Trying to breathe • Tony DiMarzo

12 mai - Encore matinée que Tony avait passé à faire des allers-retours aux toilettes pour vomir. Une journée de plus à avoir des vertiges chaque fois qu'elle se levait un peu vite. L'impression que chaque jour était pire que le précédent. L'italienne ne pouvait s'empêcher de se demander si c'était normal. Si c'était des symptômes courants, classiques, réguliers que subissaient beaucoup de femmes enceintes. Si c'était son absence de désir d'enfant qui poussait son corps à rejeter l'être qui grandissait en elle, comme pour la persuader qu'elle avait raison. Pour une fois que son cerveau était son allié plutôt que son ennemi. Il aurait quand même pu s'y prendre autrement qu'en lui imposant une espèce de gastro chaque jour que Dieu fait. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour donner le change au travail, avoir l'air d'aller bien, ne pas éveiller les soupçons de son équipe, trouvant des excuses à ses sautes d'humeur, quittant le plus calmement possible une pièce l'air de rien avant de courir dans le couloir jusqu'aux toilettes en l'absence de témoins. Dans tout ça, il fallait aussi composer avec le risque de croiser Lorenzo qu'elle prenait grand soin d'esquiver... Si l'envie de se jeter à son cou était curieusement présente, c'était trop tendu entre eux, trop ... bizarre. Le bruit de ses ongles tapotant sur l'écran de son téléphone venait perturber le silence troublant du hall. Perdue dans ses pensées, avalant machinalement de petites gorgées d'eau fraîche à presque chaque minute pour tenter de dissiper ses nausées. Qu'est-ce qui lui avait pris d'accepter de dépanner à l'accueil ce soir alors qu'elle ne supportait plus l'odeur du produit de nettoyage utilisé pour la moquette. Une grande inspiration pour faire rentrer l'air dans ses poumons. Mauvais plan avec ce parfum entêtant auquel elle n'avait jamais prêté attention jusque là. Quelques gorgées d'eau glacée coulèrent dans sa gorge. Un peu de concentration. Perdue dans ses pensées, elle n'entendit même pas la porte par laquelle était entrée Raven. « Salut. Je vois que tu es débordée. » La sicilienne lui rendit son sourire du mieux qu'elle pouvait.

En semaine, à cette heure, c'est plutôt tranquille

Le week-end, c'était une autre histoire, même tard. Entre les clients qui restaient au casino jusqu'à la fermeture, ceux qui restaient dans les salles VIP et ceux qu'il fallait ramener jusqu'à leur chambre parce qu'ils étaient ivres... Cela dit, ça avait le mérite d'occuper. « Ca va ? T'es toute pâle... » Son sourire disparu aussitôt mais elle se força à le faire revenir. Petit rire forcé qui agita ses narines. Excuse toute prête qu'elle avait répété un million de fois dans sa tête.

Ouais, j'dois couver une saloperie, ça fait déjà quelques jours que j'suis pas dans mon assiette mais ça va passer.. et encore, elle n'avait pas vu la gueule du bleu sur sa joue, couvert par le fond de teint. Quelques gorgées d'eau supplémentaires et elle tenta de détourner l'attention de son teint cadavérique T'as décidé de pas rentrer chez toi ce soir ?

Raven avait été un coup de cœur pour Tony. Avant même de connaître son passé, elle avait eu cette envie de la protéger contre le reste du monde, apprendre ce qu'elle avait vécu n'avait fait que renforcer ce sentiment. Leur amitié s'était tissée tout naturellement malgré leurs caractères et l'italienne avait eu suffisamment confiance pour aider Raven à se faire embaucher au casino alors qu'elle ne la connaissait que depuis quelques mois. Si quelqu'un avait remarqué un changement chez Tony.. c'était sûrement elle. Pourtant, la sicilienne faisait tout pour faire illusion et ça faisait sans aucun doute l'affaire auprès des gens qui ne la connaissaient que de loin. Elle cherchait à se donner des couleurs pour masquer sa pâleur, évitait les tallons hauts pour ne pas se péter une cheville en courant, portait même des hauts légèrement plus amples. En se regardant dans le miroir, elle avait l'impression que son ventre s'était légèrement arrondi. La faute du bébé ou celle des milkshake qu'elle s'enfilait ? Dieu seul le sait mais, dans le doute, elle préférait ne pas éveiller les soupçons et les rumeurs. Cacher sa grossesse à son frère et à sa mère était déjà suffisamment difficile. « Et tu n'as pas été voir le médecin... ? Ils ont des trucs pour... ça. » A vrai dire oui, il y a un moment. Et c'était suite à ça qu'il lui avait conseillé de faire un test de grossesse pour exclure cette éventualité...

Si c'est pour me donner des médocs et me dire de reposer, j'peux le faire toute seule

Tony esquissa un bref sourire. Bien qu'elle ne veuille pas poursuivre sa grossesse, elle faisait les examens qu'il y avait à faire, faisait ses écographies et prenait même des vitamines. Juste au cas où ... Elle avait fait part de ses vertiges, de ses nausées, tout ce qu'on lui avait répondu, c'était qu'il s'agissait de symptômes de grossesse classiques. Youpi. « Non. Je n'étais pas fatiguée. Je me suis dis que j'allais passer voir si tu étais là. » Bingo !

Et j'suis là ! elle écarte les bras de façon théâtrale avant de les laisser retomber et de boire un peu d'eau Mais j'devrais pas, j'ai juste remplacé Anita ce soir parce qu'elle avait un souci, t'as eu de la chance

Depuis sa promotion en décembre, elle avait son propre bureau. Parfois il fallait admettre que l'ambiance du bar lui manquait. Ainsi que flirtouiller avec les clients riches pour les inciter à commander un verre de plus. Bien qu'actuellement, elle était bien mieux au calme. « Tony... » Elle fronça les sourcils. Quoi ? Qu'est-ce qu'il y avait ? Un problème. Intérieurement, elle secoua la tête. Non, pas de paranoïa. « C'est un nouveau fond de teint ? Il est plus... euh... couvrant que d'habitude, non ? » Son visage se détendit mais elle ne pu masquer une certaine surprise.

Hm ouais possible.. faut dire que j'me suis pris une mandale dans une bagarre y'a trois semaines, j'ai encore la trace, ça fait pas terrible devant les clients... Tony marqua une pause. Observatrice, elle détailla Raven Rav' ... j'vois bien que tu voulais pas me parler maquillage alors qu'est-ce t'as vraiment à me dire ?

Pas au meilleur de sa forme, c'était le moins qu'on puisse dire. Si déjà, physiquement, elle s'était déjà mieux porté que ça, le moral n'était vraiment pas au beau fixe. Tiraillée entre son éducation et sa liberté. Une éducation sur le sens de la famille qui passait avant tout. Un Dieu qui interdisait cet acte qui lui trottait dans la tête. Contre une liberté de disposer de son corps, de sa vie. Une vie qui serait gâchée si elle devenait mère aujourd'hui, de cette façon. Elle faisait confiance à Enzo pour assurer mais ce n'était pas la question. Si ce n'était que ça.. ce serait réglé. Si elle avait juste peur de se retrouver seule pour élever cet enfant, il saurait la rassurer. Mais cet enfant, elle n'en voulait pas. Pas sûre d'en vouloir un jour, tout court. Sûre de ne pas en vouloir maintenant. « Oui... En fait, je voulais te parler de quelque chose. » Est-ce que c'était mal d'être contente de voir une Raven tracassée par quelque chose pour ne plus avoir à penser à son état et se concentrer sur son amie ? Difficile à dire. Toute ouïe, les yeux de Tony passèrent successivement des mains nerveuses de la brune à son visage hésitant. Raven pouvait parler à Tony, elle le savait. « Je t'ai déjà parlé d'Ewan, mais je ne t'ai pas dit dans quelles conditions j'étais partie. » L'italienne fronça les sourcils. Son histoire avec son connard d'époux, elle la connaissait, elle était au courant de sa violence, c'était en partie de ce qui avait tant touché Tony et donné envie de lui offrir ses bras comme bouclier. L'idée qu'il y ait encore des zones d'ombres tenues secrètes fit accélérer son cœur, inquiète. Attentive, Tony en oubliait presque de respirer, comme si une inspiration trop forte pouvait lui faire louper un morceau. « J'étais tombée enceinte [...] » Dents et poings serrés, ongles qui lui rentraient dans la paume de la main. Hasard ? Non.. Tony n'y croyait pas. « Et j'ai réalisé que je ne voulais pas de cet enfant. Que je ne pouvais pas le faire venir au monde alors que la première pensée que j'avais eu en sachant qu'il pouvait exister, c'était que grâce à lui, je respirais enfin. » Ses yeux qui s'humidifiaient, Tony essayait de se retenir. Un mélange de peine et de soulagement qu'une personne ait eu un sentiment semblable au sien. Sur le fait de ne pas vouloir donner la vie. A l'inverse, Tony se sentait prisonnière avec l'existence de cet enfant potentiel. Sans piper mot, par peur de l'interrompre, elle écouta, encore, en silence. « J'ai volé de l'argent à mon ma... Mon ex mari, et j'ai avorté. J'ai avorté pour moi, et j'ai aussi avorté pour cet enfant qui n'aurait jamais reçu l'amour qu'il méritait de ma part. » Là ça devenait difficile de se retenir. D'un revers de la main, elle essuya ses yeux déjà rougis avant que les larmes n'aient le temps de couler sur ses joues. Avorter. Raven avait avorté. Elle comprenait. Elles se comprenaient.

J'suis désolée que t'aies vécu ça, c'est horrible, si j'avais su ... réussit-elle enfin à articuler, gorge serrée mais je comprends pas pourquoi tu me ..

Puis merde. A quoi bon finir cette phrase et essayer de nier ? Elle avait entendu sa propre voix trembler. Raven savait. L'angoisse que d'autres qu'elle se soient rendu compte de ça était palpable mais pour la première fois, Tony sentait enfin qu'elle avait quelqu'un dans son camp. Une amie auprès de qui vider son sac. Un soutient indéfectible qui comprenait, qui l'avait vécu, qui ne la jugerait pas et ne chercherait pas à la faire changer d'avis. Dents qui s'enfoncent dans sa lèvre inférieure, elle laisse finalement une larme couler, peinée, soulagée, bouleversée, une tornade d'émotions diverses qu'elle n'identifiait pas.

Comment t'as ? "su". Peu importe. Question con : elle l'avait dit, elle était passée par là. Coude appuyés sur le bureau, elle baissa la tête. Est-ce que tout le monde sait ? Non. Sinon, elle aurait été emmerdée bien plus tôt, aurait subit des regards, eu droit à des félicitations déplacées et Leone lui serait tombé dessus Il sait. Je venais de faire un test quand il est passé chez moi et il l'a vu alors j'ai pas vraiment eu le temps de réfléchir elle aurait pu nier qu'il était le père. Maintenant, elle se dit qu'elle aurait dû. Et il me soutient pas dit-elle d'une voix chevrotante Je veux pas de ce bébé... Enzo c'est encore un gamin, j'pensais que ça l'arrangerait que je veuille pas le garder elle poussa un soupire Pendant un instant j'ai oublié que c'était aussi un Valente, un italien pure souche et.. dans notre culture, la famille c'est sacré. On avorte pas, on remet pas en cause la volonté de Dieu de donner la vie.. Au contraire, on fait des enfants, on transmet son sang, son nom et ses valeurs. La famille, c'est une force. Et j'suis comme une conne à lui avoir promis d'y réfléchir et de pas agir sur un coup de tête.. mais plus j'y réfléchis et plus j'vois que c'est ma seule solution si j'veux pas en crever. Lui il a vu un bébé à la seconde même où il a su que j'étais enceinte et maintenant.. va lui sortir ça du crâne. Il peut me forcer à rien, il le sait, il espère simplement que je vais changer d'avis. elle marqua un silence son regard se perdant dans le vide Ça me tue de jouer à cache-cache avec lui mais si on parle, on va parler de ça. Si on parle de ça, on va s'engueuler. Si on s'engueule... elle laissa sa phrase en suspens.

Elle se connaissait. Tony c'était un amour mais c'était aussi une teigne. La meilleure défense, c'est l'attaque. Lorsqu'elle était sur la défensive, elle devenait vite agressive et ses mots pouvaient rapidement dépasser sa pensée. Blessante, méchante, une connasse de compet' parfois. Le sujet était trop important pour que Tony laisse du terrain. Pourtant, elle était toujours enceinte. Pas besoin d'institutions pour la culpabiliser. Les anti-avortement, elle pouvait se battre avec eux à coup de barre de fer sans regretter une seconde. Ces connards d'extrémistes conservateurs tellement cons qu'ils ne trouveraient même pas leur bite pour pisser mais qui voulaient contrôler son corps. Ils n'étaient rien comparé à Enzo qui parlait de tuer leur bébé. De ce que pourrait faire son frère s'il savait. De ce que ferait Salvatore si elle allait jusqu'au bout...

Putain je.. j'suis désolée dit-elle en essuyant ses yeux Je.. merci finit-elle par lâcher J'en ai parlé à personne d'autre que lui. J'pensais que de pas en parler ce serait plus facile, que ça rendrait ça moins réel mais en fait ça me bouffe tout lui rappelait à chaque seconde son état Ça veut dire que.. que tu voudras bien m'accompagner si j'y vais ?

"Si" ou plutôt "quand". Il lui restait un doute. Infime mais bien présent. Il y avait peu de chance pour qu'elle se laisser aller à ce doute mais il était juste assez présent pour qu'elle hésite, culpabilise, craigne. Affronter ça seule devrait être facile, elle était forte. Pas si forte quand elle avait chaque soir envie de effondrer, de sortir de ce cauchemar.