Le business c’est pas compliqué quand on y réfléchi un peu. Le secret ce n’est pas de gagner plus de fric chaque année, c’est d’en gagner plus que ce qu’on en perd.
La course au million c’est bien quand t’as vingt ans, tu veux manger le monde, être « the top of the hill ». Puis un beau jour tu finis par tomber sur un os et tu te casses les dents : si t’es malin tu sais t’arrêter avant de finir entre quatre planches, mais si tu persistes dans ta connerie c’est la madre viendra fleurir ta tombe.
Enfin bref ! ... J’ai passé l’âge de faire le cowboy, mais j’ai quand même besoin de pognon ! Je suis marié, j’ai une fille et, porca miseria, elles me coutent les yeux de la tête !
J’ai l’air de me plaindre comme ça mais les affaires marchent bien, c’est juste qu’aujourd’hui je suis au funérarium avec le comptable, ça fait trois fois qu’on recompte le même tas de billets et putain ! Il en manque.
« ... Due cento, Tre cento, quattro cento... Mi dispiace Cesare, mais il manque deux milles dollars »
Boby repose la liasse dans le sac de sport, l’air gêné, en s’essuyant le front.
Assis à côté de lui je me passe la main sur le visage, soupire et reprends à son encontre :
« C’est le sac de qui ? »
« C’est Tyler qui l’a déposé... Je l’appelle ? »
Tyler ? S’il lui fallait deux milles dollars pourquoi il ne me les a pas demandés bordel de merde... Non mais attend, tu ne vas pas douter de lui, tu délires ou quoi ?... Et si ?... Fait chier !
« Non tu fais rien... Il est où là ? »
« Au San Morello j’imagine, comme d’habitude »
Je me lève et enfile ma veste.
« J’y vais, je vais le voir, t'es au courant de rien, pigé ? »
« Je ne dis même pas à Jimmy de venir avec toi ? »
« Pour faire quoi ? Ne dit pas de connerie. Continue les comptes et demande un coup de main à Suzanne si t’as besoin »
Plus que quelques mètres et j’entre dans mon bureau. Un moment d’hésitation avant d’ouvrir le tiroir, où se trouve mon flingue.
Je le prends ou pas ? je vérifie qu’il est chargé alors que...
« Tu vas au bal trap patron ou tu t’es encore disputé avec ta femme ? »
La silhouette de Suzanne se dessine dans l’encadrure de la porte avec un insupportable sourire à l’air interrogateur.
« Ni l’un ni l’autre Suzanne, je vais faire les courses »
Je soupire tout en reposant le flingue là où je l’avais trouvé. Que je devienne méfiant avec tout ce qu’il se passe en ce moment c’est une chose, il ne faudrait pas non plus que je devienne con.
La liste de nos ennemis s’allonge c’est certain, mais là on parle de Tyler et s’il n’a rien fait, il pourrait se sentir insulter. Je ne vais pas agir avec lui comme avec un merdeux qu’on paie deux cents dollars pour casser les jambes au premier paumé qui passe.
« Tu comptes me ramener quelque chose ? »
... insupportable je vous dis, insupportable...
« Ne me fatigue pas Suzanne... Boby est dans l’arrière-boutique, il fait les comptes, va l’aider, je veux que ça soit régler pour ce soir »
« Je ne m’appelle pas Suzanne et je n’ai pas que ça à faire, désolée » ajoute t’elle arborant son plus beau sourire.
« T’as de la chance que je t’aime bien : Avant ce soir ... SUZANNE »
Oui, elle déteste que je l’appelle Suzanne, faut dire que ce n’est pas son nom , son vrai nom c’est... Oh merde, c’eeessssst... Mais putain c’eeeeeest ???!…Cynthia ? Carolina ?... No, ma chi se ne frega, vero ? J’aime bien moi Suzanne comme prénom, pas vous ?
Trente minutes plus tard, je suis devant le San Morello, j’entre dans le bar restaurant.
« Signore Innocenti ! C’est un plaisir de vous voir, je vous prépare une table ? »
« Non je vous remercie beaucoup signore Carmellini, Tyler est ici ? »
« A sa table habituelle, je viens de lui servir des tagliatelles aux scampis, je vous en apporte une assiette tout de même, suivez-moi ! »
Je ne suis pas là pour manger, mais il sert les meilleurs scampis de la ville, alors bon ...
« Cesare ?! » Surpris de me voir Tyler se lève en s’essuyant la bouche et les mains avant de me donner l’accolade.
« Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu venais manger ici ?? On y serait venu ensemble, t’as commandé ? »
« Tyler... »
« S’il vous plait ?! La même chose pour mon ami » dit-il en montrant son assiette.
« Tyler s’est déjà commandé, ça arrive, mais je ne suis pas là pour ça »
« Tu tires la gueule patron y’a un souci ? Tu veux que je m’en occupe ? »
« Tyler... » je m’accoude sur la table et croise les mains « Il manque deux milles dollars dans le sac que t’as ramené... Y’a eu un problème ce mois-ci, tu veux m’en parler ? »
Un silence s’installe... Il froisse sa serviette et la jette sur la table...
« C’est le sac de fric du préteur sur gage de Tireman Avenue, j’ai pas vérifié putain, c’est la première fois qu’il nous la met à l’envers, il a toujours était réglo... Je suis désolé Cesare, je passe le voir tout de suite ça va vite être réglé » dit-il en se levant.
Est-ce que je suis rassuré ? Est-ce que j’ai douté de lui ? Je le connais depuis que j’ai fait mes premiers coups, j’ai toute confiance en lui et puis bon on parle de deux milles dollars, j’ai largement de quoi couvrir les pertes. Non là on parle d’honneur.
S’il vous faut vraiment une réponse : oui je suis soulagé et non je n’ai pas envie de m’attarder là-dessus.
Comprenez bien que dans le métier qu’on fait on n’est jamais sûr de rien, y’a la famille, les amis et puis au milieu y’a vous et vous ne pouvez pas vous permettre de perdre la face. Donc oui encore une fois il n’y est pour rien et c’est très bien comme ça.
Vous connaissez le proverbe « y’a que tes amis qui peuvent te décevoir » ? Vous ne pouvez pas vous imaginer combien on en a vu tourner leur veste, même les plus fidèles. Parfois ils passent chez l’ennemi, parfois il se font mettre le grapin dessus par les feds.
Ces batards sont toujours à l’affut d’un faux pas, une erreur, une faille et ils vous ferrent comme un poisson au bout de la ligne.
Ils mettent la pression sur vous, sur votre famille, sur tout ce que vous avez peur de perdre et vous finissez par leur céder ou vous mettre une balle dans la tête.
Bref, en attendant Tyler c’est mon gars sûr et il me le prouve encore.
« Assis toi Tyler, y’a pas le feu, finit ton assiette, on va y aller ensemble, on prendra ma caisse... ça fait longtemps que je n’ai pas jouer au dentiste »
Je ponctue la phrase d’un clin d’œil avant de déplier ma serviette alors que le serveur m’apporte le plat.
Et une heure plus tard nous voila dans le bureau du préteur sur gage, sa mâchoire mordant le rebord de son bureau, mon pied faisant pression sur sa nuque.
« Bon écoute moi Mitchel, je ne vais pas le répéter... »
« MhhmmHhHmMhHHHHHmMm »
« Qu’est-ce qu’il dit ? il n’articule pas je ne comprends rien »
« Il dit qu’il ne s’appelle pas Mitchel, patron »
« Désolé je ne retiens jamais les prénoms, ça rend folle ma secrétaire haha, il s’appellle comment du coup ? »
« C’est Steven, patron »
« Steven ???! C’est vraiment un nom à la con, je vais l’appeler Mitchel ça lui va bien tu ne trouves pas ?... Bon dis-moi Mitch, tu permets que je t’appelle Mitch hein ? On est proche maintenant hein ? Je disais donc mon cher Mitch, t’as essayé de m’enculer de deux milles dollars on est bien d’accord ? »
« MmMmMMMmhHHHHHhhhhHMMMMMh »
« Qu’est-ce qu’il dit ? »
« Il dit qu’il est d’accord patron »
« Très bien, donc si je rajoute les pénalités et l’amende forfaitaire tu me dois six milles, on fait comment Mitch ? Je te finis de te peter les dents et les genoux ou tu me trouves la somme ? »
Je retire mon pied et le redresse par le col tout en lui défroissant la chemise.
« MMmMonsieur Innocenti, je suis désolé les affaires sont dure en ce moment et puis j’ai rencontré une fille elle a vingt ans de moins que moi et vous savez ce que c’est je... Je... Je... »
« Tu quoi ? Espèce de sous merde ! J’en ai rien à foutre de ta pute et encore moins de ce que tu claques pour te faire sucer. T’as 5 min pour me trouver une solution où je t’assure que la prochaine chatte que tu vas caresser ça sera celle qui viendra se mettre en boule sur ton plâtre »
« Patron regardez dehors »
Tyler me fait signe en cognant sur la vitre avec la phalange de son index, désignant, parmi les épaves de voiture sur le parking, une d’entre elle dissimulée sous une bâche.
Tirant mon nouvel ami Mitchel par l’oreille, je le traine alors à l’extérieur.
« Tu nous fais des cachoterie Mitchel ? Tyler retire moi la bâche »
Un magnifique Chevrolet Camaro de 70 se dévoile alors à nous.
« Bin mon salaud... On ne se fait pas chier dis-moi, et puis les affaires ont plutôt l’air d’aller bien finalement. Tyler occupe-toi de lui une minute, je ne voudrais pas qu’il en profite pour jouer la fille de l’air »
Camaro 1970, parfaitement entretenue. Je me penche et rabaisse-le pare soleil... Les clés sont là.
« Ecoute Mitchel, je pense qu’on a trouvé un terrain d’entente... »
« Non mais attendez elle coute plus de dix fois ce que je vous dois !! »
« Allons, allons, tu veux me vexer c’est ça ? Considère qu’aujourd’hui t’a perdu une caisse à 70000 dollars, mais tu n’as pas fini à l’hosto. Faut prendre la vie du bon côté et puis tu sais quoi ? Je pense qu’entre nous c’est le début d’une grande amitié »
Une petite claque sur la joue et quelques minutes plus tard me revoila devant le funérarium.
Par la fenêtre de son bureau, je vois alors Suzanne se lever et venir à ma rencontre.
« Une Chevrolet Camaro ? Vous êtes sérieux ? »
« Année 70... Si t’es sage Suzanne je te ferais faire un tour »
« Je vous emmerde... Mais ok pour le tour »
« Moi aussi je t’aime »
Je la refourgue ou je la garde ? .... Hmmmm .... Vedremo.
