friends from the otherside ft. Harvey

@Harvey Booker

Parfois, Wesley avait de drôles d’idées.
Drôle…
Tout dépendait du point de vue.
Le sien, bien entendu, dominait la réflexion.

Affalé sur son canapé, vêtu d’un glorieux boxer (propre) et enroulé dans une couverture, il regardait une série la Princesse et la Grenouille en pensant à son vieil ami Harvey.

L’amitié entre eux avait été aussi évidente que naturelle. Ils se ressemblaient trop pour ne pas s’apprécier, partager une bonne bouffe accompagnée par un alcool de qualité relative (en fonction de leurs bourses respectives), vivre des expériences culturelles enrichissantes (et démentielles), bref Harvey… était le genre de gars qu’on aime fréquenter sans se prendre la tête, avec qui on pouvait parler de tout (ou presque) et qui s’était confié au journaliste sur son intérêt concernant le vaudou. Wes avait cru à une blague mais avait retenu dans son sourire toutes les plaisanteries à la con qui lui vinrent spontanément à l’esprit en constatant que non, ça n’en était pas. Du coup, en bon ami, il s’était renseigné et commençait à douter de la pertinence de ce film Disney comme source fiable de renseignement.

Quoi que. Si une information revenait bien souvent, c’était la mise en garde du danger représenté par la pratique. Est-ce que son ami prenait bien ses précautions ? Pourquoi s’y était-il mis, d’ailleurs ? Est-ce que le vaudou pourrait aider Détroit à aller mieux ? Qu’est-ce que ça leur coûterait ? Est-ce qu’Harvey allait devenir un tueur de poulets en série ?

Wes décrocha son téléphone portable et composa le numéro du flic, qui décrocha au bout de deux sonneries :

— Hi my chicky baby, i’ve questions about… you know… you special thing.

Pourquoi le code ? Comme si la CIA allait écouter leur conversation… Sur la télé, la chanson mes amis de l’au-delà se lança, un peu trop fort. Cherchant sa télécommande, Wes continua sa conversation :

— I’ve make research but it’s hard between fiction and reality and eh… oh right I don’t talk about your dick, stupid ! Can you invite me to eat? To, you know, talk about some of my ideas and maybe…

Peut-être quoi ? Wes imaginait déjà les blagues hilarantes à faire au bureau mais il ne voulait pas risquer de vexer Harvey, mieux valait d’abord tâter le terrain.

Voilà qu’en essayant de s’incruster, Wes se retrouvait à payer la pizza ! Quelque chose clochait dans cet arrangement, pourtant il n’attendit pas une seconde de plus avant de se lever, de se rincer à l’évier de sa salle de bain et d’enfiler des fringues dignes de ce nom. Ou… enfin… au moins des fringues. En sortant de son appartement, le journaliste téléphona à la pizzeria qui se trouvait sur le chemin de chez Harvey et commanda deux pizzas. La première était une hawaïenne, par pure provocation. La seconde ne contenait aucun ananas.

Il paya le repas, le cœur fendu en deux, et reprit sa route vers l’immeuble du policier. Il frappa à sa porte quelques minutes plus tard, le temps de se motiver à monter l’escalier. Il tenait les cartons de pizza d’une main qui commençait à brûler à cause de la chaleur du repas, et tendit l’autre.

— Avant que je m’installe je dois quand même te demander un éclaircissement : ce sera plus simple de m’expliquer si je sers de sacrifice ou… ?

Il rigole, Wes, de bon cœur, et prend place comme on l’y a invité. Il dépose les deux cartons sur la table basse et ouvre la première, feignant la surprise.

— Sacrilège ! s’exclame-t-il une main sur la poitrine, mimant le choc.

Comédien jusqu’au bout des ongles. Il regarde Harvey, comme si ce dernier allait réellement se servir de lui au lieu d’un poulet et, poussant la provocation, s’empare d’un triangle de pizza déjà coupé par le pizzaïolo serviable. Il mord dedans, laisse le jus de l’ananas se mêler à la sauce tomatée et à la mozzarella, avec un plaisir non feint.

— Ch’te déranchai pas au moins ? questionne le journaliste, la bouche pleine.

D’un autre côté, le flic l’a invité chez lui alors il tombait peut-être à pic ?

Il ne comprend pas le marmonnement, ce qui ne l’empêche pas d’éclater de rire. Sans doute quelques insultes bien senties et il aurait tort de se priver, ce bon vieux Harvey. Wes le cherche mais gentiment, toujours dans la limite du raisonnable. Il continue en prenant un plaisir manifeste à déguster sa pizza hawaïenne, laissant l’ananas juteux quoi que probablement tiré d’une boîte en conserve répandre son goût par-dessus celui de la tomate, se mariant merveilleusement.

Il suit le regard du flic vers son ordinateur et comprend ce que signifie « je ne travaille pas aujourd’hui ». Il a suffisamment de potes gamers pour savoir qu’il l’a juste dérangé pendant qu’il s’acharnait à détruire des vies virtuelles ou peut-être à développer son élevage de poneys ? Qui peut savoir… Alors qu’un verre de coca apparait devant lui, Wes boit une gorgée après s’être servi et observe son ami.

— Presque ! En fait, j’regardais la princesse et la grenouille. Tu vois ce que c’est ? Le dessin animé de Disney, ça s’passe à la Nouvelle-Orléans et dedans y’a un gars qui pratique une sorte de vaudou mais c’est assez sombre, ça dérange les fantômes, ça transforme les gens en animaux, enfin tu vois l’idée. Puis ça se retourne contre lui. Et du coup je réfléchissais, je me demandais si c’était fidèle culturellement parlant, si ça racontait des conneries, un peu ou pas trop, et je me suis dit… bah si je posais la question ? Parce que sur Internet, c’est pas clair, on lit tout et son contraire, alors… voilà. T’sais, si je t’en ai pas parlé avant, c’pas parce que j’m’en fous, c’parce que je voulais pas risquer de dire une connerie ou de te vexer, de nos jours vaut mieux être prudent. Je sais quelle hérésie je peux me permettre…

En l’occurrence, celle de l’ananas. Quoi que, vu la tête qu’il tire, pas certain qu’elle soit un jour pardonnée…

De la merde, ah ouais. Wesley hausse les épaules et précise :
— Les chansons sont sympas.
Il aime tout ce qui se chante de toute façon et les sonorités jazz de la Nouvelles-Orléans n’y font pas exception. Le journaliste a une affinité particulière avec Louis, le crocodile, et ça ne surprendra personne. Il comprend aussi très bien Ray qui a su le toucher et ça non plus, ça ne surprendra personne…
Harvey se lance dans des explications pour essayer d’éclairer un peu l’esprit de Wesley au sujet du vaudou. Le journaliste a l’esprit ouvert. Il n’a jamais croisé de fantôme mais ça ne signifie pas forcément qu’ils n’existent pas. C’est pareil pour l’esprit des ancêtres. Est-ce qu’il a des esprits ancestraux dans son entourage qui essaient de lui donner des conseils qu’il n’entend pas ? Ce serait bien sa chance…Chassant ces considérations, il mange sa part de pizza, boit un peu de soda, mange encore, concentré, hochant la tête au bon moment, jusqu’à presque s’étouffer quand Harvey lui annonce ce qu’il a pu être. Et il s’en veut immédiatement.
— Ah bah… Toi, en prof ? J’ai du mal à projeter.
Il se rattrape comme il peut pour ne pas donner dans le body shaming, Wes. Il s’en tape de l’apparence des gens, tant qu’ils se sentent bien dans leur peau et Harvey ne lui a jamais donné l’impression du contraire. Il trouve que son physique colle avec son caractère, du moins ce qu’il en connait mais le connait-il si bien que ça, au fond ? Il rigole en toussant pour recracher le soda qui a glissé dans le mauvais trou.
— Mais c’est qui, qui désigne ton loa ? Y’a un comité ? Et si t’avais choisi une autre voie genre, si tu étais devenu prof, t’aurais eu un autre loa du coup ? Tu lui parles ?
Aucune moquerie dans ses questions, juste une sincère curiosité. Si Harvey lui disait que oui, il parlait à son loa, ça ne lui paraîtrait pas plus bizarre qu’un prêtre qui parle à Dieu.

Wesley imagine sans peine Harvey en joueur de foot américain ou en boxeur. Il a une telle masse que sa droite doit dévaster, il n’aimerait pas se retrouver en face et s’en prendre une. Il parierait que son crâne exploserait en mille morceaux et qu’il y en aurait partout, vraiment dégueulasse. Mieux vaut avoir un spécimen comme ça du côté de la justice, au moins ça change.
— La bouffe, c’est la vie.
Il professe, Wes, comme s’il déclamait une vérité absolue -vérité absolue pour lui. Il aime manger, il aime boire aussi, il aime vivre tout simplement. Il n’a rien d’un mannequin, il a un ventre pas bien dur et ne passe pas sa vie à faire des abdos. S’il garde un semblant de ligne, c’est parce qu’il saute des repas et parce que son métier est stressant, qu’il l’oblige à bouger et qu’il a un métabolisme d’angoissé, malgré son éternel sourire.
Toujours sur sa pizza, il écoute, le journaliste, avec la même attention que s’il parlait à un témoin en vue de récolter des informations pour un article. Il essaie de se projeter aux côtés de Harvey qui se rend dans un pays d’Afrique pour rencontrer ce que, dans d’autres circonstances, Wes aurait qualifié de gourou d’une secte mais après tout, en quoi était-ce différent d’aller voir le pape à Rome ? Moins prestigieux et clinquant sûrement.
— Et si les projets te branchent pas ?
Après tout ça pouvait se poser, comme question, mais moins quand la réaction consiste à prendre une machette. Wes se tend, même s’il sait qu’en face de lui, il a un flic et que ce flic ne va pas l’égorger comme un poulet (et il rigole intérieurement de son magnifique jeu de mots). Quoi que… Peut-être justement… Il déglutit.
— Dommage qu’il n’a pas le téléphone hein. Du coup tu dois tuer des trucs pour lui poser des questions ou ça aussi, c’est du flan ?
Et il ne sait pas trop, Wes, la réponse qu’il espère obtenir à cette question. Est-ce qu’il a vraiment signé son arrêt de mort avec cette lubie et cette pizza ?

Wesley est toujours partant pour une bonne bouffe ou pour goûter un bon alcool. De manière générale, il aime consommer tout ce qui peut ravir ses papilles et Harvey le sait, ça a été au cœur de leur rapprochement dans le passé. Sauf que la bouteille passe assez vite au second plan quand la machette fait son entrée dans l’équation… Sait-on jamais que le flic pète soudainement une durite, après tout ! Il aurait vu plus bizarre, Wes… Mais non, il s’amuse juste à se payer un peu sa tête. De bonne guerre. Le journaliste sourit, apaisé, quoi que les sacrifices d’animaux… Ça lui plait moyen. Douce hypocrisie, quand on compte tout ce qu’il a pu manger comme bestioles dans sa vie. Il a même essayé les insectes, un jour !
— Comment tu sacrifices de l’alcool ?
Ou même du parfum. Il joue un peu au con, il sous-entend que Harvey sacrifice l’alcool en le buvant tout en se doutant qu’il faut sans doute poser la bouteille sur un autel sans y toucher et que le véritable sacrifice réside là-dedans.
— Attends donc si je te suis bien, il y a des vévés pour t’aider en amour ? Et tu ne m’en parles que maintenant ?
Main sur le cœur, supposément brisé, bouche ronde et choquée par cette odieuse trahison amicale comme si Harvey avait toujours détenu les clés de sa salvation en les lui refusant, par pur sadisme.
— Qu’est-ce qu’elle est capable de faire, exactement ?
Non pas qu’il envisage le filtre d’amour ou une idiotie du même genre. Il se contenterait d’avoir au moins une chance avec la personne qu’il convoite ou simplement être remarqué au lieu de toujours relégué au rang d’ami amusant avec qui passer un moment sympa mais surtout pas sans vêtements. Wes n’est pas attiré par le sexe pour le sexe, il a une main qui fait bien l’affaire en cas de petite urgence. Il rêve d’une intimité du cœur et du corps, folie bien trop rare apparemment hors de sa portée. Sauf… peut-être… si des puissances supérieures s’en mêlent ?

C’était facile, comme excuse ! T’as pas demandé donc j’ai rien dit, des années d’errance sentimentale alors que, peut-être, Harvey détenait la solution. Quoi que… Rien n’était moins sûr. Après tout, le vévé devait encore accepter de donner ses faveurs et Wesley supposait que ça impliquerait beaucoup de sacrifices de sa part pour ne fut-ce qu’attirer son attention. Il se sentait capable de gaspiller de l’alcool ou du parfum mais s’il devait égorger un animal, il risquait bien de tourner de l’œil avant d’y parvenir…
— Ah ouais ?
Wes a toujours été discret sur sa vie sentimentale, estimant que ça ne regardait que lui et la personne avec qui il partageait son lit ou un peu de son temps. Même s’il aime en savoir plus sur celle des autres, il n’est pas du genre à questionner à tout va. Du coup, il ignore avec qui Harvey a bien pu passer du temps ou pour qui il a demandé l’aide de son vévé. En tout cas, il semble vouloir lui offrir une petite aide si le journaliste en juge à ses actions suivantes. Il l’observe le couteau occupé à graver le bois.
— Je ne vois aucune raison pour laquelle tu ne pourrais pas mener les deux de front. D’ailleurs, en étant flic, t’as accès à un plus gros panel de clients si tu veux mon avis. Et tu ferais fureur aux mœurs avec un vévé comme celui-là.
Dans l’hypothèse, évidemment, où on croyait à tout cela. Wesley en parlait comme si c’était le cas mais en réalité, il n’était pas bien certain et préférait ne pas trop s’attarder sur ce que rien ne permettait de prouver. La foi d’Harvey ne faisait de mal à personne, pas plus que la Princesse et la Grenouille, d’ailleurs. Enfin… Il supposait ?
— T’es en train d’en faire un pour moi ? Et ça va me coûter combien ton histoire ?
Une demande exagérément soupçonneuse. Il espérait que la réponse ne soit pas une invitation au restaurant, parce que ça risquait de le ruiner.