clarence duncan & kadeuce porter

Les yeux rivés à la grille qu'il n'a pas osé franchir avant de s'être annoncé, Clarence. La main tremblante sur le téléphone qu'il n'a de cesse à allumer, éteindre, rallumer encore. Il hésite, cherche d'avance les mots qui ne viendront de toute façon pas en ordre quand bien meme il aurait savamment préparé son discours. Il est une promesse qu'il doit tenir, une de plus, une qui ne peu plus attendre. Et finalement il ose, finalement il laisse courir ses doigts sur l'écran jusqu'aux traits autrefois familiers. Puis la tonalité fade qui resonne à l'oreille. Puis le silence qui suit l'instant où son interlocuteur décroche enfin. Puis les mots, maladroits comme prévu, qui lui échappe dans un chaos désordonné. « Hey.. Clarence here.. yeah I'm quite sure ya still had ma number or whatever, I.. well... do ya have a minute for me ?  If ya don't I get it, realy man, I do. I just.. yeah... ya know...» Effroyablement pathétique en vérité, même apres le peu d'explications deja donné cet hiver et qui justifie l'appel en cours.

L'hésitation. L'hésitation et la rage rappelée. Elle est venue brûler les veines qui se sont gonflées. Et pourtant, pourtant il a cédé. Il a décroché, Kadeuce, les tempes qui se sont mis à battre ce rythme effréné. Le silence qu'il a tenu jusqu'à l'entendre, cette voix méprisée. Et il a juré, Porter, sous les syllabes que l'audace semble dicter. Il a juré, celui-là, usant du peu de patience qui semble lui rester. « What the fuck do ya want ? » Rien de plus, rien de moins. Les mots crachés, cette haine qu'il n'est pas en mesure de cacher puisque le cœur qui semblait pouvoir s'apaiser s'est remit à saigner.

Par instinct, par reflexe, les doigts se sont crispés sur le volant usé de la bagnole décharnée qui l'a trainé jusqu'ici. Il s'est figé, le colosse en l'entendant aboyer. Il pouvait s'y attendre pourtant, s'y attendait surement, et malgré tout il insiste, Clarence, puisqu'il veut tenir parole, puisque la conscience s'y obstine. « Nothing.. I want noth.. no, in fact... fuck... I just want to keep ma promisse if it still mean anything, okay! » Presque agacé, presque épuisé, les deux à la fois surement. « Just that, man.» Puis ce silence encore avant d'énoncer ce qu'il sait probablement deja. « Keith is dead. Time for me to get clean.. kinda.» Les épaules haussées sans témoin pour les voir s'agiter, le soupire pour personne, suspendu au silence qu'il ne sait plus comment briser.

C'est l'adrénaline qui vient s'en mêler, qui force l'être à se relever pour faire ces quelques-pas dans la demeure poussiéreuse et en partie délaissée. Le voilà qui s'active, qui force les jambes à s'animer jusqu'à la table de chevet où cette menace est rangée. Parce qu'il parle, parce qu'il réclame d'honorer cette promesse qui, en un sens, ne ramènera pas celui qui lui fut arraché. Il tique, tient le silence encore. Hésitant, Kadeuce - plus qu'il ne l'aurait imaginé. « Yeah, ya sure about tha' ? Or ya want to finish the job ? » Plus calme, mais pas moins tremblant en vérité. Le cœur qui palpite, qui manque d'imploser sous la carcasse d'ores et déjà trop abîmée.

Il aurait pu en rire, le colosse, si le coeur en un bond ne lui inspirait pas cette nausée. Le cynisme qu'il peine à digérer quand lui venait en paix, mais qu'il comprend trop bien puisqu'il sait tout ce qu'il vient soulever. « Ma job was to drag them devils out of their hole, like a fucking dog leading a stag to its hunters.» Le rappel  qu'il s'est senti obligé d'instaurer, Clarence pour lever, au mieux, même de peu, rien qu'un peu, les sous entendu qu'il feint de ne pas avoir deviné. « Yet... I kept some info from ma bosses. They don't need these names, ya do. I owe them nothing anymore.. I still owe ya... that's the least I can do.» Elle beugle, la conscience, degueule de cette envie d'un peu se racheter pour tout ce que Keith a pu causer de ses mains ou par les paupières et les lèvres jusqu'ici trop bien scellées.

L'oreille attentive à ce qu'il vient avancer, les phalanges occupées avec le métal dont elles se sont emparées. Tous les mots écoutés, ancrés contre l'âme qui commence à trop s'embraser. Et il s'est figé, Kadeuce. Il s'est figé sous ce qui vient s'imposer. Le cœur qui manque de se fracasser, le souffle qui s'est coupé. Bref silence qui s'installe, qui perdure quand, lui semble-t-il, le temps est en suspens. Un souffle avorté. Rien qu'un souffle qui pourrait peut-être se trahir derrière le portable qu'il n'a pas lâché. « What's the names ? » Ça s'est mis à résonner, ça hante jusqu'à l'éther qui s'est pétrifié. Vengeance qui gueule, la rage insatiable qui vient de pleinement s'enflammer.

Il le sent s'impatienter, croit pouvoir le deviner. Et lui, lui dont la jambe s'est mise à trembler, à s'agiter comme il crève d'envie de quitter la bagnole pour mieux le confronter. Parce que la promesse fut faite qu'il tient à honorer, certes, mais l'esprit s'est mis à croire que peut-être, peut-être il pourrait encore rester quelque chose à sauver de ce qu'il a ruiné d'amitié par ses mensonges et ses secrets. « Not on the phone.» Parce qu'il craint surtout de le voir s'emballer si tôt les noms dévoilés et qu'il espère, sot qu'il est, pouvoir le raisonner, lui faire entendre un semblant de patience pour mieux s'y préparer, lui épargner d'autres plaies où pire une fin à laquelle indirectement il aurait participé.  «Ya don't trust me anymore, I get it, man, I do. But if not here, yar place, tonight.. then tomorow maybe, a public space, I can even bring ma boy if ya need some.. guaranty or I don't know... But not on the phone, I can't.»

Not on the phone. Ça résonne, ça fait grincer les dents. Il jure, manque d'hurler sous cette colère qui vient tout consumer. Il enchaîne et lui n'écoute qu'à peine. Aveuglé, assourdi par ce qu'il ne parvient plus à raisonner. Il en tremble, Porter, sous tout ce qui semble s'emmêler. Il a le cœur qui frappe, qui frappe à s'en arracher les artères trop dilatées. Et les phalanges se sont blanchies, là, sous la pression contre le téléphone qu'il manque d'exploser. « Ya want to help ? Really ? Ya give me those fucking names right now. I'm home so get yar ass here and prove me tha' shit ! » À en cracher ce venin qu'il ne parvient plus à contrôler, à manquer de gueuler puisque tout s'est mis à brûler.

Il a déjà repris la clef au tableau de bord usé, Clarence, a deja esquissé les premiers gestes pour fuir l'habitacle où il avait l'impression d'étouffer. « Already there actualy.» Parce que la portière claque, parce qu'il est deja en train en train de traverser, en apnée, le colosse, en apnée pour affronter la marée déchainée  contre laquelle il s'apprête à lutter. « Open yar door and put that fucking gun down.. I know ya, I know ya're waiting me with some.. precaution...» Maigre rictus à peine qui vient tordre les traits puisqu'il ne peut pas même l'en blâmer, puisqu'il aurait eu le meme reflexe, le meme instinct bien rodé. « But I didn't find a fucking nanny for ma kid, drag ma sore ass from Cleveland right to yar door, taking the risk of being seen by some of.. Keith fucking friends... and an even greater one to get ma own brother on a vendetta against me just to kill ya. This is fucking ridiculous.» La raison qu'il espère encore capable de comprendre, encore capable d'analyser ces dernieres paroles avant de raccrocher, à quelques pas  deja de la porte qu'il est venu chercher.

L'hésitation, elle brûle sous la peau, elle déchire les chairs jusqu'à n'en plus rien laisser. Elle est là, garce qui s'amuse à tourmenter l'être qui ne sait plus réellement quoi penser. Les noms résonnent, ces quelques syllabes qui ont déjà trop torturé. Souvenirs méprisables qu'elles ont laissé, qu'elles persistent à faire régner. Il tourne, Kadeuce. Mille et un pas dans cette pauvre demeure surchauffée. Mille et un pas pour essayer de trier les songes qui se sont emmêlés. En vain, l'idée est là qui reste, opportunité soulevée qu'il pourrait enfin faire valoir puisque les sentiers de la vengeance se sont dévoilés. Là, une opportunité parfaite de rétablir un certain ordre dans cette existence qu'ils ont à mener. Tous, pour les tords qui ont été faits, pour ces batailles à terminer. L'hésitation qui traîne encore avant de s'étioler, fumée épaisse qui s'estompe quand le nom s'affiche sur l'écran brisé. Ils sont déjà prévenus, les autres. Ils sont déjà au courant. Ils savent qu'il avancera bientôt vers l'antre des démons, parce qu'il ne parvient plus vraiment à retrouver cette infime part de raison. Tonalités lentes et longues. Tonalités sans fin jusqu'à cette voix qui s'élève, la seule qui parvient encore à le faire douter. Il avait confiance, Porter, ne sait plus comment désormais l'interpréter. « Ayo. Be sure to be alone, I've to talk to ya 'bout something. »

Le regard rivé à la baie vitrée, le sourire niais vissé au coin des lèvres, il en oublierait presque de répondre, Clarence, quand les vibrations familières resonnent contre la cuisse.  Une, deux, trois qu'il laisse filer avant de sursauter en réalisant qu'il lui faut, à minima, verifier qui daigne l'appeler à cette heure avancée. Et si les sourcils se froncent un instant en reconnaissant l'appelant, le rictus revient, persiste comme les prunelles retournent à leur contemplation de l'autre coté de la vitre une fois qu'il a décroché. « Hi Old'chap !» Minable salut retenu d'un film dont il a oublié le nom. Minable attention qui en instant pourtant se trouve captée, pleine et entière devant la méfiance affichée.
Et il s'éloigne, le colosse, il recule de quelques pas pour entrevoir l'escalier d'où aucun son ne semble descendre avant de revenir surveiller la silhouette féminine qui s'affaire encore dans l'atelier de l'autre coté du jardin. « I live with a soon to be eight years old and a jealous lil' squirell, Kad. I'm never alone. » Un bref ricanement, rien qu'un avant que le serieux ne s'impose. « Yet ya're a lucky bastard, he's asleep and she can't hear me from her workshop. Go Ahead. I guess ya're not calling for nothing, this late, scared of being heard and all.» La curiosité piquée, l'inquiétude éveillée, il devine le sérieux de la conversation sur le point de commencer.

Il a tardé à répondre, il a tardé à s'imposer - mais rien, rien ne parvient encore à taire les songes qui se sont installés. L'idée est là qu'il ne peut repousser, trop vivace derrière la prunelle qui flamboie malgré la nuit installée. Il y a ces flammes qui s'y sont dressées, comme la promesse d'un enfer à déchaîner. Pourtant, c'est une pointe d'hésitation qui s'immisce sous l'âme révoltée. Un doute, une incertitude sous ce que celui-là vient à rappeler. Cette famille, cette vie qu'il ne peut décidemment pas risquer. Trop d'entre eux sont tombés, et si lui n'a rien à perdre - ou presque rien - Clarence possède encore cet avenir auquel lui s'est refusé. Peut-être, il ne sait plus, les espoirs et les besoins se sont mélangés. « Yeah, I... » Mais rien, rien ne vient encore. C'est l'humanité qui parle, cette trop grande sagesse qu'ils sont nombreux à lui trouver. Elle revient, s'impose en rempart contre cette absurde volonté que de frapper fort - oui, mais pas en connaissant les risques qui auront à être porté. Non, il ne peut pas s'y risquer. « I just call ya for... Yeah, look. I'm gonna do something, for Isy. We've already discussed about this and I know what ya said but I don't ask ya anything, I wanted ya to know that... I'm gonna go there and make things right, that's all. »

Et il écoute, Clarence, et il tend l'oreille à la raison de cet appel tardif qui lui est désormais exposée. Et  comme il écoute, comme il tend l'oreille, il soupire, le colosse. Les paupières lourdement refermées, l'arrete du nez qu'il est venu inconsciemment pincer, reflexe qu'il n'a pas contrôler. Il voudrait jurer, n'en trouve pas meme la volonté. Il le savait, sans doute, n'en a jamais douté. Il aurait pu en jurer, qu'aucun d'eux ne parviendrait à lui faire renoncer tout à fait à ce besoin, cette vengeance à réclamer.  « Ok... » Parce qu'il comprend. Parce qu'il mentirait s'il prétendait que ce meme besoin ne pourrait l'habiter si les situations etaient inversées. « When ? » Sans que n'ait à s'imposer cette hésitation, sans que la raison n'ait le temps de souffler la moindre morale. Par instinct, par reflexe.  « 'cause yeah, we've discussed this, and...  » Un regard vers le plafond, vers cet étage où dort paisiblement la raison pour laquelle il devrait raccrocher. Un regard vers les lueurs dansantes de l'autre coté du jardin, vers celle qui ne pardonnera probablement pas s'il osait insister. Un regard vers la vitre enfin, vers ce reflet qu'il tient à pouvoir continuer de toiser sans trembler. «... ya know that now ya told me I can't let ya go alone, right ? »

L'avenir se dessine déjà sous le reflet qu'il contemple. Les traits qu'il ignore pourtant, ces sépultures pour seul point d'ancrage à cette observation fatiguée. Il soupire ; une inspiration défaite maintenant qu'il s'est trop avancé. Parce qu'il sait qu'il n'abandonnera pas cette idée, qu'il cherchera à s'avancer parmi ceux qui ont déjà répondu, ceux qu'il n'a pas pu faire reculer. Il a été con, Kadeuce, à trop l'ouvrir sans jamais réellement avoir appris à la fermer. Et elle tombe, cette interrogation. Glas imparable qu'il avait plus ou moins anticiper. When. Never ; c'est ce qu'il hésite à répondre. C'est probablement ce qu'il devrait répondre. Et pourtant, il ne fait que tenir ce silence. Retenue frappe les lèvres pour les sceller, pour clore ce chapitre qu'il a pourtant trop bien entamé. Celui sur lequel il revient, Clarence, sans qu'il ne puisse réellement y parer. Et pourtant, l'opportunité est là, en quelques mots qui pourraient tout faire balancer. « I won't be alone, that's why ya don't have to come man. » Il abandonne cette triste vue. Il s'en défait, rejoint ce pauvre canapé dans lequel il s'installe avant que les phalanges n'aient à frotter les paupières lourdes qui menacent de tomber. Parce qu'il lui revient ce détail qu'il ne peut ignorer, ce lien qui unit celui-là à une âme qu'il a possiblement déjà condamné. « And I need ya out of that 'cause... Jake will be there. »

Il ment, celui là, il ment, lui en jurerait. Il ment pour chercher à l'en dissuader. Pourquoi l'aurait il appelé s'il ne comptait pas un peu, rien qu'un peu, sur sa présence. Il en a soupiré, notre homme, rien que pour ne pas avoir à l'envoyer balader trop vite, rien que pour retenir cette envie de lui répéter qu'il ne se défilera pas. Il en a reculé, rien que pour s'adosser au comptoir près de l'évier, rien que pour s'assurer qu'il persiste à surveiller sans etre vu dans l'obscurité de la baraque endormie.

Endormie.

Il l'oublie, Clarence, là comme il finit par gueuler devant la derniere affirmation qui lui est enoncée. « FUCK YA ! avant de se reprendre, damn' it, avant de s'eforcer d'à nouveau murmurer malgré l'evitente rage que les mots laissent entendre. Fuck ya man ! Of course he'll be there. So I'm supposed to let the two of ya run into this and wait on the bench like a fuckin'... Yeah... fuck ya! I'm in. Whether ya like it or not. »