m ▬ Under the Scorching Sun ▬ ((love/ambiguë))

Le coton de ta chemise vient à se fendre de ton aiguille impitoyable, geste mesuré, précis, tu remplaces un à un les boutons de ce vêtement immaculé qui ne te quitte jamais. Le doux son d’une mélodie traditionnelle sicilienne vient caresser les tympans, légèrement déformé par un gramophone que tu as hérité de tes parents. Torse nu, tu sens dans ton dos le soleil mourant du crépuscule parcourir tes courbes masculines, ton teint hâlé, cette enveloppe que tu as sculpté au fil du temps comme une œuvre d’art. Quelques autres aiguilles aux commissures de tes lèvres tu sifflotes doucement une fois ton entreprise accomplie, les boutons de cette chemise hors de prix à présent parés d’or, gravés à ta demande d’une silhouette de Gorgone. Tu te diriges vers ce miroir imposant qui domine ta chambre, témoin silencieux de ton narcissisme exacerbé et de tes ébats dépravés, ton visage vient à se fendre d’un rictus satisfait une fois ton nouvel habit enfilé, tu es prêt pour la cérémonie de demain.

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Solennellement tu t’avances, fils Zerilli, tes mains jointes tenant une icône. Ta chair vient à se parer de vermeil au doux contact d’une lame aiguisée, tu ne bronches pas. Tu positionnes ta main meurtrie au-dessus de cette image sainte comme une perfusion macabre. Ton hémoglobine vient recouvrir cette dernière au goutte à goutte, parant cette pièce silencieuse du son de ce liquide de vie qui te quitte.  

Puis vient l’embrasement.

Tu répètes sans fin tes prières alors que l’idole se brunit, les flammes dansantes se reflétant dans ton regard sombre. Loyauté. Le Feu vient à conquérir la pulpe de tes doigts immobiles, t’arrachant un souffle incontrôlé. Ton derme endolori vient brouiller ta vision, spectacle sordide et malodorant dont tes pairs se repaissent. Honneur. Les mains grisées par les cendres tu reprends doucement tes esprits, de discrets murmures parcourent l’audience, tu lèves la tête comme un défi, personne ne se mettra entre toi et la Gorgo Nostra. Famille. La suite tu la connais, une vie, une vie prise pour finaliser ta renaissance sous le Zénith du Clan. Affamé tu mènes à bien ta mission en moins de vingt-quatre heures, la mort d’un être insignifiant n’était qu’un maigre prix à payer pour rejoindre l’Olympe.  

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Giovanni Zerilli est mort. Mort de la main des Black Crows.  

Tu accuses encore le coup, toi qui avais d’abord cru à un canulard de mauvais goût. Pourtant la réalité est là, le corps froid de ton mentor git dans l’une des pièces de la maison Zerilli, pièce que tu te promettras de ne plus jamais visiter. Toute la nuit durant tu veilles la dépouille de celui qui t’a guidé durant tes premières années à la Gorgo Nostra, éclairé d’une bougie à la flamme chevrotante tu crois parfois le voir tiquer, se mouvoir, comme si tout ceci n’était qu’une farce cruelle. Quand l’aube arrive tes espoirs se sont évaporés, une boule dans la gorge tu quittes les restes de ce Guide pour aller noyer ta détresse dans des spiritueux salvateurs.

Le vide laissé par Giovanni attire rapidement les convoitises et tu deviens spectateur malgré toi de la déchéance de la famille Zerilli, passant de Soleil qui guide la Gorgo Nostra à figurante qui doit rester discrète. Dépossédé de ton prestige, de tes privilèges tu perds pied et sombres dans l’alcool et la drogue, toi qui te targuais de rester sobre en toute circonstance, de ne pas faire partie de ces faibles qui ne savent pas affronter le réel, tu éventres la boite de Pandore pour éloigner tes démons.

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Chevalières aux doigts tu parcours de tes mains rugueuses les riches tissus que le tailleur du quartier a préparé pour toi. Ton choix se porte rapidement sur un carré de soie anthracite que tu poses délicatement sur ton torse pour te regarder dans le miroir. Ton regard s’enflamme alors que tu t’imagines déjà, paré de soie et d’or, te pavaner dans un nouveau costume inabordable pour le commun des mortels. Le tailleur te déconseille cette pièce, se confond en excuses, tu hausses les sourcils en signe d’agacement, tu ne te souviens pas lui avoir demandé son avis et tu t’empresses de le lui faire savoir.

Quelques minutes passent et ton agacement ne fait que croître, on te fait finalement comprendre que ces pièces sont réservées, réservées à Ceux qui dirigent, aux Soleils du clan, aux Siciliens. Tes épaules se tendent et tu visses brutalement ce carré maudit sur la silhouette frêle de cet artisan qui comptait te présenter d’autres tissus bon marchés, vulgaires ersatz destinés à calmer ta colère aveugle.

La vision trouble tu desserres ton nœud de cravate désormais trop étroit, des visions d’ultra violence parcourent ton esprit et embrument tes sens, tu veux meurtrir cet interlocuteur, dernier augure d’une longue liste te rappelant ta condition de second choix, de suppléant au sein de la Gorgo Nostra. Tu tournes rapidement les talons avant l’esclandre annoncé, ne soufflant mot tu regagnes le soleil des rues animés de Detroit, mâchoire et poings serrés tu t’allumes une cigarette, vaine tentative d’éteindre ton ire à coup de nicotine.

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Les volutes de fumée sont visibles à des kilomètres à la ronde, le quartier des Crows a presque été totalement rasé par la Gorgo Nostra. Toi, tu n’es qu’un spectateur des évènements, pas assez haut dans la hiérarchie, mis de côté de par ton Nom personne n’a eu besoin de tes services. Tu restes des heures à regarder ce bidonville se consumer en guise de consolation, la mémoire de Giovanni est encore vivace, tu n’as jamais pu pardonner leur affront à ces rats du quartier Sud. Privé de vengeance par les tiens tu décides de faire cavalier seul sans attendre une quelconque approbation de ta hiérarchie, les Crows t’ont volé ta place au Soleil, l’honneur de ta Famille, le respect des Tiens, tu décides de tout leur prendre à ton tour.

Tu sombres, encore et encore, dans tes addictions, dans ta violence et dans tes désirs malsains, tes conquêtes féminines ne parviennent plus à éteindre ce feu intérieur qui te dévore, tu sombres en même temps que ta lignée, le Zerilli rayonnant d’autrefois n’est plus que l’ombre de lui-même.