unwanted tears [refonte]

DES SOUVENIR PERSISTENT, ÉMERGENT ICI ET LÀ,
DES MOTS S'AGGRIPENT ET SE LIBÈRENT,
DES INTERROGATIONS DEMEURENT,
DES MOTS RESTENT EN SUSPENS.
Au fond, avons-nous jamais connu le bonheur ?
♫♫♫

Les flammes crépitent, dansant avec une férocité jubilatoire, engloutissant impitoyablement ce vieux bungalow imprégné de désespoir. La fumée s'élève vers les cieux, tandis que son odeur étouffante envahit les poumons, les consumant sans merci. C'est tout du passé, un murmure à peine perceptible, une caresse fugace qui accompagne ces mains entrelacées, une protectrice loyale, une promesse muette de rester unis. Nous deux contre le monde, tu l'as juré en tenant ma main.

***

Que reste-t-il à révéler aux autres ? Quels mots sont suffisants, quelles vérités peuvent être murmurées, quel récit de notre vie peut être dévoilé ? Devons-nous exposer la vérité, raconter l'histoire de cette femme qui n'a jamais mérité le titre de mère, de cette génitrice qui a échoué lamentablement, de cet amour qui a brillé par son absence ? Faut-il évoquer la douleur qui nous a rongés ? Par moments, j'imagine que notre existence n'était pas aussi sordide, que les étrangers qui défilaient dans le salon n'étaient pas si nombreux, que les bruits dans sa chambre n'étaient pas si répugnants. J'aimerais me bercer de l'illusion que la table n'était pas souillée, que l'alcool et la drogue n'avaient pas salis les fissures du bois délabré. J'aimerais croire que tu n'endossais pas un rôle imposé, que tu n'étais qu'un aîné et non un adulte précocement vieilli.
En fin de compte, que devons-nous dévoiler aux autres ? Que nous n'étions pas des pions manipulés, que notre existence n'était pas une imposture pour toucher de l'argent public, que nos sourires ne cachaient pas de profondes blessures ?

Et si nous leur disions tout simplement
que tout était parfait, que cette mère indigne
n'avait pas réussi à nous briser ?

***

La solitude. Je la haïssais. Être seule parmi ces murs décrépits était insupportable, tout comme cette peinture écaillée. J'ai tenté de m'accrocher à cette promesse susurrée au milieu de la nuit, de me souvenir des bras qui m'enlaçaient pour me convaincre que tout irait bien, que cela ne durerait pas. Cependant, le temps est devenu infiniment long, au point que j'ai oublié pourquoi je persistais encore. Neuf longues années d'espoir, d'attente, de comptage des fissures sur les murs, de contentement avec quelques lettres reçues. Neuf années à essayer de vivre. Neuf années à essayer de survivre. À voir cette soi-disant famille s’agrandir pour à nouveau se rétraicir. J’en ai peut-être trop vu ou pas assez. "Plus jamais", c'est ce que je t'ai dit lorsque la maison a finalement flambé.

***

Le reflet dans le miroir le sait, il le constate, un creux dans la poitrine. Un manque énigmatique, forcé, brisé. Inaccessible, insaisissable, un puzzle aux pièces manquantes. Par moments, le reflet semble m'interroger, comme si j'étais l'ombre d'un étranger. Puis, les souvenirs affluent, fragmentés, incertains ; des paroles blessantes résonnent, des larmes déchirent l'atmosphère, des portes claquent, des mains frappent, des ordres demeurent en suspens. Des éclats, des lambeaux, une présence oubliée. Un cauchemar dont les mots, tel un mantra, imprègnent mon âme. Un ami imaginaire, longtemps espéré comme bien plus que cela. Peut-être que les autres ont raisons, ce n'est rien de plus que mon imagination.

***

Les Devils, ils ont toujours été là, ou du moins nos ombres rôdaient à proximité. Des démons qui rétribuaient les services rendus, remplissant le compte en banque nouvellement créé, permettant de louer cet appartement plus propre que l'bungalow. L'argent des diables fraichement empoché avec une tache de sang qui a contribué à financer les études, qui semblaient me revenir de droit. Parce que tu étais là, fidèle à ta promesse, à user de tes phalanges jusqu'au sang pour forger une vie meilleure. À te plier en quatre pour ces hommes que tu considérais comme ta nouvelle famille, à qui tu avais juré loyauté bien avant que nous quittions le Sud d'Ann Arbor pour Détroit. Des démons dont l'influence a peu à peu marqué tes traits qui n'avaient jamais été innocents.

Des démons, j'ai fini par les côtoyer à mon tour, en appréciant certains, en haïssant d'autres, en évitant bien d'autres. Mes mains leur offraient un minimum de compétences pour remettre en état leurs corps abîmés, suffisamment pour éviter de finir sur la scène, comme certaines à se trémousser. Des têtes de chefs que j’ai vu tomber, de la rage que j’ai vaguement partagée, des remords qui ont accompagnés mes nuits et toujours des soins prodigués à défaut de pouvoir donner plus. Des démons, avec leur langage vulgaire, leurs manières brutales, leur attitude feinte de famille, alors qu'ils pouvaient rabaisser n'importe qui d'un simple poing. Des diables que j'ai respectés, que je respecte encore, souvent à me demander pourquoi. Puis je me souviens que c'est pour toi. À cause de toi.

***

Si je devais être honnête, je dirais qu'au fond je te déteste. Que je t'en veux, et idéalement, j'aimerais que tu disparaisses. Si je devais laisser éclater la vérité de mes pensées, j'aurais préféré que tu ne reviennes jamais. J'aurais survécu par mes propres moyens. Oui, tu as été là. Bien sûr, un rôle admirable du grand-frère que tu as joué, que tu as montré. Mais la réalité, si on la disait ? C'est que tu n'es qu'un enfoiré.