Now the neighborhood's cracked and torn

S'il prenait deux minutes pour se poser et penser à lui-même, Asher serait sans doute parvenu à la conclusion qu'il avait un ange gardien particulièrement dévoué. Parce que vu le nombre de situations systématiquement débiles et dangereuses dans lesquelles il se retrouvait, le fait qu'il soit toujours en vie tenait nécessairement du miracle. Et ce soir encore, il avait décidé de défier les lois les plus élémentaires de l'instinct de survie pour aller servir une nouvelle cliente ; enfin, pas une vraie nouvelle cliente, c'était la pote d'un pote qui était en galère ou quelque chose comme ça, mais Asher avait autant de chance qu'il avait de dettes auprès d'à peu près tout le monde dans le quartier donc il n'avait pas réellement cherché à négocier. Depuis quelques jours, il avait décidé de paraître plus sérieux qu'un vulgaire livreur en scooter couvert de rayures sur la carrosserie. Il s'était choisi un QG. Bon il avait pas une thune et il squattait déjà chez quelqu'un pour ne pas dormir dehors, alors il n'avait pas tellement eu le choix – du moins, c'est ce qu'on aurait pu croire. Mais il y a une certaine magie dans l'adversité, à 8 Miles : le nombre de baraques abandonnées. Certaines étaient rasées, de temps en temps, mais ça coûtait bien trop cher pour que la mairie se décide réellement à investir ce quartier délabré. Les maisons condamnées devenaient des squats, des terrains de jeux pour des gamins qui s'ennuyaient, les lieux de pas mal de premières fois, mais les témoins de certains drames, aussi – des viols, des meurtres, des overdoses, c'était des trucs qui se produisaient régulièrement entre ces murs en ruine qui avaient autrefois abrité des familles pleines de rêves brisés par la crise économique.

La maison que Asher avait choisie était dans une rue où plus aucune baraque n'était habitée. Les trottoirs étaient défoncés, les pelouses très hautes, les lampadaires ne fonctionnaient plus depuis des années. Rien de bien rassurant en soi, mais lui, il s'était simplement dit qu'ici, il serait tranquille et que personne viendrait le faire chier. Sa maison était la quatrième de la rue, il y avait apporté des chaises de camping et une glacière remplie de Dr Peppers pour glander l'après-midi et il avait raison sur un point : personne ne l'avait fait chier. Jusqu'à maintenant.

Il avait donc naturellement donné rdv là bas à sa nouvelle cliente, pour faire comme les dealers bien plus pros que lui qui recoivent les camés dans leur salon et peuvent les impressionner avec leurs fusils à pompe accrochés aux murs.

Quand elle arriva, il lui mis la lumière de son téléphone dans la tronche, l'air un peu méfiant. « T'es venue toute seule ? » Ca serait pas la première fois qu'on essayait de la lui mettre à l'envers, sinon. Il tourna la tête vers la rue : aucune lumière, aucun bruit à part quelques klaxons au loin, en direction du centre. « Rentre. Fais gaffe aux marches elles sont pétées. »

Il avait pas son sac sur lui – il avait pris soin de le planquer dans la maison, au cas où elle aurait voulu le piéger. Ces derniers temps il avait fait pas mal d'erreurs vis à vis de son fournisseur, alors il tenait à pas prendre trop de risques. A l'intérieur, il alluma une lampe de camping à piles et le salon poussiéreux et vide se retrouva noyé dans une lumière fade qui rendait le tout encore plus glauque. « C'quoi ton nom déjà ? »