sanctuaire : eight mile road | elle vit avec Kad et leurs filles dans une maison qu'elle a acheté délabrée mais que ce dernier a rénové avec parfois (rarement) son aide (absolument pas précieuse). Il manque encore quelques finitions.
ombres et névroses : grosse fumeuse | de nombreux tatouages sur des coups de tête
“Ch’peux y aller ?” La bouche encore pleine de l’Oreo qu’elle vient de glisser dans sa bouche, Eunice essuie son visage à l’aide de la manche de son gilet. “Attends, t’as de la compote sur la joue.” Rapidement, Erin passe sa main sur la tâche qu’elle essuie contre son jean. Elle n’a pas le temps d’en faire plus, sa fille s’enfuit déjà pour rejoindre les structures de jeux qui n’ont pas été changées depuis certainement plus de vingt ans. Les ressorts d’un éléphant en fin de vie grincent à chaque fois qu’un enfant ose se balancer dessus. Plus téméraire, Eunice décide de s’élancer avec une amie sur un mur de cordes à l’équilibre précaire. Mais ici, personne ne semble s’en inquiéter. L’abandon du quartier est devenu tellement évident que plus personne ne s’évertue à râler son mécontentement quant à la sécurité des enfants. Et bien qu’elle en ai conscience, Erin laisse jouer Eunice en toute quiétude. Après tout, il n’y a pas encore eu de drame.
Le soleil de fin de journée vient se poser sur le visage de la métisse. Les yeux fermés derrière ses lunettes de soleil, Erin profite de la quiétude du moment, les songes bercés par le rebond inégal d’un ballon de basket que les kids du b-bang se font passer sur le béton usé du city stade juste à côté. Ils retrouvent un court instant l’insouciance de leur jeunesse, délaissent les lourdes responsabilités qui pèsent sur leurs épaules qui supportent parfois une famille entière. Erin les connaît tous, car à eight mile, nul n’est censé ignorer l’autre. Elle se démène pour les faire venir à Young and Up, les voir franchir le pas de la porte consistant déjà en une victoire pour elle. Elle sait bien au fond qu’ils ne viennent pas par envie réelle, mais elle s’en accommode. Une cigarette allumée au coin des lèvres, elle apprécie le moment de quiétude, silence qui a une valeur inestimable, silence qu’Eunice vient briser en appelant sa mère. “Maaaman ! Regarde c’que j’sais faire !” Erin soupire, haussant discrètement les sourcils sans pour autant ouvrir les yeux sur les prouesses de sa progéniture. “Ah oui, c’est bien dis donc.” Le peu d’entrain avec lequel les mots sont prononcés donnent à Eunice l’occasion de s’époumoner à nouveau. “Mais t’as pas regardé !” Résignée, Erin ôté ses lunettes de soleil, gardant la branche entre le pouce et l’index pour interrompre sa séance de bronzage. Immédiatement, la jeune femme se redresse, les yeux rivés sur sa fille debout sur un zèbre ayant vécu bien trop d’atrocités pour supporter le poids d’une jeune fille se dandinant debout. “Arrête, tu vas tomb…er.” Mais la prévention d’Erin arrive trop tard, Eunice est déjà au sol, la tête dans les graviers entourant l’animal sous crack. La gamine pleure et Erin soupire à nouveau. “Bah relève toi !” Les bras tendus en direction de sa fille, Erin l’aide à se relever et passe sa main sur ses vêtements pour enlever la poussière qui s’y était incrustée. Les sanglots d’Eunice viennent lui transpercer les oreilles, et machinalement, elle la prend dans ses bras. “C’est rien, faut pas monter sur les jeux comme ça, c’est pour s’asseoir le zèbre, d’accord ? Allez.” Erin clôt l’incident d’un tendre baiser sur le front de l’enfant qui renifle la peur plus que le mal qu’elle a pu avoir. “Va jouer encore un peu si tu veux, je te regarde.” C’est sa conscience qui se rappelle à elle alors qu’elle se redresse en remettant ses lunettes sur son nez.
La surveillance est cependant de courte durée. Le regard de la trentenaire s’évade sur une silhouette qu’elle connaît bien de l’autre côté de l’aire de jeu. Erin lève un bras enjoué à l’attention de la jeune Dawkins qui semble ne pas l’avoir vu (ou peut-être le fait-elle exprès). Elle a bien remarqué que la jeune femme ne passe plus devant le centre d’aide depuis qu'Erin lui a proposé de passer. Kad était bien trop préoccupé par l’avenir de la jeune femme pour qu’Erin reste les bras croisés. Wynona était pleine de ressources, et il était hors de question pour la jeune mère de la laisser gâcher sa vie à eight mile. “Hey ! Ca va ? Tu viens prendre le soleil toi aussi ?” Le sourire présent sur son visage ne s’efface pas quand Erin vient s’inviter aux côtés de Wynona. L’air de rien, elle regarde la jeune femme avant de reporter son attention sur l’air de jeux et d'enfin rallumer sa cigarette qui s’était éteinte. “T’es pas passée à Young and Up le mois dernier.” Le mégot intensifie le rouge de ses braises qu’elle vient souffler dans un sourire. “On est là le samedi aussi, tu sais ?”
† It's just a cigarette and it cannot be that bad. Honey, don't you love me and you know it makes me sad? It's just a cigarette like you always used to do. I was different then, I don't need them to be cool.
L'odeur désagréable de l'antiseptique, des vieux, des plantes, et bien sûr trois glandus devant alors qu'il n'y avait jamais personne quand elle se contentait de passer devant. C'était un miracle que l'officine tienne encore debout, le plafond avait des trous, certains médicaments étaient encore dans leur carton en libre service, la machine à lire les ordonnances marchait une fois sur deux, il n'y avait que pour la sécurité du lieu que le propriétaire n'avait pas rechigné à cracher son argent. Un grillage de protection devant la porte elle-même fermée par un digicode, des caméras de surveillance et une alarme fonctionnelle. A sa connaissance, personne n'avait jamais réussi à cambrioler l'une des seules pharmacies du quartier qui ne se trouvait pas dans un costco ou un target. C'était aussi la plus proche. Et comme d'habitude à chaque fois que Winnie devait s'y rendre, il y avait la vieille Collins devant elle qui refusait de claquer malgré ses 97 ans, son diabète, sa tension, son souffle au coeur et sa haine des étrangers dans un quartier qui en était composé à 95%. Et là, après vingt-cinq minutes à batailler avec la pauvre étudiante qui se faisait insulter parce qu'elle ne voulait pas lui céder son précieux médicament -l'un des rares qui étaient obligatoirement distribué sur ordonnance- elle battit en retraite en menaçant de ne plus jamais revenir et d'aller se plaindre dans une association de défense pour les consommateurs. « Salut Kelly. En forme aujourd'hui la vieille bique. » L'étudiante tendit la main pour prendre l'ordonnance que lui tendait Winnie. "J'ai honte. J'en viens à espérer qu'elle fasse un arrêt cardiaque." Elle baissa la voix pour que la suite ne soit audible que de Wynona. "Comme si c'était pas assez difficile de bosser ici." Son regard fureta rapidement vers le bureau de son patron qui aurait dû être à ses côtés mais qui préférait passer ses journées sur son ordinateur à regarder des voitures de collection. « T'as fait le plus gros, il te reste deux mois. »"Enfin ! Je vais te chercher ça." Elle s'engouffra dans l'arrière boutique et revint avec un paquet de médicaments qu'elle mit dans un sac. "Ca va ta mamie ?" Winnie haussa les épaules. « C'est stable. Dis, je peux te payer une partie maintenant et repasser pour le reste en fin de semaine... ? » Kelly hocha de la tête. "Ouais pas de soucis, je t'avance."« Merci, tu me sauves la vie. Elle a encore dépensé 200 balles en 7 holidays. » Kelly fronça un peu le nez et encaissa le billet que lui tendait Winnie, prenant ensuite dans son propre portefeuille pour mettre au bout. "A la prochaine." Winnie lui fit un petit signe de la main et sortit avec son sac de médicaments.
Dehors, le soleil frappa son visage dans une vague de chaleur à laquelle elle ne s'attendait pas. Et malgré ça, des connards arrivaient encore à remettre en doute le réchauffement climatique. Elle resta plantée devant la porte de l'officine pendant encore quelques secondes, en pleine réflexion de ce qu'elle allait faire. L'aide à domicile était encore là, elle n'était pas obligée de rentrer tout de suite, Faith était entre de bonnes mains. Elle glissa la bretelle de son sac à dos sur son bras pour fourrer les médicaments à l'intérieur et se dit qu'elle allait profiter du soleil pour aller dessiner quelque part. L'aire de jeux était le meilleur endroit pour ça, les structures étaient pourries et le sable du bac ressemblait plus à la terre séchée du désert qu'à une plage de Hawaï, mais les gamins riaient, les parents discutaient, personne ne se tirait dessus, c'était tranquille. Si les balançoires étaient libres elle... Son regard fuit le bras levé vers elle et elle accéléra légèrement le pas, mais c'était sans compter sur la ténacité de sa... tante par procuration ? « Heeey... » Un espèce d'enthousiasme à moitié feinté, un peu ruiné par ses plans artistiques qui s'envolaient. Qu'on ne s'y méprenne pas, Winnie adorait Erin, mais dernièrement avec les inquiétudes de Kadeuce elle avait un peu trop appuyé le côté maternel de son affection et la jeune femme ne savait pas comment lui dire poliment... qu'elle l'emmerdait. Alors elle l'avait évité, pour ne pas la blesser, même accidentellement. « Ouais, Mamie est avec l'aide à domicile, je voulais en profiter pour dessiner un peu. » Grosse perche tendue pour qu'elle comprenne qu'elle voulait être tranquille. “T’es pas passée à Young and Up le mois dernier.” Raté. Winnie haussa un sourcil, un sourire gêné sur les lèvres qui ressemblait plus à une grimace qu'autre chose. Elle avait autre chose à foutre de ses week-end bordel. « Je travaillais. » Elle se félicita intérieurement de cette excuse parfaite. Elle bossait dans un motel et son emploi du temps changeait constamment. Son regard croisa celui de la gamine qui jouait un peu plus loin et elle leva la main pour lui faire un petit signe, profitant de cette diversion pour changer de sujet. « Elle a l'air en forme ! Ca se passe bien l'école ? Ca vous dit de venir prendre le goûter à la maison ? Faith sera contente de la voir. » Elle n'avait plus toute ses facultés mais sa mémoire était encore relativement bonne, elle serait probablement ravie de voir la petite et allait la gaver de friandises.
(c) AMIANTE
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Had red and purple lipstick all over the page. ☽ Be-be-be-bruises cover your arms. Shaking in the fingers with the bottle in your palm and the best is no one knows who you are. Just another girl alone at the bar. She wants to touch me, she wants to love me, she'll never leave me. Don't trust a ho, never trust a ho cause a hoe won't trust me.
Erin Ward
Martyr
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▬ BEYOND THE VEIL ▬
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“Ah.” Une moue légèrement déçue traverse le visage d’Erin qui tente de faire comme si elle ne prenait pas ombrage des excuses de Wynona. Elle a l’habitude des parades des jeunes pour ne pas venir à Young and Up. Elle sait qu’ils n’ont aucune envie de venir la voir et discuter de leur avenir avec elle quand ce dernier semble tout tracé par les rues délabrées. La jeune Dawkins ne fait pas exception à la règle, la vie lui a donné un autre chemin plus facile à emprunter, et pourtant semé d’embûches. Les excuses font partie du quotidien d’Erin au centre, mais elle a toujours autant de mal à les entendre. Chaque nouvelle excuse sonne comme une victoire pour le gang qui la fait vivre.
“Elle a déjà pris son goûter.” D’un sourire, Erin repousse l’invitation de la jeune femme en enfonçant ses lunettes dans ses cheveux. “Une autre fois ? Le médecin a dit qu’il fallait pas qu’elle mange en dehors des repas, risque de diabète ou obésité j’ai pas tout compris.” Elle tire sur sa cigarette tout en plissant les yeux. Le médecin du dispensaire du quartier avait été clair quant aux mauvaises habitudes que Erin donnait à sa fille. Il avait sorti une brochure qui était donnée à toutes les familles du coin, vantant les bienfaits d’une alimentation saine, variée et équilibrée. Erin avait hoché la tête et froncé les sourcils d’un air concerné sans pour autant s’inquiéter plus que ça des mises en garde du praticien. Elle avait été élevée ainsi, ses cousins et cousines également, probablement le reste d’eight mile aussi, la pauvreté faisait de la nutrition un sujet secondaire au sein des foyers. Les mauvaises habitudes se transmettent sans être remises en cause. Erin perpétue ainsi les conditions de la seule vie qu’elle a connu. Mais pour cette fois-ci, les histoires du médecin lui sont bien utiles. “Et l’école ouais, ouais, ça va.” Volontairement, la trentenaire ne s’étale pas sur ce sujet hautement sensible. Il ne se passe pas une semaine sans que l’institutrice de l’enfant ne prenne le téléphone afin d’avertir sur le comportement jugé problématique de l’enfant. Du point de vue de la mère, cela n’a rien de dramatique, mais il est évident que Erin appose de larges œillères autour d’elle afin de ne pas avoir à ouvrir trop grand les yeux. Son regard se pose sur l’enfant occupée à jouer dans l’insouciance de son enfance. Eunice a bien trop souffert des choix de sa mère, et cette dernière ne peut lui en vouloir de réagir ainsi face aux changements brutaux qui lui sont imposés. Si la fillette est heureuse de la situation qui s’installe, de ce père retrouvé au sujet duquel elle ne cessait de questionner sa mère, elle reste en alerte, connaissant parfaitement l’instabilité maternelle sur laquelle elle ne peut mettre de mots. Eunice a trop connu les éclats de sa mère, les femmes et les hommes qui ont partagé de manière éphémère la vie qu’elles avaient à deux. Avec le temps, elle avait pris peur de ces désertions à répétition. Elle n’était pas sereine, car elle voyait à chaque fois le regard de sa mère se remplir d’une détresse qui les plongeait vers des lendemains incertains. Eunice en voulait à sa mère, mais elle était encore trop jeune pour lui exprimer les douleurs qu’elle avait causées. Erin recrache la fumée de sa cigarette et croise les jambes avant de se tourner vers Wynona. “Comment tu te sens en ce moment ? C’est pas trop difficile le travail et ta grand-mère à gérer en même temps ?” La question est sincère, Erin admire réellement le courage de la jeune femme qui porte sur ses frêles épaules les fondations d’une famille bancale comme on en fait beaucoup dans le coin. Dans la logique du temps, Wynona ne devrait pas avoir à prendre soin de sa grand-mère à la mémoire craquelée. Mais à eight mile, les difficultés de la vie ont une fâcheuse tendance à vieillir la jeunesse qui ne parvient pas à s’émanciper.
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L'inquiétude fondue dans l'insouciance, le sourire nonchalant comme masque de sa fatigue, Wynona avait développé une réelle désinvolture pour tout, moyen tout relatif de se protéger de tout ce qui lui était tombé sur la gueule depuis qu'elle était petite. La tournure aurait pu virer bien plus dramatique si elle n'avait pas eu autant d'amour autour d'elle, Wynona pouvait au moins se vanter d'avoir clairement bien tourné pour cette partie de la ville. Elle travaillait, son casier judiciaire était vierge -pour l'instant-, elle vendait des photos de ses fesses certes et ce n'était pas très catholique mais c'était son choix et ça l'amusait, elle s'occupait de sa grand-mère, avait un toit au dessus de sa tête, de la nourriture dans son assiette, des vêtements à peu près en état sur le dos, elle n'était pas la plus à plaindre. Et pourtant il y en avait tellement, avec le même profil qu'elle, qui se cassaient les reins dehors à risquer vie et santé pour quelques billets, elle avait conscience de sa chance, conscience que tout pouvait disparaître du jour au lendemain. Mais ses pensées allaient tellement partout ailleurs que sur ses propres besoins que plus rien ne comptait vraiment. Plus rien n'était grave. Du moment que Faith allait bien, tout allait bien. Et elle, dans tout ça ? C'était déjà trop tard pour elle. Ses maigres études étaient terminées, son avenir était à peu près tout tracé. Ne restait plus que la nouvelle génération d'enfants et de parents pour espérer redresser la barre, prendre de bonnes habitudes, comme tentait Erin de le faire, malgré toute la maladresse qui la caractérisait. C'était pas plus mal qu'elle écoute le médecin. Wynona avait eu la chance d'avoir une grand-mère qui avait dépensé tout son argent dans ce qui était le meilleur pour elle, de la nourriture jusqu'aux soins, mais ils n'avaient pas tous cette chance. Un jour, Eunice s'en rendrait compte, elle aussi.
Des cris de joie, des pleurs sans souffrance, des courses poursuites, l'espace d'un instant la paix semblait animer ce tout petit bout de quartier qu'un rien menaçait de faire imploser. Il suffirait d'une voiture qui s'arrête, d'une rafale pour éteindre toute cette vie, cet espoir qui grandissait. Une pensée parasite que Wynona effaça aussitôt de son esprit. « Ca va, je suis fatiguée mais ça va. » Les dernières nouvelles n'avaient pas été bonnes, elles ne l'étaient en réalité jamais, mais est-ce que la jeune Dawkins avait envie d'étaler ses inquiétudes à Erin ? Elle l'adorait, à n'en pas douter, mais de là à casser la joie de cet après-midi ensoleillée juste pour se confier ? Les mains enfouies dans son pantalon un peu trop grand, elle gardait le regard vissé sur la gamine que l'énergie ne semblait pas vouloir quitter. « Elle euh... Comment il a dit le docteur ? Elle ré-gresse ? Un truc dans le genre. Et ça peut pas aller en s'arrangeant. Je dois la surveiller tout le temps. L'avantage c'est que je vais pouvoir demander plus d'heures gratuites pour l'aide à domicile, et donc faire plus d'heures au motel. » Toujours finir par le positif, mettre une touche colorée au miasme gris qui s'étalait devant elle. « Mais ça va, tu sais c'était juste un pli à prendre, j'ai ma routine maintenant. Et quand j'ai vraiment besoin de sortir y a toujours moyen de trouver une babysitter. Oh tu sais pas ce qu'elle m'a fait la dernière fois ? Elle cuisine encore, elle adore ça, alors je la laisse faire. Ben elle a confondu les herbes de province avec son sachet de beuh thérapeutique, je t'explique pas l'état dans lequel on était. » Un petit pouffement de rire à ce souvenir qu'elle jugeait visiblement risible, et de fait il ne s'était rien passé de regrettable. Encore un truc qu'elle allait devoir faire avec elle et qui allait lui voler encore un peu de temps, mais c'était Faith, elle valait tout le temps du monde. « J'sais pas trop ce que je vais faire quand elle touchera vraiment plus terre... Si je me trouve un mec, ça serait bien qu'il m'aide avec elle. » Ou que Caden sorte de prison, mais ses priorités étaient visiblement autres puisqu'il continuait de prendre des rallonges derrière les barreaux en multipliant les conneries. « T'en aurais pas un à me présenter toi ? Tu dois en avoir qui viennent à Young and Up ? Tu sais, un qui touche plus à rien et qui prend pas les femmes pour des bonniches ? »
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Les nouvelles concernant Faith ne sont pas bonnes, mémoire qui se vide peu à peu de son contenu, des moments partagés qui s’envolent et disparaissent à jamais. Ici, les aînés sont respectés pour la vie qu’ils ont mené, ce qu’ils ont apporté à la communauté. Il n’est pas rare de voir une famille pousser les murs afin d’accueillir un proche ne pouvant plus vivre seul. Ils s’entassent alors en haut des tours et accompagnent cet aïeul qui leur a tant donné, juste retour des choses que personne ne remettra jamais en cause. On comprend mal ces familles qui mettent celles et ceux qui les ont élevés dans ces mouroirs où les journées s’enchaînent et se ressemblent. Erin a toujours entendu sa mère dire qu’elle s'occuperait de la sienne jusqu’à son dernier souffle. Il faut dire que la grand-mère maternelle avait une sacrée force de caractère, il était certain qu’elle n’était pas prête de rejoindre Woodlawn avant un bon moment. C’est du moins ce qu’Erin aimait à penser. Elle a du mal à accepter l’âge que prend cette femme qui a toujours été dans sa vie. C’est chez elle qu’elle allait après l’école. Et c’est encore cette même femme qui ajoutait quelques gouttes de café à sa tasse remplie de lait en lui promettant de ne rien dire à sa mère dans un clin d’œil complice. Plus tard, lorsque l’adolescence prenait toute sa place dans le cœur de sa petite fille, c’est elle qui pansait les plaies des peines de cœur qui s’accumulaient dans sa jeune vie. Elle a appris à Erin à devenir cette femme insouciante qu’elle est aujourd’hui. Elle lui a appris à vivre avec pour seul conseil, celui d’écouter son coeur. Imaginer un monde sans cette femme revenait à tirer un trait sur les souvenirs de son enfance. Voir les personnes que l’on aime vieillir n’est jamais quelque chose d’agréable. L’optimisme de Wynona malgré les circonstances force tout de même l’admiration. Cigarette laissée à même le sol, Erin lui sourit. “ Hésite pas si t’as besoin parfois, j’ai pas de travail tu sais !” Et du temps libre, elle en a. Elle préfère rire de la situation, plutôt que d’admettre que la vie qu’elle a actuellement lui va parfaitement. Erin n’a jamais aimé travailler. Ou peut-être que les jobs qu’elle prenait pour manger ne l’ont jamais réellement passionné. “ Ça me dérange pas, et ça te permettra de prendre un peu de temps pour toi.” La jeune femme se rappelle alors à sa conscience maternelle en jetant un œil à sa fille toujours occupée à jouer, ignorant encore pour longtemps les maux des adultes. Bien qu’elle passe énormément de temps à râler sur le comportement de la mère de Kadeuce envers Eunice, Erin est soulagée que l’enfant puisse connaître cette femme qui fait partie de son histoire.
“Tu comptes sur un mec pour t’aider ?” Elle ne peut s’empêcher de rire avant d’ajouter avec un peu plus de sérieux : “ Peu importe ce qu’il fait dans la vie, le plus important c’est que tu sois le centre de son monde. Tout ce qu’il fait, c’est pour toi.” De sa main, elle désigne les kids qui retrouvent leur âme d’enfant l’espace d’un instant en jouant sur le terrain de basket usé par les années. “Ils font quoi sans leurs mères, leurs sœurs ou leurs femmes hein ?” Rien. Les femmes sont le cœur de ce quartier oublié. Erin prend alors une longue inspiration afin de faire le tour des prétendants potentiels de Wynona au sein de Young and Up. “ Hum … mais sinon y’a Aston. “ L’oeil rieur, elle regarde Wynona un léger sourire au coin de la bouche. “ C’est le cousin de Delanna, tu sais, sa mère travaille à l’épicerie qui fait l’angle entre la John R Road et je sais plus quelle avenue.” Elle claque des doigts pour faire revenir le nom du commerce qu’elle a oublié, en vain. “ Ah, merde, je sais plus comment ça s’appelle. Enfin bref, il vit chez sa tante, il est arrivé pour continuer ses études y’a pas longtemps. Il vient de Milwaukee. Il venait souvent récupérer sa cousine à Young and Up, et puis à force de discuter avec lui, il est venu nous aider.” Aston était animé par cette volonté de voir sa cousine grandir sereinement, de lui éviter les rues d’eight mile qui l’appellent déjà à cause de l’absence de cette mère qui se tue au travail. Le jeune homme n’avait pas connu le gang, éloigné par une mère originaire de la ville qui connaissait parfaitement la gangrène qui se répandait dans les rues de son enfance. Elle avait décidé de partir de Détroit afin d’élever son fils. Mais pourtant, Aston était venu de son plein gré, comme si finalement, rien ne pouvait jamais les éloigner réellement de ces rues sans issue. Erin en avait fait le triste constat, trop loin, il lui avait fallu revenir, poussée par ce besoin de faire connaître à sa fille ce père qu’elle lui avait ôté, cette ville qu’elle n’avait pas connue. “Passe, il pourra te parler de l’université !”
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Difficile de se plaindre dans un quartier comme le leur. La moitié des habitants avait vécu pire, l'autre moitié allait probablement le vivre plus tard. Personne n'a jamais dit que c'était une compétition mais entre estropiés de la vie il y avait forcément des sujets à éviter. Tout le monde avait le droit à son lot de tristesse mais dans le respect de celui des autres. « Ouais ? J'sais pas, t'as ta gamine, j'veux pas déranger. » Ca, et la difficulté à déléguer, comme si on pouvait lui reprocher de ne pas être toujours disponible, ce qui, même si ça arrivait, serait totalement injuste et elle le savait. Elle donnait déjà beaucoup pour la vieille dame. « J'te la déposerai alors, parfois. Ce weekend ou le prochain, si t'es libre ? J'ai rien de prévu mais j'passerais bien juste deux jours devant la télé à bouffer des sucreries et à glander au lit le matin. » Elle se voyait déjà ouvrir un oeil, réaliser qu'elle n'avait pas besoin de bouger, qu'aucun réveil ne l'arrachait à son précieux sommeil pour donner ses médicaments à Faith, et juste se retourner dans son lit pour repartir dans les bras de Morphée.
« Ben c'est à ça que ça sert ? » Sa vision de l'amour s'était développée au fil des séries et des films, elle voyait un partenaire de vie prêt à assumer sa part des choses, que l'adversité n'effrayait pas, et qu'elle soutiendrait tout autant que lui la soutiendrait. « C'est genre... Ton meilleur ami ultime mais avec qui tu couches et qui te gonfle pas après trois jours consécutifs de présence ? Faith elle disait un truc, genre, ton mec c'est ton amant, ton ami et ton amour, ou un truc dans l'genre, et j'trouve que c'est bien. Moi j'aime bien cette idée. » Elle glissa ses doigts entre deux torsades pour gratter un bout de son crâne, plissant un peu le nez en sentant de la difficulté à l'atteindre. « Je veux pas être le centre du monde de quelqu'un, c'est trop chiant. J'veux juste en faire partie, avoir une place importante, qu'on partage des trucs plus fort qu'avec les autres. » Elle fourra à nouveau ses mains dans ses poches. « Enfin j'sais pas. Y a personne qui m'plait de toute façon. » Enfin si, y avait bien le frère de Bennie mais il ne l'avait jamais regardé comme elle aurait aimé qu'il la regarde et il avait déjà quelqu'un. « Aston ? Je l'ai déjà vu ? » Comme si Erin pouvait savoir ça à sa place. Elle avait néanmoins éveillé la curiosité de l'artiste en carton, qui semblait soudainement très intéressée. « Il fait quoi comme études ? Il a quel âge ? Il est mignon ? Est-ce qu'il est gentil ? » Si la maman en herbe avait voulu trouver meilleure argument pour motiver Wynona à venir dans son association, elle n'aurait pas réussi. Fleur bleue, la promesse d'un garçon était toujours un bon appât, même si 95% du temps ça ne menait à rien tant elle était exigeante. « Ben au pire, samedi je passe te déposer Faith à l'association, avec ses affaires et tout ça, comme ça t'en profites pour me présenter ? »
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Il y a des jours où Erin devrait tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, avant de proposer spontanément son aide pour tout et n’importe quoi. Cette fois-ci n’y échappe pas, et alors qu’elle s’attendait à ce que Wynona décline son offre, elle se retrouve avec une proposition de week-end à passer avec Faith. Mais elle ne sait pas dire les choses Erin, alors elle hoche la tête en souriant, balayant la question d’Eunice d’un revers de la main. “Mais non ça me dérange pas ! Eunice et Faith s’adorent en plus !” Et c’était vrai que la gamine adorait passer du temps avec l’ancienne. Peut-être parce que Faith avait gardé dans le fond des yeux la malice de l’enfance. Parfois, Erin voyait leurs yeux briller du bonheur de simplement se revoir. “Elle arrête pas de demander quand est-ce qu’elle va voir sa copine.” C’était d’ailleurs très certainement la seule amie avec laquelle Eunice ne s’était pas battue, alors peu importe l’âge, Erin prend quand même.
Les coudes contre le dossier du banc, Erin en profite pour se rallumer une nouvelle cigarette alors que Wynona confie ses états d’âme solitaire. “Bah c’est ce que je te dis. Si c’est ton meilleur ami, que tu couches avec et qu’il y a de l’amour entre vous, t’es le centre de son monde et inversement.” Elle hausse les épaules, elle a toujours vu les choses comme ça, dans toutes ses relations, et encore plus avec Kadeuce. “À partir du moment où t’es avec quelqu’un, t’es dans sa vie et donc ça tourne forcément autour de toi, tu vois ce que je veux dire ?” Elle comprend son envie de partager quelque chose, d’avoir une personne à laquelle se raccrocher, elle est pareille. Erin n’a jamais su vivre seule. Elle a besoin d’une autre présence pour ne pas avoir à trop se préoccuper de sa propre personne. “T’as forcément envie de tout faire pour la personne que t’aimes.” Parfois même jusqu’à se perdre.
Les questions de Wynona s’enchaînent plus vite que les réponses qu'Erin tente de formuler. Si on lui avait dit que la simple évocation d’une bénévole ferait venir la jeune adulte, elle se serait bien passée de proposer son aide pour s’occuper de Faith. La jeune mère se met à rire face à l’entrain de Wynona. “ Il fait ses études dans le marketing je crois et c’est quelqu’un de très gentil, les enfants adorent quand il est là !” Pour le reste, elle n’avait pas tout retenu. Mise devant le fait accompli, Erin songe déjà aux aménagements qu’elle va devoir faire pour accueillir la grand-mère Dawkins. C’est-à-dire laisser sa chambre et dormir dans le salon. Il y en a un qui va être ravi de l’initiative prise. “Ok, mais tu restes un peu avec nous alors.” Car elle n’en oublie pas pour autant son but premier : celui de faire venir Wynona à Young and Up et ainsi l’accompagner afin qu’elle laisse tomber les mauvaises habitudes qu’elle a prises à eight mile.“Deal ?” Dans un sourire entendu, elle se tourne alors en tendant sa main à la jeune femme, la paume en direction du ciel prête à recevoir l’acceptation du marché proposé.
