Family affair | Cat, Kad & Erin

Il n'écoute qu'à peine, Kadeuce. Il s'est laissé happer par l'ambiance, par ces quelques paroles qui surplombent les autres qui lui sont destinées. Eunice qui tente de s'accaparer son approbation, Erin qui délaisse tout ce que cette journée a pu lui apporter de tourments et de surprises, d’exaspération et de détermination. Il n'écoute qu'à peine, perdu dans ce flot incessant de syllabes qui s’enchaînent et qui, loin d'agacer, ne font qu'apaiser l'esprit fissuré. Il essaie de tout imprimer dans la mémoire, au-dessus de toutes ces images que même l'usure n'a pas su chasser. Que ce soit ces réalités à ces cauchemars imaginés. L'endocarde palpite, charmé à cette normalité, avant de se serrer – les pensées qui vont et viennent, rappellent qu'en se tenant à leurs côtés, il ne fait qu'un peu plus les exposer. Et elle s'est baissée, la prunelle unique. Elle s'abandonne à un semblant de néant que lui seul parvient à admirer. Un repos, comme un répit dans cette brève solitude que les réprimandes viennent briser. Petite chose qui s'éloigne, qui exprime son mécontentement pour faire valoir les états d'âme et les volontés. Cette parfaite beauté qui répond, qui tente de faire taire les colères soulevées. Et lui, lui silencieux qui tente enfin d'accorder une parcelle d'attention à ce qu'elle venait lui raconter. Ce prénom qu'il a entendu, sur lequel il ne s'était pas arrêté. Ailleurs. Ailleurs et nulle part celui dont le souffle est silencieux, dont la voix n'a pas encore porté. Et il manque de s'y perdre encore, Porter, avant que sonnerie n'ait à tout déranger. Cette sécurité brisée, un battement manqué tandis qu'il s'est redressé, les sourcils froncés malgré ce sourire que la belle en vient à lui concéder. « It’s your sister, she doesn’t know you're here, don’t be mad at me, take a deep breath, remember you love me ! » Instinctif, ce juron qui s'est mis à s'élever, ce grognement bref qui s'extirpe de la trachée. « Jesus Erin, ya're serious right now ? » Bien-sûr qu'elle l'est, merveille qui ne prend pas même le temps de répondre avant de s'élancer. Là, enfin, pleinement éveillé. Là, enfin, pleinement sorti de cette torpeur vorace qui s'amusait à le corrompre avant cette improbable arrivée. Il aurait dû s'en douter, pourtant. Il aurait dû appréhender cette situation, l'impulsivité de cette demoiselle que le cœur a choisi de trop aimer. Oh, il a juré, à n'en pas douter. À tourner le dos pour ne rien voir, à tenter de se persuader que s'il ne s'y attarde pas, elle pourrait alors ne pas exister. Rien que pour ce soir, rien que pour cette fois – les sens sont exténués, la conscience épuisée. Il laisse faire, Kadeuce, sans pour autant s'animer. Le silence. Le silence pour parer à tout ce qui pourrait être clamé. Le silence pour éviter de défaire les efforts de cette femme qui refuse d'admettre que rien ne saurait apaiser tout ce qui revient hanter cette famille à laquelle elle s'est liée. Il a soupiré, avant de retrouver cette assise qu'il n'aurait pas dû quitter – quand bien même les pas devraient le guider vers cette sortie en l'instant condamnée. Et s'il pensait pouvoir s'isoler, l'ancien, il se laisse avoir par la voix qui porte, qui tente de s'accaparer les tourments qu'il n'en peut déjà plus de ressasser. « And I, when I make a promise, I never break it. » Las, Kadeuce. Las de ce qui vient de se rappeler, les erreurs et les nécessités qu'elle ne fait qu'accuser.

Il a tiqué.
Le plat de la main qui s'est abandonné sur la table dans un grondement incontrôlé.

Il essaie de taire les litanies qui viennent de s'élever, il essaie de faire s'effondrer ces quelques hypothèses qui sont venues s'immiscer. Le cœur à la renverse, luttant contre ces vents, ces effroyables marées. Le deuil qui pèse encore sur la conscience puisque justice n'a pas été rendu, puisque, encore une fois, il avait effleuré les doigts froids d'une mort charmée à cette âme qu'elle ne parvient pas à s'approprier. Il avait tout risqué, l'idiot, pour parfaire ce rêve improbable de rendre un semblant de paix à ce corps qu'il doit chaque jour veiller. Aube après aube, crépuscule après crépuscule à se demander pourquoi cette jeune vie fut arrachée quand la sienne aurait eu plus de légitimité à s'étioler ? Pourquoi lui quand les erreurs étaient siennes, quand ces faux-pas concernaient ses propres sentiers. Les réponses silencieuses, elles-aussi, autant que l'homme qui retient tout ce que la gorge voudrait pouvoir cracher. Il s'abstient cet élan néfaste, ce relent nauséabond de colère qui s'est mis à tout calciner. « Can ya just shu... I need a smoke. » Avant que hauteur ne soit retrouvée, avant que la carcasse ne s'éloigne pour rejoindre une fenêtre isolée. Les phalanges tremblantes qui fouillent les poches à la recherche du poison que rien n'a su lui faire arrêter. Pas même cette parcelle de sérénité qu'il pensait pouvoir trouver en ces deux compagnies adorées. Rien, rien pour taire les vices qui continuent de l'asphyxier – plus encore maintenant, dextérité dont il use pour rapidement faire flamboyer la flamme d'un misérable briquet. Une bouffée, les nerfs encore à vif. Une deuxième, et le regard qui s'élève sur les lueurs qui scintillent dans les rues observées. Vie à moitié ensuquée qui tente de battre en ces allées humides et pleines de danger. Il soupire. Il soupire pour essayer de défaire les poumons de ce poids venu y gouverner. Si loin, cette accalmie en laquelle il pensait pouvoir reposer. Loin, si loin de ce mérite qui ne lui sera jamais attribué – si loin de ce pardon qu'il n'ira pas réclamer. Il n'avait rien dit, Kadeuce, que ce soit à la femme retrouvée comme à cette sœur trop bien impliquée. Il n'avait rien dit, courant vers une mort certaine pour honorer la mémoire d'un jeune homme trop rapidement fauché. De risques en risques jusqu'à ces promesses brisées ; pour finalement préserver ces existences trop importantes à celui qui s'est mis à jurer. Tous ces maux, parce qu'il a œuvré sans un mot pour les protéger. « Fuck... »                    

Il s'est éloigné, par nécessité – par prudence en vérité. La patience élimée, l'impression constante de vaciller. Il y a cette compression aux poumons qui s'éveillent, comme une vieille rengaine de cette pénitence qu'il a accepté. Il a soufflé, défait les parasites nauséabonds de sa trachée. Triste et imparable vanité. L'air est saturé, mauvais qui vacille entre les corps qui tentent de s'éviter. Il maudit l'enthousiasme de l'adorée, ne peut pour autant pas la blâmer comme tout semblait peu à peu se rectifier. Famille qu'ils essaient de devenir, même malgré les failles qui semblent parfois encore aptes à se creuser. La prunelle s'attarde sur les alentours, sur le quartier que la vitre lui laisse observer. Il s'attarde sur ces recoins connus, sur les repères de quelques habitudes qui n'ont pas changé. Mais elles sont causes à tout ce qui est en train de se passer, causes de cette voie sur laquelle il s'était engagé – aux portes de la mort néanmoins rattrapé. Elle est profonde, l'inspiration prise – coupée nette par cette main tendre qui essaie d'apaiser les maux et les tourments éveillés. Elle s'y essaie, le timbre qui cherche à déposer ce baume salvateur sur la conscience molestée. Il voudrait pouvoir s'y enivrer, bercé qu'il était par les notes plus que par les syllabes avant que le piège n'ait à se refermer. Il aurait pu sourire, Kadeuce, à l'évocation de cet horoscope désigné. Il aurait pu si quelques orages ne menaçaient pas de gronder. Jusqu'à l'aveugler, jusqu'à assourdir l'esprit qui ne sait plus comment subsister. Ce verre tendu, il l'empoigne sans encore s'y intéresser. Les songes sont ailleurs, s'attardent alors sur la gamine qui joue, qui s'éloigne peu à peu des ouragans qui auraient à gronder. Qu'elle vive, loin des histoires et des querelles. Qu'elle vive, petite chose, sans se soucier des maux qui peuvent encore les torturer. Il essaie de s'adoucir sous cette vision, Kadeuce, avant que les mots ne s'élèvent, avant que le timbre ne vienne tout fissurer. Là, le premier éclair – le premier coup de tonnerre. Là, l'attention captivée, les phalanges crispées sur le verre qu'on lui apportait. Il s'est retourné, ose venir toiser le tableau qui s'est dessiné. Il s'est retourné, Porter, quand Erin est conviée à se tenir à l'écart de ce qui n'a pas été réglé. Mauvais qui tique, les intentions qu'il n'aurait pas osé condamner quand elle essayait simplement de réparer les dommages qui ont trop duré. « And you. Attentif, le regard qui n'a plus vacillé. You have no fucking right to be mad. » Pourtant convaincu d'avoir bien des raisons de l'être, lui qui y a réfléchit plus d'une fois depuis qu'une énième chance lui a été accordé. En apnée, la respiration bloquée. En apnée comme elle s'enfonce là où il craignait d'avoir à s'aventurer. Les tréfonds s'ouvrent, appellent les âmes maléficiées. « How can you accept that he didn’t give a shit about you and your daughter ? Because that’s what happened right Kadeuce ? Trop. Un battement manqué, le sang qui bouillonne, les veines gonflées. Trop. La gorge asséchée, le verre d'une traite vidée après un juron craché. We are so meaningless for you that you didn’t even think about warning us ? » Trop. Les phalanges serrées, le verre qui claque, explose, s'éparpille à ses pieds. Sourd, les dents serrées. À peine à même de réfléchir, à peine à même de se rappeler des lieux et de l'occasion qui devait se jouer.

Il s'est perdu dans les maux, dans ces plaies sanguinolentes jusqu'à s'y noyer.
Enfoncé dans les profondeurs par les regrets, la culpabilité – puis l'échec aussitôt acté.

Les restes délaissés, abandonnés là où il s'était isolé. Il a avancé, Porter. « Ya think it's easy, do ya ? » Crachées, les syllabes résonnent d'un fiel qui s'est pleinement animé. L'ombre s'impose, surplombe. Elle recouvre les lueurs, jusqu'à finalement les étouffer. Sang froid délaissé, le calme abandonné – le cœur aux abois devant ces mille émotions emmêlées. « Ya think everyone could be as calm as ya when something like that happened, hm ? Let me tell ya the truth 'bout it : ya're wrong. I did what I've to do that fuckin' night and yeah, ya're right, I didn't warn both of ya. But do ya really think it would've change anything ? Un dernier pas, le surplomb total et définitif. Là, hauteur qui oppresse pour que la voix puisse être entendue, pleinement écoutée. Pour que l'appel d'un cœur en désarroi puisse se faire audible dans la cacophonie que colère s'est mise à jouer. Ya really think things would've be different if ya was warning ya in the first place ? Na, Cat. It wouldn't. Look at me and tell me I'm wrong 'bout this ? » Il guette et il toise. Les traits creusés, cernés, marqués des affres du passé et des nuits dérangées. Là, dans le regard s'est trahie cette ombre, cette légère et pourtant bien nette noirceur que les sentiments sont en train de nécroser. Fautif, c'est un fait, mais seulement de moitié. « Ya want to know why I decided without warning ya ? 'cause that son of a bitch who killed Isy ain't dead and I've bet all ma chances to finding him there. For wha' he did to our brother, yeah, but also 'cause of wha' he did to Erin, for these threats he told her about her and ma daughter. I didn't tell ya because I didn't want to risk ya or her stopping me. Not on tha' because of the promise I did to this girl right there to let it go and enjoy this life she give me when I'm still guilty as fuck for wha' happened. » Il continue sur sa lancée, la respiration saccagée, la main qui saigne qui tâche là où les pieds se sont avancés. Sans sourciller, Kadeuce, sans même en dévier. Il crache ce que l'être tout entier n'en peut plus de porter, le fin fond des songes écrasés. « He found her, how many time before he found ya too ? Hm ? All of that, it's on me. Not ya, not Erin, not Eunice. Don't ya dare to tell me I don't care 'bout ya when it's precesly to make me sure ya'll be safe that I did it, no matter what happened to me. » La voix haussée, qui s'est mise à gueuler – à suivre les élans précédents, comme aimantée à la folie qui lentement parvient à se distiller. Il en tremble, le croit-il, dans ces explications qu'il ne sait plus comment réitérer. Là, un pas en arrière finalement, les bras qu'il écarte à son tour – théâtrale dans ce sourire ironique qu'il vient lui servir. Sœur qu'il ne peut qu'aimer, qu'il ne blâme même pas malgré cette rage soulevée. « Ya want yar part in this, right ? But ya don't get it ! Ya're me, Cat ! Ya'll always be me in what I'll do about that motherfucker. Can't ya see ?! » Une pause, les poumons exténués. Une pause, la trachée malmenée où l'air devient lame plus que filet. « Fuck... » Et il jure avant de s'en détourner. Il jure, Kadeuce, s'emparant alors du verre que cette même sœur avait décliné. D'une traite, sans réellement s'en cacher. L'ivresse à défaut de cette conscience fatiguée. « See, babe... Ya were right with that horoscope shit. That here, all of that, it makes me understand she didn't change a bit in wha' she thinks of me. She claims I'm just a selfish bastard without trying to understand what's behind wha' I could do for ma brother, for her and for ya. Oh, ya were right, I did it for ma own sanity too, but I need that fucker away from yall. It started with me, hey, I'm the reason why Isy's dead and I'm also the reason of why this son of a bitch came to ya. It's fucking on me. Happy, Cat ? »                     

Trop bref, le souffle. Les mots résonnent, le timbre était de rocaille pour ces syllabes insufflant la pagaille. La raison s'est tue, enfouie dans les tréfonds de son âme ; sous la douleur, sous les remords, sous cette culpabilité qui reste et stagne, qui oppresse quand elle empoigne. Tourmenté, celui qui s'est trop exprimé – celui qui s'est déchargé. Les épaules se fracassent sous le poids de tout ce qu'il se doit de porter, l'endocarde est tremblant sous les côtes – il y a cette fissure qui ne fait que s'accentuer, cette faille sous l'appui des pieds qui semble se creuser. On l'y a plongé, là, au beau milieu d'un enfer qu'il souhaitait s'épargner. Sous le regard de ces deux femmes trop précieuses, il croit pouvoir ployer. Fatigué, Kadeuce. Exténué d'avoir à lutter pour prétendre pouvoir encore se relever. Les blessures sont trop nombreuses qui marquent l'esprit, l'encéphale essoufflé à tenter cette survie dans ces tempêtes répétées. Il a craché sa vérité, Porter, quand bien même elle ne sera pas écoutée. Il le sait, croit le savoir en vérité. Il y a cette voix en lui qui lui rappelle les nombreuses rancœurs qui lui sont concédées, ces reproches qui ne finiront jamais de se répéter. Il a failli à ses promesses, il a failli à ses paroles. Il a failli au bien-être qu'il leur promettait, à cette sécurité qu'il se devait de leur apporter. Parce qu'elle s'enfonce dans ses ténèbres, Cat ; parce qu'elle s'enterre dans sa peur, Erin. Et lui, oh lui... Il est là à contempler les affres de ce qu'il a orchestré. Il guette les plaies qui auraient à s'ouvrir, ce sang dont il serait responsable quand les pavés en seront gorgés. Il est plus Gardien, il n'est plus Veilleur. Il est coupable de ce qui est en train de se jouer, de cette discorde qui continue de tout saccager. Coupable tout désigné, celui qui se précipitait dans les flammes pour ceux qui ne pourront jamais l'en remercier. Il a failli à cette présence qu'il devait honorer. Il a laissé Erin en proie aux tourments et aux inquiétudes d'une nuit sans fin, des cauchemars répétés. Il a blessé Cat par son silence et la vision que les songes doivent avoir imprimé. Finalement, c'est un souffle qui veut braver les pulpeuses. Une inspiration finale avant que les pas n'aient à s'écarter – en vain puisque l'attention dévie, offerte à celle qui s'exprime ; celle qui éclate. Les mots sont poignards, les syllabes teintées d'une terrible véracité. Elle rappelle les faits, elle dénonce ces futiles batailles pour ce qu'ils sont, ceux qu'on n'oubliera jamais. Ils se sont déclaré cette guerre, cherchant à faire briller un nom qui, déjà, scintille depuis cette fameuse nuit-là quand d'autres gisent en silence ici bas. Les traits se sont abaissés, la trachée est serrée. Il y a cette douleur qui suinte du timbre adoré, il y a ce silence glaçant qui surpasse de très loin cette colère qui éclatait. Sans voix, sans souffle. Dans l'attente d'un glas, prêt à subir la chute en ce nouveau gouffre. Coupable, Kadeuce, plus que jamais. Il y a cette tension qui éclate, ces coups de tonnerre qu'il croit pouvoir percevoir. Il y a cette pression qui ne fait que s'accentuer, qui comprime un peu plus les poumons d'ores et déjà maltraités. Il en a soupiré, brièvement, discrètement. Il en a soupiré, Porter, comme il sent son monde s'écrouler – ces espèces de repères voués à se briser enfin en train de se fissurer. Il pensait pouvoir s'en sortir sans blessure, mais celles qui se dessinent contre l'encéphale sont plus violentes que celles sur la peau recousue et presque cicatrisée. Et quand tombe le silence accablant, quand elle s'approche ; il ne l'ose pas complètement, ce regard pour lui faire face. Il y a cette honte qui gronde, ce sentiment mauvais qui accable la raison et les idées. Ce qu'elle lui tend, il s'en empare que pour lui épargner la vue sur cette connerie plus que pour se préserver d'une douleur éphémère et à peine installée. Il y a cet instinct qui se rappelle, cette volonté d'encore pouvoir la préserver.

Il en oublie un instant les ombres qui dansent.
Ces présences qui lui faisaient face.
Il en oublie ce moment.
Ces secondes où les voix se haussaient pour gronder.

L'éternel est cruel par cette pénombre qui vient l'embrasser.

Seules les respirations viennent rappeler la vie qui bat encore son plein dans l'appartement qu'ils animaient. Seuls ces souffles isolés trahissent ces êtres qui essaient de se relever, de vivre malgré les maux qui leur étaient destinés. Il a eu un bref recul, Porter, la paume intacte qui s'élève pour s'abattre contre les traits, pour permettre à l'esprit de se stabiliser. Il y a toutes ces questions qui se soulèvent, toutes ces prières manquées qui se succèdent. Pourtant, elle s'est avancée, la sœur, quand l'adorée s'est installée pour mettre un point d'honneur sur cette guérilla tout juste silenciée. « Can I ? » Et il laisse faire, délaissant la plaie aux soins de celle qui parviendra à tout apaiser. Il laisse l'adrénaline redescendre, la pression s'évanouir. Sous les côtes, le palpitant est à bout de souffle – désolé pour tout ce qu'il peut encore leur imposer. Et pourtant, les lèvres ne se sont pas déliées. Il essaie de taire ces excuses qu'il aurait à formuler, il tente de réprimer ce que l'instinct voudrait clamer. La trachée est obstruée, pour la première fois depuis longtemps, Kadeuce est silencieux pour une autre raison que l'écoute qu'il aurait à accorder. Silencieux, ou presque. « I'm sorry. » Ce n'est presque qu'un murmure qu'il concède à ces deux êtres trop précieux. Rien qu'un chuchotement soufflé, rien qu'une prière sous-entendue pour que toute l'atmosphère puisse encore s'apaiser. « Ya're right... We shouldn't have... Ya know... » Un haussement d'épaules puisque les mots manquent, puisque le courage s'est brisé. Il n'a rien de celui qu'il peut être quand les rues sont à remonter, il n'a rien de cette figure d'autorité qu'ils sont beaucoup à admirer ; plus humain, plus vulnérable – parce qu'ici, il n'a rien à cacher. Il peut être lui, un et entier. Sans masquer les fissures de l'âme molestée, sans dissimuler les tourments qui peuvent si bien l'asphyxier. Ce n'est qu'au bout de quelques secondes, quand la main est lâchée, quand l'air se fait moins lourd dans la gorge serrée qu'il ose cet ultime pas, une étreinte improvisée. La sœur qu'il vient enserrer, les bras rapidement refermés. Comme pour se convaincre d'un avenir qui pourrait être à sa portée, comme pour parfaire la guérison des maux qui pourra quand même tarder à s'enclencher. Une étreinte pour s'excuser sans se répéter ; jusqu'à ce que soit rendue cette liberté. Et il renifle honteusement, Porter, avant de s'installer à son tour. Le souffle qu'il essaie de retrouver, il croit se noyer sous ces émotions emmêlées. Parce qu'il n'avait pas à imposer cette vision à la femme qu'il a laissé le charmer, pas en sachant que ces disputes ne pourront jamais être vécues de son côté comme son frère manque à l'appel pour parfaire la vie qu'ils essaient de mener. Honteux, celui dont la culpabilité se renforce quand il tente au mieux de la combattre. Il n'a fait que tendre la main préservée vers l'hôte trop aimée, une avancée brève pour taire les haussements de voix qu'ils ont tous expérimenté. Il y a ces mots qu'il voudrait prononcer, ceux qu'il a trop usé. Everything's gonna be ok. Mais la voix ne s'élève pas, seul le regard tente de les faire deviner. Il l'a esquissé, ce rictus pour appuyer ce calme qu'il tend à faire régner ; bien qu'il sache enfin l'oppression qui guette l'endocarde qu'il voudrait pouvoir sauver. « I love ya, never doubt 'bout it. » C'est tout ce qu'il est en mesure de lui confier, cette unique et pleine vérité qui en dit bien plus que tous les discours qu'il aurait pu réciter.                      

Accalmie nouvelle, calme silencieux. Accalmie momentanée, le silence pour apaiser les tensions qui s'étaient mises à crépiter. Flammes abaissées, l'enfer chassé pour un temps, rien qu'un moment. Il n'y a que la brise pour passer, qu'un vent faiblard qui caresse les chairs embrasées. Ils sont silencieux, les êtres que la rage persiste parfois à ronger. Silencieux, ces carcasses d'un même sang qui souffre de la même démence ; le néant au palpitant qui bataille constamment. L'absence de raison qui tonne, qui parfois éloigne quand ils n'auraient qu'à s'approcher. Il a fermé les yeux, Kadeuce, sous la voix tremblante qui s'exprimait. Là, il l'entend le cri des tréfonds, l'appel à l'aide des pensées secouées, éveillées des tombes dans lesquelles on essayait de les étouffer. Coupable, coupable désigné. Coupable, à jamais, pour ces maux qu'il leur sert sans pouvoir y parer. La lèvre mordue, les mots retenus, la respiration qui s'emballe pourtant en un rythme soutenu. Il essaie de se concentrer sur l'espèce de chaleur qui vient faire sa route jusqu'au centre de cette triste scène, jusqu'à cette sérénité qu'on tente d'invoquer – entité sacrée qui manque bien souvent aux appels lancés. Entité pourtant révélée, sous les traits d'une gamine qui fait son entrer. Elle vient et elle rappelle aux palpitants cette magnificence qu'ils ont perdu avec les années. L'innocence et l’insouciance en étendard sur ses épaules de gamine surexcitée, presque pourrie-gâtée. Gosse qui assoie son autorité, qui s'en remet aux caprices qu'il peine encore à anticiper. Trop récent encore, ce rôle qu'il veut honorer. Trop récentes, ces habitudes qui s'inscrivent une à une contre l'âme en plein apprentissage. Ils se sont installés, mais elle cède déjà l'adorée. Elle s'élève, quitte cette place qu'elle venait d'acquérir jusqu'aux paroles de la gosse qui font lever l'unique prunelle encore utile. Un instant, un flottement. Un moment durant lequel Erin cède à ce comportement. Elle s'est levée, invite à ne pas attendre ; mais les phalanges se ferment sur le poignet, réclame qu'elle ne reste là où elle s'était mise à siéger. « What was that ? » Une requête, la réponse qu'il attend sans encore la forcer. La main qu'il lève vers la mère qui se sentait probablement légitime de répondre. La main qui y reste, qui intime à ce silence puisque l'attention est sur cette progéniture qu'il essaie encore d'apprendre pour mieux l'adorer. « What does it mean « not always » exactly ? There is no between, either ya like it, either not. Ya already eat these, so ya're gonna eat like everyone, ok ? » Le timbre peut-être trop brute, un sérieux mal contenu qui s'immisce dans les notes prononcées. D'autant qu'il a guetté, laissé l'attention s'alourdir comme il peut rapidement s'y laisser dépasser.

Et la main s'abaisse, et la conscience appelle à un semblant de douceur.
La main apposée sur le bois, le cœur qui craint les répercutions à venir.

Un soupir, un regard vers la sœur toujours levée, l'invitation à poursuivre ce qu'elle avait commencé ; un autre sur l'être aimé qu'il invite à simplement poursuivre comme si de rien n'était. Mais lui, lui dont la hauteur est retrouvée. Lui qui contourne la table pour venir derrière la petite chaise occupée. Sa fille qu'il accapare un instant, l'assise qu'il tourne pour qu'elle puisse lui faire face. En premier lieu, un baiser sur le front. En second acte, ce index au menton qu'il relève comme lui s’accroupit pour tenir les petits yeux curieux quoi que désormais moins malicieux. « Ya want to know what happened to me when I behave maself like that with ma mom ? She was starting crying, because she was thinking at this time that she wasn't enough and that I didn't love her. La route de l'empathie, au moins pour ce soir. Une leçon sur la manière dont le cœur soit s'animer, la reconnaissance et la sérénité qu'il essaie de lui faire trouver. Récit bancal qu'il se met à inventer, tout le monde sait que sa mère n'hésiterait pas à se déchausser pour lui faire comprendre de la fermer et de simplement manger. Elle a ce caractère qu'il essaie de ne pas copier, plus patient en soit. Ya love yar mom, right ? » Il demande, il attend que les traits s'animent. Il esquisse un sourire, se penche brièvement pour confier ces prochaines notes à l'oreille de la gamine qui s'y laisse guider. Murmures inaudibles, dissimulés derrière les boucles indomptées. Il insiste sur un point, un seul, avant de se relever, de tendre le poing que sa petite copie vient checker. « We're good, young lady ? » Elle acquiesce sans un mot, petite chose, et lui s'en remet à cette place qu'il avait quitté. Il observe, il laisse faire. Il s'enquiert de l'assiette tendue quand celle de la petite est récupérée. Une première cuillère, une deuxième et la voilà qui en réclame un peu plus dans la foulée. « What do we say ? » Il attend, patient. Il attend jusqu'à ce qu'elle se tienne droite, si fière d'elle dans ce qu'elle peut désormais orchestrer. « Thaaaank you. » Fatigué, exténué celui qui observe et qui essaie de s'apaiser. Épuisé par tout ce qu'il peine encore à gérer, les émotions et les zones d'ombres qui corrompent avec volonté les profondeurs d'une carcasse déjà molestée. Conscience lutte, conscience entre en guerre pour gronder que tout ira pour le mieux. Il veut y croire, il veut s'en persuader ; il doit juste travailler sur cette détermination fissurée. Il doit s'y laisser bercer, se ressourcer à ces soirées qui viendront tout apaiser. Les maux, le vide, l'absent qui prédomine sur cette chaleur qu'elles peuvent d'ordinaire lui supposer. Il n'aurait qu'à s'ouvrir, l'homme, en un sourire loin d'être feint, loin d'être mensonger ; loin de celui qu'il en vient à parfaire pour celles qu'il veut rassurer.