Because I'm so clever, but clever ain't wise

La messe, toujours le même putain d'enfer. Déjà ça revenait beaucoup trop souvent, toutes les semaines bordel, à une époque il allait plus souvent à la messe qu'il ne tirait son coup – et ça c'était quand il y avait pas les cérémonies bonus, Noël, le Carême, les conneries de ce genre que Caleb subissait dans la douleur des bancs en bois durs sous son cul, déjà ankylosé comme tout le reste de son corps par la gueule de bois due à la beuverie de la veille. Il attendait que ça passe en luttant généralement pour ne pas s'endormir, et il était d'ailleurs persuadé que c'était pour ça que le prêtre les faisait se lever et s'asseoir toutes les dix minutes, lui et les autres grenouilles de bénitier qui avaient fuit la quiétude de leur lit pour se rassembler là. Il avait jamais cru en Dieu. Ses parents lui avaient jamais cassé les couilles avec ça ; eux-mêmes étaient chrétiens en apparence, mais il ne les avait jamais vu foutre les pieds dans une église. Ça jurait sur la bible parce que c'était la norme, mais il était pas question de faire plus que le minimum syndical. Lui-même ne connaissait pas grand-chose des Evangiles avant de se retrouver à Detroit et de rejoindre les Crows et, honnêtement, c'était l'aspect du truc qui l'emmerdait le plus. Une putain de perte de temps. Mais il n'était pas assez con pour esquiver cette torture hebdomadaire ; se faire bien voir d'Isaiah était primordial pour conserver une place intéressante dans les rangs de ses fidèles, et se faire bien voir d'Isaiah passait nécessairement par ça : s'agenouiller comme un con en se faisant bénir par un vieux sénile à moitié bourré dès le matin, qui balançait des sermons hyper culpabilisants auxquels la majorité des Crows désobéissaient dès qu'ils se retrouvaient dehors. L'hypocrisie, voilà, bordel. Mais c'était le prix à payer pour avoir la paix.

Ce matin-là, quand il soupira en regagnant la lumière du jour, Caleb remarqua qu'il venait de sortir de l'église en même temps que Finn. Ça faisait un bon moment qu'il ne l'avait plus approché, d'abord parce qu'il l'avait volontairement fuit pendant plusieurs mois, et aussi parce que les circonstances elles-mêmes avaient fait qu'il n'avait pas eu de raisons d'interagir avec lui pendant pas mal de temps. Il serra un peu les dents en observant le profil du plus jeune, qui le remarqua forcément aussi au passage – et ça servait à rien de faire comme si c'était pas le cas. Caleb savait qu'il n'avait rien dit, sinon ça faisait bien longtemps qu'une sentence pas très joyeuse lui serait tombée sur le coin de la gueule. Pour autant, il était pas très à l'aise. Il lui fit un signe de tête quand leurs regards se croisèrent, et il aurait bien pu se barrer, fuir le contact sans en rajouter, sauf qu'un réflexe lui fit ouvrir la bouche ; un réflexe, ou une envie d'en finir avec la culpabilité, peut-être.

« Hey. » Il chemina quelques mètres avec lui parmi les gens qui se dispersaient à la sortie de l'église. Ordinairement, les Crows se rassemblaient après la messe pour boire quelques pintes et discuter de trucs sérieux, mais ce jour-là la messe lui avait assez cassé la tête pour que Caleb ait envie d'un peu de tranquilité – relative, okay, mais quand même. « Ça te dit qu'on aille boire un truc ? Ailleurs. » Il demanda ça directement, sans chercher à amadouer Finn auparavant, et sans prendre la peine d'expliciter davantage. Mais c'était pas nécessaire : ailleurs, ça voulait dire « ailleurs qu'avec les autres, juste toi et moi, quoi ». Se forçant à prendre l'air le plus détaché possible, il dégaina une cigarette et l'alluma en attendant la réponse de son collègue.

Il ne savait pas trop ce qui l'avait poussé à aborder Finn ce matin là, ou alors il n'aurait pas voulu le réaliser ni l'admettre consciemment ; Caleb se persuada lui-même que c'était juste pour faire bonne figure et désépaissir l'ambiance qui s'était instaurée entre eux – du moins, c'était ce que lui percevait, mais il en était sans doute bien plus à l'origine que Finn lui-même. Prendre le dessus sur l'autre, c'était aussi montrer que les choses ne nous affectaient pas, à ses yeux – et l'existence toute entière de Caleb était un jeu de domination. C'était à travers ce prisme qu'il vivait la moindre interaction, et celles qu'il avait avec les Crows ne faisaient pas exception.

Il fut content que Finn ne se fasse pas prier et propose immédiatement un pub des environs. Insister aurait été ridicule, il avait absolument pas envie de le supplier – pas pour ça en tout cas. Cette pensée lui traversa le crâne un peu trop vite et Caleb secoua la tête, l'air profondément agacé, mais c'était quelque chose d'assez courant chez lui pour passer inaperçu. « Ouais, le Paddy's, ok. » Un lieu qu'ils connaissaient tous très bien, mais il était satisfait de savoir que les autres seraient tous ensemble chez Isaiah et pas là bas. Sans raison à cela, d'ailleurs. Caleb manqua d'inspirer la fumée de sa clope par le mauvais tuyau quand son collègue lui parla de sa femme. La remarque sortie de nulle part souleva une vague de colère défensive assez commune chez lui, et il lui jeta un regard franchement noir. « Je fais ce que je veux » répliqua-t-il d'une voix sifflante. Il avait toujours été hyper machiste, après tout ; qu'il doive courir rejoindre sa femme, pour lui, c'était une image ridicule et castratrice. Il la rejoindrait quand IL aurait décidé de le faire.

« Comment ça, si vite ? Je peux en trouver quand je veux » répliqua-t-il ensuite, en continuait à observer Finn mais avec un brin de méfiance dans toute son attitude, cette fois. Non, il aurait quand même pas osé faire référence à ce fameux moment de l'année dernière, ce con ? Si vite après quoi, hein ? Après ça ? « Fais gaffe mec » souffla-t-il, très bas, assez pour que Finn entende à peine sa menace. « J'paye que pour les gonzesses » ajouta-t-il ensuite un peu plus fort avec un ricanement moqueur. « T'as fais de la merde et t'as pas été payé, hn ? Ou alors c'est toi qui fais la meuf ? » Il ne connaissait pas a vie privée de Finn. Rien du tout à part ce qu'il s'était brièvement passé à la salle de boxe, mais inverser ses craintes était plus simple pour paraître sur de lui.

La dessus, il poussait la porte du pub, blindé à cette heure ci, et repéra une table au fond après quelques instants d'observation. Il posa ensuite une main sur une épaule de Finn et le poussa un peu devant lui pour le faire avancer en premier, se foutant que ça l'emmerde ou pas. Ils n'avaient pas encore posé leurs culs sur les tabourets en bois brut que Caleb l'attaquait en retour. « Et toi ? On la voit jamais, ta gonzesse, t'as changé ? » Abi – il l'avait bien connue, mais il ne tenait pas à ce que Finn soit au courant.

Envoyer des piques plutôt que de se montrer naturellement amical, c'était la stratégie de survie s'était bâtit Caleb depuis bien des années, déjà ; ne pas paraître vulnérable, ne pas montrer ce qu'il ressentait, autant de trucs profondément machistes ancrés dans son fonctionnement psychologique depuis sa tendre enfance, et par les événements qui avaient suivi. Si tout ça avait fait de lui un individu parfaitement sculpté pour le travail au sain d'un gang avec un quotidien de violence omniprésente, il était parallèlement totalement inadapté à une vie sociale ordinaire. Les codes et les conventions sociales sensées aller de soi pour se lier aux autres individus lui tapaient sur les nerfs et il avait du mal à passer outre, si bien que la solitude qui constituait la plupart de ses moments en dehors du gang étaient largement plus subie qu'autre chose. Il aurait sans doute aimé avoir des potes comme n'importe qui d'autre, mais c'était plus simple à dire qu'à faire, surtout quand on était aussi insupportable que lui. Finn en savait quelque chose, puisqu'il était l'un des rares à sembler supporter ponctuellement sa présence sans que cela ne soit obligatoire. Et même si il le taillait à chaque phrase, au fond, Caleb était content que le plus jeune l'ait suivi pour aller boire un verre ou deux avec lui. C'était très différent des soirées passées avec les vieux alcooliques qui traînaient sur le port ; Finn avait encore des neurones fonctionnels et de la discussion, lui. Et puis, ils avaient des choses en commun. A cause des Crows, bien sûr, mais pas que – bien que Caleb n'aurait pas admis ça à haute voix, bien sûr.

Il était assez content que son collègue admette le voir comme un mec à femmes, en tout cas qu'il était surpris de savoir qu'il s'était marié malgré sa propension à avoir envie de ken à peu près toutes les nanas qu'il croisait. Encore une source de fierté virile biaisée, mais Caleb ne marchait qu'à ça. « He, c'est pas parce que j'suis marié que j'peux plus niquer personne d'autre. J'suis humain, putain » balança-t-il, pour faire le bonhomme insoumis. En réalité il avait justement niqué personne d'autre depuis Alexis, mais bon, il voulait pas passer pour un être sensible. Par contre il était content que Finn ne la connaisse pas et ne puisse pas aller lui répéter ça. Une fois assis devant leurs pintes respectives, il jeta un regard en coin au brun quand ce dernier lui raconta pour Abi, et secoua légèrement la tête avec affliction, genre, putain, les meufs, quoi. En soi ça l'amusait un peu intérieurement d'imaginer Abi péter un câble pour ça, vu comme il l'avait connue se faisant passer dessus par tout un tas de mecs. Oh, elle en avait bien le droit, et il l'avait adorée pour ça, d'ailleurs. Des beaux souvenirs, ouais. P'têtre qu'il allait pouvoir essayer de retrouver son numéro – plus que de la compassion pour Finn, c'est ça qui popa en premier dans son esprit shooté à la testostérone. Mais c'était pas non plus comme si son pote semblait particulièrement ravagé par la situation. La St Patrick ça commençait à remonter, il avait du passer à autre chose, baiser d'autres meufs, pas de quoi taper un drame.

« Ouais, c'est la plaie ces conneries » cracha-t-il dans un ricanement mesuré, soucieux de ne pas être trop entendu mais content que Finn partage son point de vie quant à ces putains de messes dominicales. « T'as qu'à postuler pour le remplacer, hn ? » Une gorgée de bière, et un regard en coin un peu moqueur. « Isaiah serait d'accord, j'en suis sûr. » C'était bourré de sous-entendus, mais pas vraiment limpides pour autant. Il le taquinait.

Il n'avait rien eu derrière la tête en invitant Finn à boire un verre avec lui, cet après midi là. Il savait que ce dernier n'avait pas parlé de leur entrevue gênante, sinon le retour de bâton aurait eu lieu depuis longtemps. Pas besoin de le menacer avec ça, il était autant impliqué que lui. Non, il avait juste sincèrement envie de se rapprocher un peu de lui, de déconner, de relâcher un peu la pression avec quelqu'un qui puisse comprendre la tension qu'impliquait le fait de faire partie d'un gang comme le leur. Mais Caleb ne pouvait pas juste être sympa avec lui. Il lui fallait toujours plus ; pousser l'autre, le provoquer, chercher à le faire réagir. Et une idée pas très propre et assez excitante avait déjà commencé à germer dans son crâne avant même qu'il ait finit sa première pinte. « T'sais quoi ? On va se mettre une bonne race, et après on ira soulever des meufs, toi et moi. » C'était pas une proposition, c'était presque une injonction.

La bonne grosse idée de merde – à tous les points de vue. Mais Finn ne pouvait pas refuser – sinon, il passerait pour... et bien, sans doute pour ce que Caleb voulait faire en sorte qu'ils ne passent pas pour, l'un comme l'autre. Car c'était ça le but de sa proposition, en réalité ; affirmer qu'ils étaient tous les deux des mecs, des vrais, hétéros et virils, et quoi de plus parlant que d'aller soulever des nanas alcoolisées pour le prouver ? Dans la tête de Caleb, ça gommerait le souvenir qu'il conservait de l’événement qui avait eu lieu dans la salle de sport. Autant à ses propres yeux qu'à ceux de Finn. Parce qu'imaginer que Finn puisse le prendre pour un mec gay, c'était hors de question. Ils en avaient jamais parlé et son collègue ne s'était pas mis à agir différemment envers lui, mais Caleb créait lui même le doute qu'il craignait. Alors ce soir ils allaient être des putain de bonhommes, et ça serait réglé une fois pour toutes dans la tête de tout le monde. Si ça c'était pas un plan en béton, hein.

Il ricana quand Finn accepta et lui lança une pique en retour. Heureusement qu'il était pas assez subtil pour imaginer un sous-entendu homoérotique là dedans. « Allez, c'est ça qu'on veut entendre ! » Il leur commanda une nouvelle tournée, et encore une autre derrière. Et des shots, du whisky. Caleb ne dépensait pas vraiment sa thune à part dans les bars, où il ne répondait plus de rien. Si Alexis avait eu un œil sur ses comptes elle aurait sans doute été complètement abasourdie, mais c'était la bouée de sauvetage qu'il semblait avoir choisie en arrivant dans cette ville beaucoup trop froide.

Le monde tournait gentiment autour de lui alors que le sang de Caleb commençait à se changer en eau de vie, et il se mis à poser des conditions à leur programme imposé. « Pas de putes. C'trop facile. Et pas une vieille meuf désespérée – une jolie. » Ce qui était d'ailleurs complètement stupide de sa part, parce que niveau drague, il était parfaitement nul. « C'moi qui choisit la tienne, et inversement. » Tellement de choses à prouver, ouais. Mais ça semblait moins grave en impliquant quelqu'un d'autre là-dedans – et, à sa décharge, il avait le sentiment d'offrir aussi à Finn une occasion de se racheter à ses yeux, bien que ce dernier ait moins de choses à se reprocher, si on peut dire. « Viens... on y va. »