Say Hi to your new neighbors ✫ Raven

Quelques jolis billets proposés aux propriétaires d'appartements dans le Southwest ; des taudis rachetés bien au-dessus de leur réelle valeur sur le marché. Toutefois à mes yeux, ils n'ont pas de prix, leur unique valeur réside en leur localisation unique. Les deux voisins de palier de Raven. Des toxicos ou autre populace de bas étage, délogés pour enclencher des rénovations. Pour y élire le nouveau domicile d'un second homme de main, Kelly et le miens, occasionnellement. L'avantage certain que la belle n'ait eu pour seul choix que de vivre dans le quartier des Crows, la certitude qu'elle n'a pas les moyens pour déménager. Si au résultat, elle s'en retrouve coincée, c'est pour son bien, sa protection. Qui sait ce que la Gorgo pourrait tenter à son encontre, afin de m'atteindre ? Ce que quiconque pourrait lui faire, dans ce quartier craignos ? Je m'accorde le mérite de lui laisser son espace, de ne lui forcer la main à rien. Elle finira bien par se rendre compte que je ne cherche que son bien, non ?

Le mois de travaux terminé, les ouvriers ont su faire du beau boulot. Faut dire que vu la paye et leur réputation dans la réalisation de barraques de luxe sur Détroit, je n'en attendais pas moins. Kelly prend ses appartements tandis que je m'installe dans les miens. Assis sur un fauteuil confortable proche de l'entrée, je bouquine paisiblement dans l'attente d'entendre la voisine. Nul besoin de jouer l'espion, autant me présenter directement à elle. Si je l'aperçois de temps à autre, à la faire suivre, ca ne vaut pas un échange en face à face. Qui sait quel reproche elle va me faire cette fois… Elle ne cesse de m'en faire voir de toutes les couleurs depuis mon arrivée dans cette ville fade ; son activité d'escorte, son avortement, mon enlèvement par ses chers patrons, ses sales fréquentations… Elle n'a pas bien conscience dans quoi elle trempe. Ca ne peut que finir par se retourner contre elle.

Lorsque je finis par percevoir sa porte claquer, je me redresse sans une hésitation. Lissant machinalement mon costume, je me saisis des deux petites boîtes qui attendaient patiemment sur la table du salon. L'une plus petite superposant l'autre, les deux enroulées d'un fin ruban doré. Des perles de coco du plus grand restaurant chinois de la ville, ainsi qu'un fin bracelet. Cher, mais pas assez pour avoir un réel intérêt à la revente. Je sors de mon logement pour aller toquer doucement au sien et veille à me mettre légèrement à l'écart du judas, m'appuyant nonchalamment contre le mur. Lorsqu'elle finit par ouvrir, je lui souris, sincèrement heureux de la revoir. < Bonsoir Ravie. Je souhaitais me présenter directement à toi, comme ton nouveau voisin. Et t'apporter ces présents… J'espère que tu vas mieux ? > Je lui demande doucement, référence à ses derniers démêlés, soucieux qu'il ne lui soit rien arrivé d'autre de fâcheux.

La porte repoussée d'un petit coup de pied, la clé immédiatement enfoncée dans la serrure pour plus de sécurité, et elle déposa nonchalamment le trousseau dans un pot précisément destiné à cela. Elle perdit douze centimètres en descendant de ses talons et les ramassa pour les ranger à leur place, dans un meuble également prévu à cet effet. Tout était carré chez Raven, tout était propre, rangé, ordonné, les couleurs discrètes, complémentaires, malgré des meubles tous sans exception récupérés à moindre coût. Certains avaient dû être repeints et elle s'y était attelée les premiers jours, d'autres avaient gardé leur aspect un peu abimés mais elle n'avait pas forcément les moyens et le temps de leur donner un coup de frais alors elle les avait couverts de tissus ou de napperons pas trop vieillots. Quelques babioles chinoises étaient posés ici et là, rien de trop difficile à bouger pour faire la poussière, et quatre livres pour enfants étaient entassés par ordre de taille sur la table basse du salon. Des livres en anglais. Dans tous les cas, rien ne trainait et il y avait une odeur persistante d'encens qui flottait dans l'air. D'ailleurs, la première chose qu'elle fit après avoir déposé sa veste fut d'en allumer un bâton. Elle attrapa ensuite un élastique pour attacher ses cheveux et commença à déboutonner son pantalon quand trois coups résonnèrent sur sa porte. Son coeur se figea, quelques secondes, tandis qu'elle imaginait aussitôt Caleb et son sourire machiavélique derrière la porte. Sur la pointe des pieds, elle se déplaça jusqu'au juda, mais rien. Personne. Ca puait le piège. Elle laissa reposer son front contre la porte, se donnant quelques secondes pour reprendre contenance, puis elle ouvrit. Valait mieux ça qu'il défonce la porte. Mais en relevant les yeux, nul corbeau devant elle. Et malgré tout le contrôle qu'elle pouvait avoir, son visage exprima toute la surprise de voir son mari devant elle. < Bonsoir Ravie. [...] > Le temps de compréhension fut incroyablement long, poussée au plus profond d'un déni qu'elle refusait d'arrêter. C'était une blague. Un mois qu'on lui cassait les rouleaux avec des bruits de marteau, de scie et de perceuse, et c'était lui ? Son expression surprise finit par se refermer, lentement, tandis qu'elle digérait la nouvelle, et elle ferma la porte. Tout simplement, sans un mot, sans dévier le regard, elle lui ferma la porte au nez. Coincée par la chaussure impeccable de son mari avant de pouvoir claquer, bien évidemment. Alors elle repoussa la porte en soupirant, levant vers lui un regard profondément agacé. « Evidemment. Je suis stupide, j'aurais dû m'en douter. » Son regard le détailla un instant, lui et ses vêtements trop chers, les deux paquets qu'il tenait à la main et qui ne l'intéressaient pas, et elle laissa échapper un petit rire, court, moqueur. « J'ai du mal à y croire. T'es si désespéré que ça que tu vas venir vivre ici juste pour me surveiller ? Je te donne pas trois jours avant de partir. Ou de payer tous les voisins bruyants pour qu'ils s'en aillent. J'espère que t'as du cash, parce qu'ils sont nombreux. »

Le visage de Raven semble être mis sur pause, quelques instants. Le temps que la surprise passe, que la nouvelle face son chemin jusqu'en haut. Si je ne m'attendais pas à grand-chose, loin de recevoir un accueil chaleureux, qu'elle me claque la porte au nez était bien dans mon top trois. Mon pied se glisse dans l'interstice, empêche la volonté de ma femme. L'avantage d'avoir des chaussures d'un luxe excessif se révèle en cet instant dans leur solidité. Douleur un peu plus contenue, bien que le choc soit ressenti. Ma main se pose doucement contre la porte, m'avançant légèrement dans l'encadrement, tandis que Raven se résigne à me confronter. Son agacement me décroche un mince sourire. Mieux vaut cela que de la laisser de marbre ou l'effrayer, j'imagine. < Tu n'es pas stupide… > Je lui glisse sincère, toujours dépréciateur qu'elle en arrive à se dénigrer à la première occasion. Son rire à contrario, me fait souffler de lassitude. Le moindre de nos contacts est-il voué à une conclusion désastreuse ? A la répétition de ce même schéma ?

Je ne me considère pas désespéré. Particulièrement entêté, oui, certainement. < Te surveiller ? Non. > Je lui réponds avec évidence. Si je déprécie grandement ses activités et fréquentations, je ne l'en ai pas détourné. Pas encore. Pas contre son gré… Escorter, franchement, il y a des manières plus dignes pour gagner son pain. Et les italiens ? Ceux d'ici ne sont que de pâles copies… < Te protéger, oui. Tu ne veux pas venir avec moi, alors je viens à toi. Entre ce qui t'es arrivé et ce quartier, on ne peut pas dire que ce soit exagéré… > Evincer deux familles de leurs domiciles, tout retaper pour mettre à mon goût, dédier un appartement pour ma personne et un autre pour l'un de mes sbires… Non, c'est une réaction emplit de bon sens. < J'ai isolé un peu plus les appartements, c'est évident. > Je lui rétorque de manière banale, puis pointe la troisième porte du pallier, derrière. < Je ne compte pas vivre ici jour et nuit, mais Kelly, oui. Une femme, si ca peut te mettre plus à l'aise. Voici son numéro. > Je lui tends une carte de visite tirée de ma veste, produite spécifiquement pour Raven, avec une photo en vignette et ses coordonnées. Avançant légèrement mes présents dans sa direction, je finis par lui demander, < Tu m'invites à entrer ou on reste sur le palier pour imiter ces voisins bruyants ? >

Toujours ce même schéma dont il abusait. Les compliments, la douceur, la mise en avant de son incroyable chevalerie poudrée de bonnes intentions, comme si la notion de "bon" pouvait le définir. « Je n'arrive pas à croire que tu sois capable de te convaincre de tes propres mots. Tout ce que j'ai subi depuis que je suis ici, ce n'est rien comparé à ma vie passée avec toi. » Une petite piqure de rappel, injection de la vérité qu'elle n'a plus envie de lui épargner, pas plus qu'elle ne veut encore le supplier d'arrêter les coups, les humiliations, les regards méprisants. Le regard porté un instant sur la porte qu'il désigne, et elle prit la carte qu'il lui tendait. Un nom, un visage, un numéro de téléphone. Pendant une fraction de seconde, trois fois rien, à peine perceptible mais bien présent, un sourire malveillant se dessina avec élégance sur le visage de Raven qui releva les yeux vers son mari avec une innocence presque effrayante. « Oh, une femme, hein ? Quelle touchante attention. » Il ne savait pas. Il ne pouvait pas savoir, il ne pouvait pas deviner. Jusque là, qu'avait-il bien pu découvrir ? Qu'elle fréquentait les italiens, qu'elle travaillait pour eux, qu'elle jouait de ses charmes pour gagner de l'argent, des informations peut-être. Comment pouvait-il deviner qu'il l'avait brisé au point où elle serait prête à pousser un aveugle sur une route à l'heure de pointe si ça pouvait servir ses intérêts ? « Je ne manquerai pas d'aller lui dire bonjour. »

La jeune femme observa les cadeaux un instant, prit le premier, avec les boules de coco. Elle l'ouvrit, haussa un sourcil et en prit une pour la malaxer doucement entre ses doigts. Encore tièdes, la pates un peu collante, la boule se déformait sans aucun problème. « Deux années d'un mariage désastreux, cinq années à te fuir, et tu te présentes devant moi avec... ça ? » Le rire, léger, à nouveau insultant. Elle secoua légèrement la main pour laisser la boule s'écraser par terre, avant de prendre l'autre paquet pour en sortir le bracelet qu'elle examina, évaluant son prix d'un rapide coup d'oeil habitué. « Et un bracelet de chez Tiffany. Quelle déception. » Elle le laissa retomber dans la boite et mit son pouce et son index dans sa bouche le temps d'en retirer le sucre collé sur ses doigts. « Tu vas devoir faire mieux que ça. » Un petit coup de tête vers la porte de Kelly et elle sourit à nouveau, d'apparence confiante. « Mais peut-être que ça lui plairait ? Ce ne serait pas la première catin chez qui tu passerais la nuit sous mon nez, après tout ? » Le sourire disparu, elle glissa la carte de visite dans la petite poche de la veste de Maddox et l'ajusta dans un petit réflexe maniaque avant de reposer la main sur sa porte, qu'elle ne comptait visiblement pas ouvrir. « Tu n'entreras pas chez moi et je n'ai pas envie de poursuivre cette discussion qui n'aurait jamais du avoir lieu. Alors on fait comment ? Tu peux forcer le passage mais ce ne serait pas digne de ta pitoyable tentative de rédemption. Je peux appeler quelques amis pour qu'ils te délogent et te servir le thé le temps qu'ils arrivent ? Ou alors tu peux partir rejoindre ton incroyable nouvel appartement et oublier mon existence ? »

Ma femme est dure, franche. La pointe de frayeur semble s'être substituée à la rage qui perce dans ses mots, pique ses iris. Ma femme a changé, c'est indéniable. Plutôt qu'une quelconque réplique, je reste là à l'observer. Désapprobateur de ses affirmations mais surtout, incroyablement curieux de celle qu'elle est devenue. L'envie de la corriger se mélange étrangement à une certaine retenue. L'attirance ressentie à son égard ne va pas à s'amenuir, bien au contraire. Comme un nouveau défi à relever, la réponse à une attente qui sommeillait, de la voir enfin s'affirmer. A mes dépens, certes… Mais n'est-ce pas satisfaisant, en un sens ? Elle en dira ce qu'elle voudra, je suis le seul à l'avoir façonné ainsi.

Son affront s'allonge et je constate à son faciès que la protection rapprochée que je lui accorde ne va pas à lui plaire. Il est évident que rien de ce que je ferais ne saura la satisfaire. Si ce n'est disparaître de sa vie. Elle finira bien par voir la réalité en face : cela n'est pas près d'arriver.

< Des présents de banale politesse. > Je réponds simplement à ses critiques, la mâchoire un peu durcit par l'agacement de son comportement. Contrariée plus encore par ses accusations erronées. < Kelly ne fait que travailler pour moi. Elle a un salaire lui permettant de s'offrir ce dont elle pourrait bien avoir envie. > Tandis que Ravie retourne la carte de visite dans ma poche, je me penche légèrement vers elle. Aussi proche qu'elle m'en laisse la possibilité, ma main retenant sa porte d'entrée. Mes iris plantées dans les siennes n'autorisent pas l'ombre d'un doute, sincérité toujours aux lèvres qui s'exprime avec dureté et contrariété. < Attribue-moi les tares qui t'enchantent, mais n'ose jamais croire que je t'ai trompé. Te donner un amour imparfait, oui, probablement. Pour autant, je n'ai jamais eu besoin d'un autre corps que le tiens dans mes draps. > S'il y a bon nombre de choses dont je n'avais pas connaissance, de son point de vu me concernant, en voilà une que je ne peux laisser passer. Pas quand elle m'a tant manqué à son départ, que le manque d'elle s'est fait ressentir plus intensément que je ne l'aurais imaginé. Il m'aura fallu des mois pour me résigner à passer la nuit avec une autre, à accepter qu'elle ne reviendrait pas. Et à la voir là aujourd'hui, devant moi, je n'ai que cette envie de la prendre dans mes bras, caresser sa peau et l'embrasser. Qu'importe la garce qu'elle s'avère être. Malgré cela, je me redresse un peu en arrière, reprends mes maigres distances.

< Je ne forcerai jamais le passage. Mais j'accepterais bien ce thé. Je pourrais appeler quelques amis également, histoire de les faire se rencontrer… > Les traits d'humour ne sont pas dans mes habitudes. C'est cette capacité à la sympathie en toute circonstance qui prend le dessus. < Plus sérieusement, j'aimerais qu'on discute. J'ai bien compris ton implication avec les italiens. Te voir de ce côté-ci ne m'enchante pas et c'est sûrement ce qui te plaît. Ils t'utilisent, tandis que tu pourrais avoir mieux. Avec moi. Je ne serais pas étonné que certains événements soient arrivés jusqu'à tes oreilles. > Au sein du gang, nul doute que le mot se soit passé, de l'altercation ayant eu lieu au domicile du grand patron. Après tout, l'impact se veut colossal. Invasion sans gêne de leur territoire, qui se proclame même être à juste titre. J'ai beau avoir toujours conservé Ravie dans l'ignorance de mes activités au sein de la Triade, force m'est de constater qu'elle y est aujourd'hui mêlée. Que je le veuille ou non.

L'agacement certain, pointé dans ce regard qu'il s'obstinait à garder sur elle, comme un prédateur ayant enfin coincé sa proie et n'ayant aucunement l'intention de lui laisser ne serait-ce qu'une seconde pour s'échapper. Sauf qu'elle n'était plus une proie. « Un amour imparfait ? C'est comme ça que tu appelles ça ? » Elle s'esclaffa d'un rire nerveux, sans aucune joie, uniquement arraché par le toupet de cet homme. « Ce n'était pas de l'amour. Tu as vingt ans de plus que moi, Maddox. Vingt ans. J'étais une gamine, tu avais le dessus, psychologiquement, physiquement, et tu en as salement profité. Ce n'était pas de l'amour et quoi que tu te dises dans ton esprit complètement ravagé pour essayer de te trouver des excuses, ça ne sera jamais de l'amour. » Et elle ne pouvait pas feindre le dégoût de son corps, parce que malgré tout il l'avait bien plus excité que n'importe quel homme qu'elle avait rencontré par la suite, mais l'idée même de cette domination sociale et physique suffisait à ce qu'elle affiche une répugnance évidente sur son visage. Quand à cette Kelly... Elle avait tout le temps de réfléchir à ce qu'elle allait lui faire.

Il arrivait encore à faire de l'humour et rien que pour ça elle lui aurait volontiers éclaté la tête contre le mur. Au lieu de ça, la haine qui déformait déjà sa lèvre et son regard s'intensifia un peu plus. « Oui ils m'utilisent. Evidemment qu'ils m'utilisent, c'est le but. Et en retour j'obtiens ce que je veux. J'ai décidé d'aller les voir, j'ai décidé de prendre les risques que ça incombe, j'ai décidé d'opérer un échange avec eux. Avec toi, quel est mon choix ? La couleur de ma robe ? Même pas. Alors non, tu n'as rien de mieux à m'offrir. Tu n'as jamais rien eu à m'offrir. J'aurais préféré crever dans ma campagne que d'être mariée à toi. » Jusqu'à la révélation fatidique, celle du bordel qui avait eu lieu chez ses collaborateurs. Un bref mouvement de recule et elle dévisagea son mari avec incrédulité, essayant de remettre en place quelques pièces de puzzle et lui donner un alibi qui tiendrait assez la route pour décider si oui ou non elle le croyait. « Toi ? Pourquoi ? Tu as été contrarié par la menace que je t'ai faite et tu as décidé de te venger ? Ou peut-être que finalement tu ne vaux pas mieux que moi et que quelqu'un se sert de toi aussi ? » Le visage de Tony flotta un instant devant les yeux de Raven et un détail lui revint à l'esprit. « Tu crois vraiment que si il y a une guerre, je me battrai ? Tu seras toujours coincé ici, à devoir gérer tes larbins pour plus puissant que toi, tandis que je m'installerai ailleurs. Je n'ai rien à perdre, je ne peux pas tomber plus bas. Maintenant je te demande pour la dernière fois de dégager. »