We're here, we're queer, we're full of existential fear! | Wesley & Kit

Deux mois. Deux mois, c’est court et c’est long tout à la fois. Deux mois, soixante-et-un jours, et quelques poussières. Non pas que Wesley les compte, ces jours. Au début, si, peut-être… Avec un petit espoir, celui que ce pari ne tombe pas à l’eau, celui qu’un message de Kit arriverait sur son téléphone. Il a envie de le revoir puis il est curieux, aussi. Curieux de cette idée déjà bien établie dans la tête de son ancien amant, qu’il avait refusé de partager malgré ses questions et quelques verres dans le nez.

Quand, enfin, son téléphone a vibré, Wes avait presque oublié toute cette histoire. Presque. Il avait reçu une adresse, une heure, et le voilà devant la façade de l’immeuble, à siffler entre ses dents. Est-ce qu’il a vraiment le droit d’entrer dans un lieu comme celui-là sans un costume taillé sur mesure ? Il aurait dû mettre la veste que Sandro lui a offert mais… il n’y avait pas pensé. Au moins n’a-t-il pas de trous dans son jeans délavé et son t-shirt est-il sorti de la machine à laver peu de temps avant. Il a enfilé sa vieille veste en cuir qui a l’air tout droit sortie des années soixante, et en est à passer sa main dans ses cheveux en bataille en se demandant si le réceptionniste ne va pas appeler des renforts pour le foutre à la porte. Ou l’empêcher de la passer. Mais non, à partir du moment où il donne ses noms et prénoms, il a le droit à la neutralité polie sans réel jugement.

Il prend un ascenseur comme indiqué, essayant de se détendre comme s’il faisait ça tous les jours. Il a même peur de toucher les boutons, de les salir. Il hésite une seconde devant la sonnette, pour la même raison puis il se dit… il se dit que tant pis, après tout Kit lui a demandé de venir ! Son cœur tambourine dans sa poitrine alors que la porte s’ouvre.

— Me, beautiful ?

Interloqué, Wes entre et se dit qu’il aurait vraiment du mettre cette veste. S’il ne la sortait pas dans des occasions pareilles alors quand ?! Sandro le tuerait s’il l’apprenait.

— With a GPS you know you find everything really easy. You’ve a… beautiful apartment. Are you sure you want me in?

Il est propre, il l’a toujours été mais il ne se sent pas à sa place ici. Il a peur de casser quelque chose qui coûte plus cher que toutes ses possessions réunies. Malgré cela, il s’avance et tourne sur lui-même pour observer le décor et essayer de ne pas trop lorgner sur Kit. Peine perdue, ses lentilles attirent le regarde.

— T’as d’beaux yeux tu sais ? lui dit-il en français avec un accent à couper au couteau. I love the effect, it’s insane how sex… euh I mean how… beautiful you are. So, why I’m here? Tell me, suspense is killing me!

Vu sous cet angle... Wes ne se considère pas comme un garçon moche, il a un charme et un charisme bien à lui mais il ne trouve pas que ça fasse le poids face à un Eliott ou un Kit. C'est pas qu'ils jouent dans une autre catégorie, c'est qu'ils ne vivent pas dans la même galaxie... Mais bon, pas question de contredire Kit sur le sujet, surtout que ça lui fait plaisir qu'il le pense.

Suivant l'invitation, Wesley entre et prend un siège sur un canapé très confortable. Il se dit que ça doit être génial de faire l'amour dessus, vu sa largeur, puis chasse cette idée en catastrophe même si entendre Kit parler français et bien... C'est injustement sexy ? C'est quoi, cette prononciation parfaite ?

- Yeah sure, sports and makeup. So easy.

Il roule des yeux en exagérant bien le mouvement pour éviter tout malentendu.

- Who didn't ? ajoute t il en déglutissant.

Le mojito ne sera pas de trop, surtout s'ils continuent sur un sujet aussi dangereux que celui des secrets. Une thématique qui revient invariablement... Une chance que ça ne soit pas le cas. Pas vraiment. Il y a pire danger dans une ville comme Détroit, non ? Puis, c'est quoi, cette histoire de talons au juste ? Wes arque un sourcil et au lieu de paniquer, réfléchit sérieusement à la question. Parce que ça l'intrigue et qu'il aime tout ce qui sort du lot.

- Well... It depends on highness and eh... Okey you want to Disney princess's me? Oh god I hope you choose a cool dress. Did I've a wig ?

L'idée ne le panique pas tellement. Ça l'excite, au contraire. Il s'est déjà déguisé en femme et il a beaucoup d'humour. Il n'imagine toutefois pas un instant que ça sortira de cet appartement ni tout ce qui pourrait suivre, bien sûr... Chaque chose en son temps. Et là, Wes oublie que Kit lui a dit qu'il était beau, il oublie l'histoire des secrets, trop occupé à chercher du regard la robe en question.

Il hausse les épaules, Wes. Il est bien placé pour savoir qu’on peut manipuler les mots aisément, qu’une tournure de phrase peut tout changer et que parfois, dévoiler un peu de vérité permet de dissimuler les secrets les plus encombrants. Loin de lui, pourtant, l’envie d’interroger Kit sur tout ça. Le journaliste préfère profiter du moment présent, savourer la folie qui promet d’être la leur car entre les doigts du renard, Wesley va se transformer en mieux qu’une princesse.
— Seriously ?
Là où peut-être un autre se serait outré, aurait discuté, reculé, lui… éclate d’un grand rire parce que jamais il n’aurait imaginé une seule seconde que le gage prendrait cette forme. Il essaie de se reprendre afin de pouvoir continuer la dégustation de son mojito et s’essuie une larme du coin de l’œil.
— It’s insane, I… waw. You’re crazy. And wonderful. And you… you… oh god. You’re perfect.
Grand éclat dans son sourire, sorte de tendresse dans le ton mais aucun amour pour venir tout gâcher, ici. Émerveillement réel, incongruité aussi d’avoir été choisi pour remplir le rôle de poupée entre ses mains.
— I promise I’ll do my best but I’m not as cute as you so eh… Explain to me what’s the plan?
Voilà une meilleure façon de passer sa journée et sa soirée qu’en solitaire à déprimer devant un film Disney. Kit ressentirait peut-être l’amertume de la déception de ne pas le voir paniquer ainsi mais Wes n’est pas très pudique ou plutôt, il l’est pour parler de sexe, pas pour s’exhiber, se donner en spectacle, au contraire. Il n’a jamais tenté le transformisme en dehors d’un enterrement de vie de garçon dont il ne garde que des souvenirs flous et on est ici à un autre niveau. Le voilà qu’il doit réfléchir à une chanson.
— A catchy song I suppose, with funny dance? Did you want me to eh… win this contest? I’ll try but I doubt. Unless you’re a magician. You probably are. Oh, it is the moment when you share your absolute magic secret with me?
Il a les yeux un peu trop brillants, Wes, un peu trop plein d’un espoir déçu. Son âme d’enfant végète quelque part. À sa décharge, Kit aurait été une superbe créature surnaturelle…

Apparemment, ce n’était pas le moment où Kit partagerait le secret de sa magie avec lui mais plutôt où il lui en ferait une démonstration directe en le transformant en quelqu’un de « parfait ». Wes ne peut que rire, un rire qui cache une incertitude face à cette affirmation mais bon, il a du boulot lui aussi : trouver une bonne chanson qui lui permette de danser et de jouer, enfiler une sorte de combinaison pour transformer sa silhouette afin qu’elle paraisse féminine, puis une robe rouge, pailletée, qu’il aurait plutôt vu sur une pin-up de dessin animé que sur lui.
Le journaliste profite de son moment tout seul pour se regarder dans le miroir tout en se déshabillant, d’un air interdit, incertain, puis ça ne l’empêche pas d’obéir à Kit. Il n’envisage même pas l’option de refuser, alors il enfile la combinaison comme il peut, ajuste sa poitrine, presse ses faux seins et se penche en avant pour regarder son futur décolleté dans le miroir. Puis il met la robe, un peu moulante à certains endroits mais ça devrait passer. Il prend une pose avec un doigt sur la bouche, les lèvres en cul de poule, et agite ses fesses.
— I need a bigger ass but I guess it’s okey. The dress is perfect, obviously.
Il se tourne vers Kit et le regarde, très sérieux.
— For the song I thought Britney Spears or Lady Gaga? Toxic from Britney or Telephone from Gaga?
Est-ce qu’Eliott sera au Foxes ? Probablement. Est-ce que ses choix de chanson sont, du coup, adaptés ? Et bien… Wes se sent d’humeur un peu provocatrice. Il en a marre de déprimer dans son coin depuis des mois, peut-être qu’il tient une occasion de changer les choses ? Il n’en dit rien quoi qu’il en soit, il attend la suite du programme.

Le compliment réchauffe son petit cœur, surtout de la part d’un homme aussi sublime que Kit Jones. Son enthousiasme lui plait et le rend encore plus séduisant, ce qui n’est pas peur dire. Wesley se fatigue, à être aussi aisément enchanté par le renard mais on ne se refait pas… Il l’attend avec patience, récupère un cocktail qu’il porte à ses lèvres sans attendre et se regarde du coin dans l’œil en s’imaginant en blonde.
— You can shave me if you prefer, it’s your bet after all…
À quoi ne consentirait-il pas ? Au fond, Wesley ne tient pas plus que ça à sa barbe. Il se l’est laissée pousser des années plus tôt pour paraître moins juvénile. Il perd facilement une dizaine d’années quand il la rase et dans son métier, il préfère paraître plus adulte, plus mature, mais qui se soucie de son apparence physique, de toute façon ? S’il doit jouer la poupée de Kit, se dit-il, alors autant le faire à fond.
— Isn’t that you the love of my life? plaisante-t-il avec un clin d’oeil exagéré pour bien faire comprendre qu’il n’en pense pas un mot. Na, I’ve my mind full of… someone. But maybe later I’ll fine a person who want to sleep with me for more than one night. I hear that happen, sometimes.
Il a son lot d’autodérision, Wesley et c’est heureux. Si Kit lui avait posé la question deux à trois mois plus tard, le journaliste aurait pu s’étendre sur une certaine voyante qui lui avait permis de tourner la page de ses malheurs sentimentaux, même si elle risquait de le replonger dans tout un tas d’autres problèmes. Hélas, c’était trop tôt. Eliott remplissait encore la tête de Wesley, rongé par les regrets, par la culpabilité, par tout ce qui pouvait le ronger.
— You really have blond wig in your closet ? Just like that? How many more?
Autant opter pour un sujet plus léger.

C’est facile à dire, de ne pas chercher. Les années se rajoutent au compteur de Wesley, la quarantaine approche à grands pas, agite sous son nez de terribles augures, comme si tout allait s’arrêter en changeant de décennie. Il n’est pas du genre à s’en rendre malade mais le journaliste déteste passer ses anniversaires célibataires. Son plus beau cadeau, c’est d’imaginer un futur radieux conforme à son petit fantasme social : une maison, un couple heureux, un ou plusieurs enfants… Pour ces derniers, il peut toujours profiter de sa chère nièce du haut de ses onze ans puis il y a sa petite sœur, avec qui tout parait compliqué. Ça devrait le guérir de cet instinct étrange mais pas tellement… Il a l’impression que l’amour va de pair avec une descendance. Peut-être qu’il changera d’avis, peut-être pas.
Il continue de sourire, Wes, sans forcément relever cette banalité échangée sur les relations personnelles. Il préfère profiter pleinement des attentions de Kit, de ses explications, des découvertes qu’il fait non seulement au sujet de cinq perruques mais aussi de toutes les autres, dans cet appartement à New-York.
— You know I barely never travel outside of this town? How’s New-York?
Mais ce n’est pas le plus important. D’abord, il doit trancher, décider ce qu’il veut faire de sa barbe, à quel point il se sacrifiera physiquement. Il hésite un peu, le journaliste, puis finalement il hausse les épaules.
— If you don’t care I’ll keep it then. Make your magic Great Sorcerer!
Il s’exclame, déclame, avec une emphase exagérée comme à son habitude. Kit est une sorte de magicien dans son esprit, il n’a pas encore décidé s’il était totalement un bon magicien mais qui peut se targuer d’être à 100% sur le chemin du bien ? Wesley l’aime comme il est et il va se laisser transformer sans broncher.

Wesley essayait d’imaginer la vie à New-York, la vie d’une personne non blanche, non conforme aux attentes sociales, mais ça restait difficile pour lui. Avoir conscience de problèmes ne lui donnait pas le droit de se mettre dans la peau de Kit pour autant. De Kit ou de n’importe qui d’autre appartenant à « une minorité » (terme qu’il détestait d’ailleurs). Lui était un homme blanc qui pouvait passer pour hétéro. Il ne cachait pas son attrait pour les hommes mais la majorité de ses connaissances n’imaginaient pas un instant qu’il puisse aussi être attiré par eux, alors de ce point de vue, c’était simple. Seuls les gens du Foxes le savaient ou ceux qu’il avait pu croiser dans certaines soirées, quand il se motivait à sortir. Il n’avait jamais dû subir d’agression homophobe ou avoir peur en marchant dans la rue, il ne pouvait donc pas savoir ce que ça faisait au quotidien, pas plus qu’imaginer ce qu’était la vie dans une autre ville.
— When I listen to you it’s more like another planet.
Il rigole, essaie de s’en empêcher pour ne pas rendre le travail du maquilleur plus difficile qu’il ne l’était déjà. Il se dit que oui, il devrait voyager davantage, pas forcément pour aller loin. Des bonnes résolutions comme ça, il en prend souvent. Quelques mois plus tard, une rencontre lui permettra de les concrétiser et il repensera alors à Kit, à ce moment.
— You probably right. But to travel I need money. I should probably win a lot with my new look.
Il se regarde dans le miroir, tend ses lèvres en cul de poule, prend quelques poses en clignant exagérément des paupières.
— It’s your bet sexy boy, so do your office. If you wanna glue, glue me.
Une déclaration réalisée d’une voix grave, exagérée sur l’aspect sexy si bien qu’elle en devenait un peu ridicule. Wesley aimait bien se moquer de lui-même et donner dans la caricature. Rien de mal à ça, après tout ?