What Lurks Below | Soan

What Lurks Below ft. Soan Haynes

Le regard s’attarde sur la surface des eaux noires du quartier Sud, eaux troubles pour coin malfamé, nappe qui vient tout engloutir, tout étouffer. Les docks du Southwest tu les connaissais comme ta poche, tes mésaventures t’avaient souvent conduites sur ces pontons puants à la recherche de quelques denrées de contrebande. C’est entre deux remous, entre deux caisses éventrées que tu avais fait la connaissance de Soan au crépuscule de ta vie. Lui qui avait tout du vieux loup de mer, docker brut de décoffrage t’avait pris sous son aile salvatrice à la demande d’Elijah. Gosse paumé tu avais accepté l’expérience, non sans rechigner en voyant débarquer pour ta première fois sur les quais cet Irlandais dans la force de l’âge, fendant la brume du matin en pestant contre des mouettes affamées dans le langage le plus fleuri qui soit. Soan et toi, vous aviez appris à vous connaître à coup de cargaisons ouvertes au pied-de-biche, au rythme des leçons de maniement des armes qu’il te dispensait bien volontiers. Cet homme que tu considérais aujourd’hui comme ton oncle avait été pendant plusieurs mois la béquille dont tu avais eu besoin pour ne pas sombrer, pour ne pas aller te jeter dans les eaux glaciales des docks en espérant ne plus jamais remonter à la surface. Pour ça et pour beaucoup d’autres mains tendues tu te sentais aujourd’hui redevable à son égard, c’est donc tout naturellement que tu avais répondu à son invitation lorsqu’il t’avait annoncé une “grosse prise” au téléphone.

L’odeur typique de la marée te chatouille les narines, les dockers sont tous affairés en cette matinée d’hiver et tu viens à saluer les visages familiers qui ponctuent ton chemin d’un hochement de tête respectueux. Tu le sais, sur ces quais deux camps bien définis se sont dessinés au fil du temps, ceux qui ont encore une once d’intégrité à offrir aux vagues et les autres, ceux qui, par choix ou nécessité acceptent de tourner les yeux, d’ignorer les échanges crasseux d’une minorité qui finalement cherche plus à se sortir de la misère qu’à s’enrichir. Les Crows, acteurs décomplexés de cette économie parallèle étaient passés maîtres dans l’art des petits arrangements, des lignes manquantes sur un bon de livraison, de quantités falsifiées sur un container rouillé ... Soan t’avait appris toutes les ficelles de cette mise en scène millimétrée, toi tu avais écouté, appris puis mis en pratique les conseils aguerris de ce mentor exigeant.

Cet ours mal léché tu crois justement l’entendre au loin, ses invectives portées par le vent glacial de Novembre, tes soupçons se confirment alors que tu te rapproches de la source des vociférations qui tranchent avec le bruit des vagues et des hommes qui font tourner le port. Lui, penché au-dessus d’une énorme caisse ouverte semble s’affairer vivement, tu lui reconnais son visage de businessman, entre ça et ses ordres assenés sans pitié à un docker en panique tu reconnais bien là le Soan des grands jours. Le Corbeau coupe court à la discussion lorsqu’il te repère du coin de l’œil, marmonnant rapidement ses directives à ce pauvre gamin du quartier luisant de sueur. Une fois arrivé à son niveau tu salue ce vieux loup de mer d’une poignée de main ferme et joviale, un sourire en coin sur ton visage.

-”Comment tu vas Soan ? Ca fait un bail que je suis pas venu te voir sur les docks, j’arrive presque à sentir de nouveau l’odeur de la marée, comme au premier jour ... D’ailleurs en parlant de premier jour, c’est qui ce gamin à qui tu parlais à l’instant ?” tu soufflais, intéressé.

Ton attention se porte alors sur le Clou du spectacle, la cargaison dont vous avez tous deux parlé au téléphone. Ton approche lève le voile sur le mystérieux contenu de cette caisse et tes questions disparaissent en même temps que ton sourire, tu recroises le regard de Soan en pinçant tes lèvres.

-”Ca vient d’où ça ?!” Tes mains se posent sur les armes flambant neuves alignées dans cette caisse, rutilantes, brillantes, elles n’ont rien à faire dans ce quartier malfamé. “Comment t’as fait pour amener ça ici ? Elijah est au courant ?” Tu portes de nouveau ton regard sur ce trésor qui fait tâche dans ce décor misérable. “Me dit pas que vous avez volé ça aux ritals ? On est censé faire profil bas en ce moment !”

What Lurks Below ft. Soan Haynes

Ton visage se ferme quand Soan te tend les quelques billets qui constitueront ton salaire de la journée. D’un coin de l’œil tu aperçois le jeune docker de tout à l’heure au volant d’une camionnette des Crows se stationner devant vous deux, sans un mot tu ouvres le coffre du véhicule pour y placer la marchandise de contrebande. Tu avais toujours pris très au sérieux les affaires que Soan te confiait, tu savais qu’il n’accordait pas sa confiance à n’importe qui et tu t’efforçais de t’en montrer digne quand le vieux loup de mer faisait appel à tes services.

Les marchandises une fois chargées tu récupères l’adresse de votre destination des mains de Soan sur un vieux post-it qui semblait avoir déjà bien vécu. Les mains sur le volant tu sors des docks en respectant religieusement les limitations de vitesse. Soan à tes côtés dans l’habitacle tu poses tes yeux sur lui à travers ton rétroviseur intérieur.

-”J’espère que tu me les montreras un jour, tes coins à champelard, parce que bon, vu l’ambiance dans l’quartier, on sait jamais c’qui peut arriver à un frère ou un oncle, surtout quand l’Crows en question a déjà du mileage au compteur...” souffles-tu alors que ton visage se fend d’un rictus complice envers Soan.

S’il y avait bien une chose que Soan t’avait apprise c’était que cet oncle de substitution n’aimait pas ceux qui ne lui rentraient pas dedans, tu prenais donc un malin plaisir à le charrier quand l’occasion se présentait - et il fallait dire qu’il te le rendait bien à son tour. Ta pointe d’humour était également pour toi l’occasion de porter à la discussion ce qui hantait ton esprit depuis plusieurs semaines déjà - la descente des Italiens et ses effets sur ce quartier que tu ne reconnaissais plus.

Ta conduite discrète t’amène rapidement à ta destination, le frein à main amorcé tu descends du véhicule avant d’ouvrir le coffre pour attendre les prochaines consignes de Soan, le froid ne semble pas vouloir céder sa place en cette journée d’hiver et tu pestes en mettant tes mains dans tes poches pour tenter de te réchauffer.

-”J’sais qu’t’aimes pas l’mélodrame et tout ça mais ... J’sais pas j’ai l’impression d’être un ovni dans l’quartier quand je m’inquiète pour ce qui va nous tomber sur le coin d’la gueule ... Tout l’monde est dans l’déni et je sais pas quoi faire de mes dix doigts pour faire bouger les choses, j’sais que toi et Elijah avez sûrement eu plusieurs discussions à c’propos et j’voudrais pas marcher sur vos panards mais ... Ouais j’suis un peu paumé en c’moment j’dois te dire ...”  

Tu serres la mâchoire en commençant à décharger votre butin avant de suivre Soan, tes états d’âme passent après le business et c’est dans le silence que tu mets en place la marchandise dans une cave mal éclairée avant de tout recouvrir de sacs poubelle poussiéreux. Ton regard croise celui de Soan, immobile dans un coin de la pièce, tu espères au moins une réponse à tes interrogations même si tu sais qu’il n’aime pas trop parler des affaires courantes du Quartier. Concentré à recouvrir parfaitement ces caisses de contrebande tu décides de ne pas insister davantage au cas où ton interlocuteur n’apprécierait pas ton audace.