une petite ligne discrète qui s'enfonce entre les poignets des frères qui se sont brièvement isolés. Lien sacré. « I don't have any advice to give you and I'm sorry for that but really, I'll do my best if you need me. » Parce qu'il n'a pas vu les premières années de sa fille, parce que ces regrets là reviennent frapper de plein fouet. Il aurait pu tout lui apprendre, de la patience à l'instinct auquel se préparer. Il aurait pu lui confier mille et une solutions pour mieux respirer, s'en sortir, pleinement s'émerveiller du moindre instant à sa portée. Mais il ne peut que taire cette triste vérité, le fait qu'il ne soit encore qu'un abruti qui essaie de grandir pour celle qui œuvre que depuis deux ans à peine dans son empire. « I don't have... I don't know how it could be, to hold someone that lil' in your arms but yeah... you'll see. Everything will be so damn better. » C'est tout ce qu'il peut lui partager, cette simple vérité qui pèse déjà tant dans l'équation d'une telle conversation. Parce qu'elle est devenue cette parcelle de sérénité, Willow, quand il pensait pourtant être en train de s'égarer. Elle s'est faite phare auquel se repérer, un halo clair sur les sentiers sinueux de ce dessein saccagé. « Don't let anyone tells you otherwise : you're gonna be good parents. » Et de ça, il en est certain. Parce qu'il n'a pas eu à vivre avec les maux et l'agonie, parce qu'il n'a pas eu le même modèle que celui qu'il a dû encaisser. Parce qu'il est quelqu'un de bien qui parviendra à faire d'une petite âme quelqu'un d'encore meilleur rien que par les caresses de ses mains. « Take my word, it's gonna work soon, and we're gonna drink to that ! »