Don't forget where you belong - Bennie

Don't forget where you belong

Esteban Madden & @Bennie Kelly

Bon, bon, bon… Il serait peut être temps d’y aller là… Il enfonça sa casquette sur son crane et écrasa sa clope dans le cendrier. Il était confortable, le lit de Billy. Personne pouvait l’y atteindre… Mais bon, reprendre pied dans sa vie, ça pouvait être bien aussi… Couper cet amas de cheveux qui dépassait de sous la casquette… Il allait peut être bien lui demander une décolo propre aussi… Il savait pas encore… En attendant, il allait se faire pourrir, il la connaissait assez bien et en vrai? Il en rigolait d’avance. Bennie avait pas de filtre ou presque et était clairement la Beyoncé du coin, diva et tchip soleil couchant, tout ça… Mais c’était Bennie et il l’échangerait pour rien au monde. Il ne put retenir un claquement de dents en sortant de la bagnole. Il était temps qu’il retrouve l’extérieur, parce que là, la fragilité atteignait un stade critique, sérieusement… Il serra autour de lui le gilet d’un goût plus que douteux qu’il avait trouvé dans une friperie à Salt Lake City, mais au moins, ça lui tenait chaud! Puis c’est pas comme s’il avait toujours un gout exquis pour s’habiller… Tant que c’était pas plein de trous avec une couille qui dépasse, c’était toujours bon! Sans compter qu'à une époque pas si lointaine, il passait le plus clair de son temps en pantalon de travail et débardeur… Pas besoin de soulever de la fonte quand on passe ses journées à bouger des briques hein… Il poussa doucement la porte du salon, souriant en coin en entendant la playlist… Les choses ne changeaient pas vraiment… Juste les gens… et lui avait beaucoup changé intérieurement… Ne la voyant pas dans le salon et profitant de l’absence totale de monde, il éleva sa voix pour être sûr d’être entendu.

“Sérieux, on est à Détroit, et ça écoute même pas Eminem? J’vais aller voir ailleurs moi!”

Il n’ajouta pas que 2pac serait honteux pour elle, parce qu’il savait qu’elle allait sur réagir à l’évocation de son grand amour éternel… Peut être qu’en négociant un virage serré en parlant de Travis, incarnation vivante de l’amour, il arriverait à s’en sortir, mais autant ne pas sortir cette carte là… Il avait pas forcément envie de se prendre une reverse et de se faire demander comment allait Jess… Il se tendit un peu rien qu’à sa pensée mais fut rapidement distrait par la diva qui entrait en scène. Il lui offrit un grand sourire innocent comme pour faire genre “c’est pas moi, j’ai rien dis” avant de la saluer.

“Salut beauté, ça fait une paye.”

Le temps passait, mais c’était un peu comme si les choses avaient attendu son retour… Sauf Billy… Billy, il avait pas attendu, il s’était enfoncé tout seul… Si ça n’avait pas fini de façon aussi tragique, il aurait pu être content de le voir s’ouvrir au monde tout seul, mais là… C’était juste un magma de culpabilité qui faisait des bulles au fond de lui… ça attendait tranquillement son heure pour être vomi… En attendant, ça corrodait tout l’intérieur… Il finit par retirer la casquette, faisant une moue d’enfant coupable en la regardant.

“J’ai besoin de la meilleure des coiffeuses d’Eight mile… Puis si ma frangine est d’accord, j’l’emmène bouffer?”

Ils avaient pas énormément de différence d'âge, tous les deux, mais ça restait sa petite soeur quoi… C’était fou ce rapport de fraternité qu’il avait réussi à établir avec autant de personnes, au final… Mais au moins, ça lui donnait quelque part qu’il pouvait appelé “maison”.

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@Esteban Madden

eight mile 4 février 2022

Coincée entre les colorations à l’ammoniac et des serviettes fraîchement lavées, la jumelle Kelly s’active, bras tendu en guise de perche à selfie. Bennie cherche l’anglais parfait, celui qui mettra en valeur le maquillage qu’elle a mis du temps à faire ce matin pour que cela paraisse naturel quand, en réalité, un vrai ravalement de façade a été fait. Changes en fond sonore, amour de toujours qu’elle a pour son regretté Tupac dont tout le monde entend parler, elle fredonne tout en usant de sourires forcés pour éblouir ses réseaux. Sa contemplation narcissique est cependant de courte durée. Une réflexion sur le rappeur qui n’est pas d’eight mile, et voilà la coiffeuse partie au quart de tour alors qu’elle s’extirpe de l’arrière salle en poussant le rideau poussiéreux. “Hé si t’as pas content tu fermes ta grande bouche et tu …”

La coiffeuse la ferme rapidement, sa grande bouche, lorsqu’elle se retrouve face à la loque qu’elle ne connaît que trop. Esteban Madden, parasite de toujours vivant chez les Kelly quand l’envie lui prend, meilleur ami de Billy, celui qui l’a empêché de faire certaines conneries et qui l’a aussi entraîné à en faire d’autres. Cela ne se voit pas, mais elle sourit presque de voir à nouveau cette tête qui a décidé de partir comme ça, du jour au lendemain. “Bah t’es là toi ?” Le ton de la surprise se veut neutre alors qu’elle triple son menton dans son cou en haussant les sourcils. “T’as vu ta gueule ?” Un soupir suivi d’un tchip se fait entendre dans le salon déserté en cette fin de matinée alors qu’elle s’avance vers lui pour passer ses ongles crochus dans ses cheveux de hippie. “Va falloir au moins un resto ouais.”

Les cheveux de l’ami d’enfance de son frère correctement lavés, la jeune femme le laisse s’installer devant le miroir alors qu’elle envoie un message à tout le reste de la famille, pour prévenir, comme toujours. Son Iphone volé retombe lourdement contre sa table d’appoint sur laquelle repose tout un attirail de torture capillaire. “Alors, t’as décidé de ramener ton cul ici ça y est ?” Pas qu’il lui avait spécialement manqué, Bennie a appris avec le temps à ne pas s’attacher aux personnes qui passent chez les Kelly. Elle a trop de fois été déçue pour pouvoir prétendre aimer quelqu’un qui n’est pas Travis ou un de ses frères ou sa sœur. Esteban est pourtant parmi ceux qui ont déjà réussi à la faire sourire alors qu’elle était prête à découper les vêtements de Billy en une multitude de morceaux. “ P’tain mais t’es sérieux avec tes ch’veux là ? T’as vu à quoi ça r’ssemble ? Tu sais à qui tu r’ssembles là ?” Un instant elle le regarde avant d’éclater de rire face à l’évidence. “Earl !” Earl, sans-abri parcourant eight-mile, figure du quartier auquel tout le monde offre volontiers un repas chaud. Bennie le fait régulièrement d’ailleurs, mais jamais elle n’irait se risquer à coiffer la tignasse qui doit avoir vu bien des horreurs.

“Bon, allez, j’coupe tout ça, on va t’faire ressembler à quelqu’chose. “Armée de sa tondeuse, elle commence alors l’élagage. “T’es d’passage ?” Elle voulait surtout savoir s’il avait revu Billy, s'il avait été le voir, et savoir comment son frère se portait. Elle ne l’avait pas revu depuis son passage à Sainte Sophie, fierté mal placée qu'elle gardait en elle. Mais comme bien souvent, elle n’en a rien montré, préférant ignorer la rancœur que pourrait avoir son frère envers elle suite à sa visite un brin bruyante.

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Evidently, it's elementary, they want us all gone eventually. Troopin' out of state for a plate of knowledge. If coke was cooked without the garbage, we'd all have the top dollars. Nas

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Esteban Madden & @Bennie Kelly

Comme il s'en était douté, attaquer la sélection musicale, c'était démarrer le moteur d'une Bennie toujours prompt à défendre ce qu'elle aimait... Bec et ongles. Le coeur bien over la raison, mais c'était elle et au moins, elle était authentique. Pour le coup, c'est lui qui avait réussi a lui clouer son joli bec. Pas peu fier de lui. Il lui servit un sourire d'innocence avant de hocher la tête.

"Je suis là, oui."

Elle avait eu des nouvelles, comme les autres, de façon assez... parcellaire. Cartes postales épinglées dans la cuisine, sms pour les anniversaires et les fêtes, ce genre de choses. Peu d'appels au demeurant, mais il n'avait permis à aucun de son petit monde d'oublier qu'il était en vie.

"J'ai vu ma gueule. T'aimes pas mon nouveau style?"

L'ironie grinçante de cette phrase lui faisait saigner les oreilles. Oui, merci Bennie, il savait dans quel état il était et encore, s'il n'avait pas une espèce de moquette en leopard rose sur le dos, elle pourrait constater à quel point c'était pas qu'une question de gueule, son souci. Déjà les cernes, il pouvait pas les camoufler... Enfin, il connaissait l'astuce de l'anti cernes, mais il n'utilisait réellement pas ça... C'est à peine s'il arrivait à se trainer à la douche alors bon, fallait pas trop lui en demander non plus.

"Je t'emmènerai où tu veux Princesse, ton prix sera le mien! Tu sais que t'y perds jamais avec moi."

Et effectivement, Esteban était pas du genre à raler quand les plus jeunes voulait le double milkshake en plus du burger, il allongeait, tant que ça faisait plaisir. A force, il se demandait s'il aurait pas du devenir pasteur, histoire d'oeuvrer pour le bien de tous. Canard pasteur, l'eglise du grand bec, fêté à la saint coincoin... Il en faisait trop? Peut être. Son esprit avait le chic de partir loin quand il le laissait dériver. Il suivit le mouvement, abandonnant quand même son gilet pour la laisser avoir un accès correct à sa zone de travail. Il était pas chiant quand il se remettait au savoir faire des autres. Il s'assit dans le fauteuil et bascula la tête en arrière pour la regarder.

"Il était temps que je rentre. Tu me trouveras chez ta mère si tu me cherches. J'avais besoin d'être à la maison quoi..."

Il avait toujours été une pièce rapportée chez les Kelly mais ça restait là où il se sentait le plus "en famille". Qu'on s'y trompe pas, il adorait ses parents adoptifs et il ne s'était jamais senti hors de propos chez eux... C'est simplement qu'il vivait presque en symbiose avec Billy, depuis le temps, alors quand il avait pas ses habitudes avec son meilleur ami, il était un peu... perturbé? et vu le bordel actuel dans sa vie, il fallait pas s'étonner que c'est là qu'il ait tenté de retrouver l'équilibre... Dans le lit de l'absent, faute d'avoir sa présence. Il endura le jugement avant de prendre un air outré, en la regardant dans le miroir.

"Nan putain Bennie, t'abuses! Nan... quand même pas... si? Nan... Tu juges un frère, c'est mal, c'est très très maaaal"

Ok, il surjouait un peu, mais bon... Elle y allait fort quand même... Mais il pouvait pas nier qu'il y avait une certaine ressemblance malgré tout et c'était... pas chouette... Après, il savait qu'il était au fond du trou pour l'instant et qu'il avait laché prise... C'était le temps de la réalisation... La... Il était plus ou moins prêt à se reprendre. Il ricana légèrement alors qu'elle se mettait au travail.

"T'es la meilleure dans ce que tu fais, c'est pas comme si tu t'occupais pas de ma tronche depuis des plombes... Et j'ai manqué d'attraper la tondeuse de ton frère... J'me suis dis que tu ferais moins de dégats."

Pas qu'il savait pas raser un crane... Le nombre de fois qu'il s'était occupé des cheveux de Billy quand celui ci refusait d'aller voir sa soeur... Elle râlait à chaque fois, mais dans les faits, Esteban considérait que les choses devaient être faites, qui que soit la personne qui s'y collait, donc quand le second fils faisait une crise de non sociabilité, il faisait tout pour ne pas l'enfoncer plus que ça. Le bourdonnement de la tondeuse avait un effet relaxant alors qu'il sentait les mèches glisser contre son cou pour atterir au sol. Une nouvelle étape.

"Non, je rentre pour de bon... Je sais pas encore trop ce que je vais faire... Retrouver du taf, bien sûr... Mais on verra quand ton frère sera rentré... Il me manque ce con..."

Il étrangla légèrement la fin de la phrase en la prononçant. Il n'était pas forcément un mec émotif, mais ouais, récemment, c'était compliqué... et il avait outrageusement besoin de retrouver la deuxième partie de son cerveau pour recommencer à rêver... Rallumer les étoiles dans son esprit qui n'était qu'une lande désespérée depuis que la petite avait emporté toute la lumière avec elle... C'était une phase, mais il fallait la traverser.

"Alors dis moi, Queen B, qu'est ce qu'il s'est passé dans ton royaume depuis que je suis parti? Faut que tu me remette au jus!"

S'il y avait quelqu'un pour le remettre à jour des potins du coin, c'était bien elle et il voulait aussi ne pas s'enfoncer dans une discussion trop compliqué pour l'instant...

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@Esteban Madden

eight mile 4 février 2022

“Le dinner ça s’ra bien.” Elle avait entendu dire que le propriétaire de Granny’s avait pour idée de raccrocher le tablier pour ne s’occuper que du motel. Et l’information n’était certainement pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Le sens aiguisé de la bonne affaire de la Kelly était en ébullition depuis qu’elle avait eu la nouvelle. Si cela s’avérait vrai, elle avait alors une grande idée qui allait lui permettre d’acheter la grande maison dont Travis et elle se sont pris à rêver depuis quelques années.

“Mais d’où j’juge un frère ?” Bien que la plupart des gens de la famille le considéraient comme tel Bennie avait toujours eu du mal à accepter d’autres personnes dans la famille, sans que cela vienne pour autant remettre en cause l’affection qu’elle lui portait. Mais dans sa réflexion, il ne s’agissait certainement pas d’une question de fraternité et Madden le savait parfaitement. “J’juge tout l’monde !” Dans un claquement de palais, elle entreprend alors de tondre la tignasse informe qui se dresse sur la tête du frère de lait. Un rire s’empare alors de la jeune femme à l’évocation de la tondeuse de Billy. Il est vrai que les deux hommes avaient eu le temps de tenter diverses expériences capillaires au grand damn de Bennie qui avait dû rattraper plusieurs fois les attentats à la coiffure qu’ils avaient provoqué. “Ah ça… faire moins d’dégâts qu’toi tu m’diras, c’pas très compliqué.” Elle ne pouvait cependant pas lui enlever qu’il y avait pire que lui avec une tondeuse entre les mains. RJ par exemple.

L’évocation de l’absence de Billy ferme pourtant le visage de la jeune femme qui se met alors à froncer les sourcils pour feindre une concentration donc elle n’a pas besoin. Il lui manque aussi, ce con. Mais depuis sa dernière visite à Sainte Sophie et la dispute qu’ils ont eu, Bennie n’a pas eu le courage d’y retourner. La jumelle refuse de s’infliger à nouveau le regard morne de son frère qu’elle préférait voir sous l’emprise d’un bon joint finalement. Son rire idiot qu’il arbore aux alentours de quinze heures lorsqu’il se lève et l’appelle parfois pour rien d’autre lui manque. Passer chez Summer et le réveiller en se jetant sur son lit lui manque. Partager des moments avec toute la famille réunie lui manque. Billy n’est pas le seul à souffrir dans cette histoire, mais il a toujours été bien trop égoïste pour se rendre compte qu’en se faisant du mal, il en faisait aussi à son entourage. Mais Bennie ne lui mettra jamais sur le dos les choix qu’elle a faits pour lui, pour sa santé. Car pour elle, il ne s’agit pas de sacrifices, mais simplement d’un soutien familial. Elle ne lui dira jamais qu’elle l’aime. Comme elle ne le dira jamais aux autres, sauf peut-être à Louie, parce que Louie, c’est pas pareil. “RJ m’a dit que Hamp il cherche des cuisiniers t’sais chez Freddy’s. Paraît qu’l’immigration met encore le nez dans ses salariés. Ils ont d’jà fait l’coup avant Noël, un Mexicain. J’crois qu’ils vont pas l’lâcher l’pauvre.”

D’un coup de roulettes, Bennie passe de l’autre côté tout en reprenant son sourire à la question d’Esteban. Il avait toujours su lui parler. “Hé mais t’en as loupé des choses ! Il va t’falloir plus qu’une soirée pour tout rattraper ! Mais l’essentiel.” La coiffeuse s’arrête un instant pour réfléchir. “T’sais Tony Rogers, le fils de la cousine de la mère à Travis. Il était en couple avec Trisha d’puis un moment. Genre j’sais pas … Ils étaient ensemble avant qu’j’sois avec Travis. Bah il va être papa, mais attend !” Alors qu’elle passe le peigne dans les cheveux du peroxydé, la jeune femme se met à rire de son rire de hyène bien connu dans le coin. “C’pas Trisha la mère ! C’est sa mère, à Trisha qu’est v’nue la s’maine dernière pour faire son tissage qui m’l’a dit. Parait qu’c’est une blanche qu’est dans l’centre, elle est pas là d’puis longtemps.” Terrible fléau que ces hommes qui ont besoin d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. “Trisha, elle l’a su parce que l’autre elle a été lui dire sur Insta. Et alors, au lieu d’aller engueuler Tony, elle a été voir la meuf t’vois. Moi Travis il m’fait ça j’lui fais manger l’trottoir. Enfin, ouais, donc elle va voir la meuf et elle lui a cassé la gueule. Attends r’garde, la mère m’a envoyé une photo.” La commère s’arrête alors pour sortir son téléphone et montrer la photo de la femme en question, le mettant sous le nez d’Esteban. “T’as vu son oeil ? Elle l’a pas loupé hein !” Dans un claquement sonore, elle repose son téléphone sur son étagère à roulettes et commence à mettre du gel sur la coupe fraîchement terminée. “Bah elle a porté plainte c’te salope. Et Tony, même pas il a défendu Trisha.” Elle tchip alors en secouant la tête. “Hé les hommes hein.”

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Esteban Madden & @Bennie Kelly

Comme prévu, elle accepta l'invitation, si le dinner du coin lui convenait hein... Il allait pas la contredire. Ca lui permettrait de recroiser des têtes connues, même s'il n'était pas forcément d'humeur à reprendre une vie sociale tout de suite... Surtout qu'il faudrait répondre aux multiples "Et ta copine?"... Non, clairement, il avait pas envie de ça, mais pour Bennie, il ferait un effort.

"Tu me dis ton jour et ton heure et je passe te chercher!"

Trop bon qu'il était, mais en même temps, Bennie aimait bien qu'on la traite comme une grande dame, même s'il ne fallait pas remettre son statut de femme Badass et indépendante en question... Elle était parfois un peu paradoxale, mais quand on avait trouvé l'équilibre, c'était moins compliqué de jongler avec ses humeurs. D'ailleurs, en parlant d'humeur, il se fit rappeler qu'il n'était pas de la famille... Pas forcément ce qu'il avait envie d'entendre la tout de suite, mais bon, effectivement, elle avait cette distance avec lui qui n'empêchait absolument pas d'avoir une relation, mais qui le différenciait clairement. C'était évidemment normal, il n'était pas son frère de sang, mais c'était peut être pas utile de le rappeler à chaque fois que la plaisanterie sortait, en sachant qu'il avait été présent dans tous les moments durs essuyés depuis une vingtaine d'années... Sauf le dernier, fallait avouer que sur ce coup là... mais bon, c'était surtout vu son état que ça le heurtait un peu, sinon, il avait l'habitude...

"Ouais, ouais, T'en serais la championne olympique si c'était un sport, tu sais ça?"

Faut dire que ça faisait partie d'elle en même temps, donc bon, Bennie qui jugeait pas, c'était pas Bennie, non? Même si parfois, elle était blessante, mais bon, elle cherchait pas à faire mal dans des cas comme ça. Comme quand elle le vanna sur les catastrophes capillaires qu'il était capable de faire, tondeuse en main... Après, ça, ça le blessait pas parce que c'était une demi vérité. Quand il faisait attention, c'était propre, mais sa propre coupe était quelque chose de plus élaboré qu'un simple centimètre de cheveux sur le caillou. Il ne releva cependant pas, la laissant continuer son oeuvre. Il aurait pas l'air plus reposé, mais résolument moins dégueulasse, surement. Il nota qu'elle réagit pas forcément concernant Billy mais qu'il y avait toujours un tuyau derrière. Il ne put s'empêcher de rire.

"J'sais faire cuire des pates, mais cuistot? J'crois pas hein... Au pire, si mon ancien patron peut pas me dépanner d'un plan, je garde celui là sous le coude... Et s'il arrêtait d'engager n'importe qui aussi Hamp... Surtout pour les payer demi tarif..."

C'était la débrouille tout le monde, mais certains hésitaient quand même pas à exploiter les autres et il trouvait ça un peu dommage... Il n'irait probablement jamais demander du boulot la bas, déjà parce qu'il avait pas sué depuis quinze ans pour se faire un nom dans le milieu du bâtiment de ce côté de Détroit et aussi parce que se battre pour un salaire décent, il avait clairement passé l'âge.

"Ouais, pour le reste, t'auras le temps de voir en fonction, au pire, tu me feras des mises à jour en direct!"

Avec la discrétion légendaire de Bennie, le quartier complet aurait la remise au gout du jour de la connaissance, mais en soi, c'était plus pour la faire parler sans aborder les questions épineuses qu'autre chose. Il savait qu'elle aurait un truc à lui raconter, dans tous les cas. Et il ne fut pas déçu alors qu'elle finissait de lui rendre visage humain. Les histoires de la Kelly avait toujours un côté grandiloquant, mais en même temps, elle n'amplifiait pas énormément la réalité. Il y avait l'effet de style et l'emphase, mais pour le reste, ça parlait de lui même. Il serra les dents en sifflant en voyant la photo qu'elle lui montra.

"Hé beh... elle l'a pas loupé... Mais t'aurais fais plus de dégats, j'suis sûr..."

Il avait pas réellement envie de voir ce que ça donnait une Bennie démontée de jalousie... Sans compter que Travis n'y aurait pas survécu, avant tout... Mais bon, le type était du genre fidèle, de ce qu'il en savait, ils attendaient qu'il sorte de prison pour reprendre leur vie à deux, tout ça...

"Et comment il va Travis d'ailleurs? Et ouais, les hommes... Mais bon, chercher la merde, ça finit par retomber. Trish aurait du peter la gueule de Tony, c'est un débile toute façon... Mais bon, elle aura surement rien, c'est qu'un oeil au bord noir, il en faut plus pour se faire inquieter va!"

Il se regarda dans le miroir et tourna la tête pour sourire à Bennie.

"Merci, je ressemble beaucoup plus à quelque chose là... Ton dinner, tu le veux ce soir ou un autre jour?"

Il avait pas grand chose à faire de plus pour l'instant, donc bon, si elle voulait aller manger après sa journée, il l'attendrait sagement en lisant un magazine people, il y en avait plein... Les clientes étaient friandes de ce genre de lecture.

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@Esteban Madden

eight mile 4 février 2022

“Mais tu racontes quoi ? Il engage pas n’importe qui Hamp’ ! Et il paye tout l’monde pareil, avec ou sans papier hein !” Il n’y a pas plus généreux que Hamp’ dans le quartier. Que ce soit dans l’assiette ou en tant que patron, l’homme est toujours prêt à rendre service pour éviter une galère à un habitant du quartier. L’homme a l’habitude de se faire épingler par les services lorsqu’il embauche un jeune qui n’a pas ses papiers en règle, mais il dit toujours que les Etats-Unis ont toujours été une terre d’accueil et que son restaurant l’est donc aussi. Et surtout, Hamp’ ferme les yeux sur beaucoup de choses qui se passent dans son restaurant. C’est aussi pour cela qu’il est apprécié et connu de tous dans eight mile. Bennie hausse les épaules en rangeant ses outils tranchants. “Enfin, faire cuire des frites et des steaks ça va y’a pire.” Et c’est vrai que l’idée lui trotte dans la tête depuis un bon moment. C’est simple de faire des burgers, et tout le monde aime ça.

La tête de la Kelly se relève instinctivement lorsque le prénom de l’homme de sa vie est prononcé. "Ça va." C’est ce qu’elle dit toujours lorsqu’on lui demande des nouvelles de l’être aimé. Pour ne pas inquiéter ou éviter des questions trop poussées. Pour ne pas laisser la tristesse qu’elle cache envahir sa journée. Elle occupe déjà bien assez ses nuits. “C’toujours long pour lui mais il a décidé de passer son diplôme de fin d’études comme il l’a jamais eu, il s’est dit c’tait l’occasion t’vois.” Très honnêtement, Bennie ne voit absolument pas à quoi cela va lui servir. Travis n’a pas besoin de trouver un travail honnête à sa sortie de prison. Il sait que ses frères l’attendent avec impatience pour reprendre les choses là où elles se sont arrêté une dizaine d’années auparavant. Bennie ne supporterait pas de le voir revenir et entreprendre une vie routinière, encadré dans un travail qui ne leur apporterait rien d’autre que des disputes. Elle tremble à l’idée de le voir changer, quand elle n’a fait que s’enfoncer un peu plus dans l’ombre que le quartier offre aux plus chanceux. C’est ainsi qu’elle voit les choses, et qu’elle les a toujours vu. A eight mile, pour survivre, il faut la protection de la flamme bleue. Sans quoi, les risques sont grands. Elle a peur pour Travis, car elle sait que personne ne le laissera partir aussi facilement. Il dit que c’est pour s’occuper l’esprit, mais elle ne connaît suffisamment pour savoir que s’il reste entre quatre murs encore quelques années de plus, elle le retrouvera titulaire d’un doctorat à déblatérer des conneries qu’elle ne comprendra pas. Comme beaucoup de monde ici, Travis c’est un potentiel gâché pour la nation. Et c’est une aubaine pour le gang local. Mais c’est ainsi qu’elle l’aime, et elle refuse qu’un système qui les opprime le change pour en faire ce qu’ils veulent. Elle le veut indomptable quand il cherche simplement à oublier qu’il doit encore attendre avant de revoir le bitume usé du terrain de basket.

C’est vrai que ça lui va beaucoup mieux ce qu’elle lui a fait. Il ne ressemble plus à un SDF, il se rapproche plus de ce qu’elle a toujours connu venant de lui. “Bah ce soir ! Hé j’ai faim hein !” La jumelle insupportable passe un dernier coup de griffes en plastique dans les cheveux fraîchement coupés du maçon et se redresse dans un sourire satisfait. “J’ferme et on y va !” Bennie ne perd pas de temps, elle sort rapidement son highlighter de son sac pour se repoudrer devant un miroir avant d’éteindre la salle. Elle brille, comme une boule à facette toute neuve. Le rideau de fer tiré avec fracas, elle sourit à Esteban tout en amorçant la marche jusqu’au diner. “Et du coup ! On avait pas terminé avec les histoire qu’t’as manqué !” Il y a des choses importantes dans la vie de Bennie Kelly. Colporter la rumeur avec assiduité est définitivement dans la liste. “ T’sais Porter là, le grand qui tient le cimetière. Tu vois qui c’est c’est sûr.” Tout le monde voit de qui il s’agit. “Il a une fille.” C’était tout de même le sujet de discussion qui avait occupé une bonne partie des femmes du quartier l’été dernier. L’éternel solitaire, le sage du gang comme certains aimaient l’appeler, avec une gamine dans les pattes. “La mère elle est revenue comme ça un beau jour et apparemment elle lui a dit qu’il avait une fille. Paraît qu’elle est folle, la mère de la p’tite.” Elle hausse les épaules, la mère d’Erin Ward était pourtant normale. Comme une mère qui avait perdu un fils. Bennie l’aime bien d’ailleurs cette dame, elles discutent bien toutes les deux. “C’est RJ qui dit ça, il la connaît, une ex à Ken il m’a dit.” Elle hausse les épaules tout en se décalant pour éviter un lampadaire avant de revenir aux côtés d’Esteban. Aux yeux de la jumelle, tout ce que RJ dit est vérité. Jamais elle n’irait remettre en cause la parole de son aîné. Si RJ a dit, c’est que c’est vrai, elle n’ira pas chercher plus loin. La famille, ça ment jamais. La famille, c’est fidèle. “M’enfin il a été sympa hein, parce que rev’nir comme ça comme une fleur avec une gamine et qu’en plus il en savait rien. Perso j’trouve qu’ça s’fait pas hein.” Mais son avis, on s’en fiche bien.

L’éclairage cassé de chez Granny’s apparaît et la jumelle change de sujet, déjà attirée par l’odeur de gras qui chatouille ses narines. Elle a beau vouloir faire attention à ce qu’elle mange et être très stricte là-dessus, à la limite de la maladie, son éducation Kelly revient toujours lorsqu’il s’agit de manger du poulet grillé avec des frites. Surtout quand les frites sont faîte maison, plongées dans une friture qui est utilisée depuis des heures. Le meilleur réside là où les règles d’hygiène ne sont pas totalement respectées.

Accoudée au comptoir, elle salue Nancy en pianotant de ses ongles en plastique. “Du poulet épicé avec des frites s’teup. Et un milkshake à la fraise. Un grand.” Elle se retourne alors vers Esteban. “Et toi ?"

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Esteban Madden & @Bennie Kelly

Il haussa les épaules, n'ayant pas vraiment envie de se lancer dans une joute verbale. S'il appliquait cette politique maintenant, c'était cool, mais quand Esteban s'était pointée un jour, pas longtemps après son diplôme, en rade, sa tronche était pas trop revenue au patron, donc bon... Il allait pas retenter sa chance. Pas rancunier, mais il mettait pas les doigts deux fois dans la même prise pour tester si la décharge était aussi forte. Il ricana légèrement.

"A la portée de tout le monde, ouais, mais j'ai pas envie, j'peux clairement trouver ailleurs."

Ironiquement, il avait besoin de mouiller la chemise sacrément fort pour se donner le droit d'exister tranquille... Et puis, Bennie n'avait probablement pas l'idée exacte de ce qu'il palpait quand il faisait du chantier au noir... Donc voila, il avait surtout besoin de se retaper un peu avant d'envisager quoi que ce soit pour l'instant... Il l'écouta répondre concernant Travis. Surprenant... Mais en même temps, ça pouvait être cool... même si la jeune femme ne semblait pas forcément emballée par le projet... Les choses qui changent, c'était pas toujours de bon ton dans le quartier...

"Au moins, ça l'occupe, puis ça peut pas faire de tort."

Le bac, par ici, c'est pas comme s'il servait à quelque chose si on tentait pas d'en faire quelque chose... Limite, ça permettait de frimer, mais pour le reste... Probable que Travis allait pas faire grand chose de plus qu'en entrant... Mais bon, ça lui paraissait normal de poser la question, voila... Même si elle avait juste répondu en surface. Il connaissait un peu la bête et bon... Elle était jeune quand Travis s'était retrouvé en cabane, sa fidélité était exemplaire... Il l'admirait pour ça, vraiment.

Il la laissa donner les derniers coups de peigne à l'oeuvre et l'interrogea sur le moment de son choix pour aller manger... Ce soir... Va pour ce soir hein... C'est pas comme si ça n'allait pas l'empecher de retomber trop vite dans sa déprime... ca ferait pas de mal, une soirée à pas trop ruminer... Un bout de soirée en tout cas... Il la laissa fermer boutique et sourit en hochant la tête avant de marcher à sa hauteur, adaptant son pas au sien.

"Vas y ma grande, je bois tes paroles!"

Et là, on avait effectivement du joli. Il s'alluma une clope en haussant un sourcil. La mention de Porter le fit repenser au cimetière... Ok, ça allait être compliqué de pas broyer du noir... Surtout quand ça parlait d'enfant... Ah ouais, la figure célèbre de ce coin du quartier se retrouvait avec une gamine et la mère dans les pattes... Une ex de Kenn... Pas super pertinent en soi, mais bon, c'était clairement le genre d'histoire qui faisait frétiller la Kelly. Il haussa un peu les épaules sur la fin.

"Ouais, c'est sympa, mais en même temps, c'est toujours mieux de connaitre ses parents... enfin... Pour ce que j'en sais moi, des parents... Mais bon, il est plus tout jeune, alors p't'être que ça le démangeait, une descendance, tu vois?"

Si sa belle mère avait été sympa, peut être qu'il aurait grandi avec son père et ses frères... Et peut être aussi qu'il aurait eu la pire vie de mère et que ses parents étaient la meilleure chose qui lui soit arrivée... Mouais... Tout ça l'aidait pas vraiment à se distraire de ses pensées... Mais bon... L'arrivée au Dinner allait faire le taf. Il écrasa sa clope et la jeta dans le cendrier près de l'entrée avant de la suivre à l'intérieur. Il réfléchit à quoi prendre et finalement, la commande de Bennie lui donna faim.

"Oh bah la même chose! Mais un milkshake au chocolat."

Il alla prendre place sur l'une des banquettes, râpée par les années et les culs qui trainaient dessus... Il se sentait tellement las... Il attendit qu'elle prenne place pour lui sourire.

"Tu m'as donné envie de poulet avec tes histoires... Faut dire, j'en ai pas mangé du comme ici depuis un bail... mais j'peux te dire qu'a la Nouvelle Orléans, ça a valu le détour! La cuisine de la bas, c'est un truc..."

Il avait probablement pris quelques kilos sur les jours où ils y étaient restés... C'était un des moments où les choses n'avaient pas encore mal tourné... Ou le voyage était encore une innocente quête d'aventures... Il se garda de mentionner qu'il était allé voir Sonny d'abord... Bennie ferait probablement une crise d'apoplexie... Il se gratta la joue en la regardant.

"D'ailleurs, y a un t-shirt qui t'attend à la maison... Il y en a un pour ton frère aussi, j'sais pas à quelle fréquence vous passez, donc voila, j'compte sur toi pour lui dire ou lui ramener."

Il parlait évidemment de Louie, l'autre partie de machiavelisme de Bennie... chaque coté de la rue avec sa paire et parfois, elles étaient aussi catastrophiques l'une que l'autre... D'ailleurs, faudrait vraiment qu'il passe voir Archie, sinon il allait se faire défoncer s'il l'apprenait autrement que par lui même y allant... Ca lui donnait le tournis de se figurer tous les fils qu'il devait raccrocher alors qu'il n'avait qu'une seule envie, c'était de s'enterrer... Mais bon... La vie continuait hein... Et le poulet venait d'arriver sur la table.

"Bon app!"

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@Esteban Madden

eight mile 4 février 2022

Si Bennie était plus discrète, elle aurait assurément pû être la Gossip Girl du quartier longeant la M-102. Elle sait tout, voit tout et attise tout. Ou presque. Alors, devant le peu d’intérêt de la part du Madden, elle est presque choquée. “Ouais mais attend en plus elle dit c’est sa fille mais elle a rien pour prouver hein. Moi j’dis il aurait dû demander un test ADN, parce que si elle est aussi folle que c’que dit RJ, elle est capable d’inventer un truc comme dans les films là t’sais les meufs qui font croire à un mec qu’ils ont un gosse mais en fait c’est pas leur gosse c’est c’lui d’un autre et en fait la meuf elle a fait ça pour les thunes.” Enfin, elle respire après sa longue tirade absolument fantasque. “ Enfin, ça l’regarde s’il veut élever une gamine qu’est p’t’être pas la sienne hein.” Elle hausse les épaules tout en allant prendre place sur la banquette face à Esteban. “J’dis trop rien parce que si ça lui r’vient aux oreilles qu’j’ai dit ça, j’risque d’en entendre parler !” Bennie se met à rire, fond de vérité qui sort pourtant : elle ne veut certainement pas avoir d’ennuis avec le gardien du cimetière. “Tu dis rien hein, sinon Travis il va encore m’dire de pas parler pour rien dire et j’vais dire que j’ai rien dit d’mal et il va m’dire si et ça va faire des histoires.” Et pourtant, elle aime les histoires Bennie Kelly. Elle aime semer le chaos autour d’elle et admirer son œuvre savamment orchestrée. Mais encore une fois, elle ne s’y risquera pas avec Porter. Les soldiers du B-Bang ont cette espèce d’immunité naturelle que Bennie leur concède. Sorte de privilège qu’elle leur donne et dont ils devraient être reconnaissants.

Mais rapidement, l’attention de la jumelle se porte sur les paroles du voyageur. “Oh non mais fallait pas !” Elle sourit franchement, Bennie adore les cadeaux. Peu importe, cela aurait même pu être un porte-clés, la Kelly aurait été contente. Dans la famille, les cadeaux ont une signification particulière. Quand l’argent manquait, les anniversaires et autres fêtes avaient un goût particulier, celui du sacrifice. Alors, les Kelly ont appris à apprécier ce qu’on leur offre. “J’le dirai à Louie il va être trop content ! Mais tu l’verras p’têt’ demain j’crois RJ lui a d’mandé d’l’aider à réparer j’sais pas quoi.” Sûrement la cafetière qui faisait encore des siennes ou le réfrigérateur qui commençait à rendre de l’eau. RJ appelait Louie pour l’aider mais, en réalité, c’est le jumeau qui faisait tout. Louie était définitivement ce qui savait tout réparer et la fratrie avait pris l’habitude de faire appel à ses services gratuits. C’est Louie qui a monté les meubles de sa sœur pendant qu’elle le regardait faire en buvant son café. Il râlait certes, mais il le faisait quand même.

“ Putain j’ai pas eu l’temps d’manger j’te jure j’ai trop faim !” Bien qu’elle ne s’en plaigne jamais, les journées de Bennie sont très souvent rythmées par les désirs des clientes. Difficile à croire, mais elle ne sait pas dire non à un rendez-vous de dernière minute. La jumelle a beau avoir la grande gueule que tout le monde lui connaît, elle n’en reste pas moins généreuse, et c’est très certainement ce qui lui attire la sympathie de la majorité du quartier qui semble faire abstraction de son insupportable caractère. La jeune femme prend un morceau de poulet frit entre ses doigts qui luisent instantanément au contact de la graisse. C’est au moment même où Esteban lance les hostilités avec politesse qu’elle enfourne le tout avant de lui répondre la bouche pleine. “Ouais toi auchi.”

Bennie ferme les yeux de bonheur en sentant les épices faire remonter toute la salive qu’elle avait perdue à cancaner toute la journée. “Le poulet là, meilleure bouffe au monde !” Après avoir avalé quelques frites, la coiffeuse essuie ses mains sur une serviette en papier qui se tâche rapidement de gras. Ses cheveux replacés derrière ses épaules (vieux réflexe qui la quitte rarement) elle sourit à Esteban. “Bon et du coup, t’as fait quoi ?” Qu’il lui parle de ses voyages, qu’elle puisse s’évader le temps d’un soir loin de la crasse de son quartier qu’elle a toujours connu.

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Evidently, it's elementary, they want us all gone eventually. Troopin' out of state for a plate of knowledge. If coke was cooked without the garbage, we'd all have the top dollars. Nas

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Esteban Madden & @Bennie Kelly

Esteban était du genre à écouter, plus qu'à alimenter les potins, mais dans les faits, Bennie était une source d'informations assez utile pour lui qui n'aimait pas chercher. Il aurait peut être un peu plus réagit s'il n'était pas question d'un enfant... Après, la situation était foireuse, il voulait bien l'entendre... Il hocha légèrement la tête.

"Non mais j'aurais vérifié aussi si c'était la mienne avant de dire amen... Mais bon, la thune, j'suis pas certain qu'il en ait beaucoup à lui refiler... mais comme tu dis, c'est son affaire hein... Ca se trouve, c'est vraiment la sienne et il tirera moins une tête d'enterrement! A force de passer ses journées dans le cimetière, il doit plus savoir comment sourire."

Il l'avait vu de loin ces derniers jours d'ailleurs... Il était pas forcément proche en tant que tel de lui et n'y tenait pas véritablement... Être cordial avec les membres du BBG, ça lui coutait rien, mais il avait pas l'envie d'en être proche. Ironiquement avec sa dégaine, c'était un gentil garçon qui n'aimait pas énormément les activités criminelles et n'avait aucune envie de s'y impliquer. Il jugeait pas, mais lui, bah, il préférait s'en tenir loin et bosser. Il secoua la tête en souriant.

"T'inquiete pas, ce qui se dit entre toi et moi, c'est entre toi et moi. J'suis aussi silencieux que les voisins de Kad."

En vrai, il savait que c'était surtout valable pour lui, mais au moins, Bennie ne lui reprocherait pas d'aller baver sur son dos... Parce que ce serait un souci, ça. toute façon, il n'était pas du genre colporteur, ce qui était plutôt pratique quand on bossait dans un quartier comme celui ci. Savoir faire son taf sans regarder ce qu'il se passait, tout ça... Il rit doucement et haussa les épaules quand elle lui dit qu'il ne fallait pas. Il avait envoyé des cartes postales d'endroits stratégiques, donc il était pas anormal qu'il ramène des cadeaux.

"Nan mais ça me fait plaisir. D'acc, si je le croise, je lui donnerai... J'sais pas si je serais là, on verra"

S'il tombait dans un moment où il se transformait en glaçon au cimetière, c'était possible qu'ils se loupent, mais bon, il finirait bien par croiser tous les membres de la famille à un moment ou à un autre. Il attaqua aussi le poulet quand il arriva sur la table et haussa un sourcil.

"Tu devrais prendre soin de toi quand même... Je sais que l'art capillaire et la vieille Johnson n'attendent pas, mais quand même..."

Elle se donnait beaucoup pour son taf, à n'en pas douter. Peut être même un peu trop, mais est ce qu'il pouvait vraiment lui dire quoi que ce soit vu sa propre propension à le faire? Il aimait pas laisser les gens dans la merde et même s'il n'était spécialiste que dans la maçonnerie, s'il pouvait aider pour quoi que ce soit en réparation dans le bâtiment en urgence, il y allait, donc bon... Il comprenait, mais la jeune femme face à lui finissait par s'oublier face à l'aide qu'elle voulait apporter et la preuve en était simplement qu'elle n'avait rien mangé d'autre de la journée. Il doit bien avouer qu'il a faim aussi... Pas comme s'il mangeait beaucoup depuis qu'il était rentré... Peut être que le fait de voir Bennie, se changer les idées, même un tout petit peu, ça lui ouvrait l'appétit... En tout cas, il avait la bouche pleine quand elle lui demanda de raconter son voyage... Evidemment ouais... Il sourit doucement, elle n'avait aucune raison de se douter de son malheur et il n'avait pas envie de plomber l'ambiance.

"J'ai commencé par les états du sud... On a tracé une diagonale vers la Californie et puis on est reparti vers la Louisiane, histoire de faire le carnaval. C'était super fun! Puis on est retournés au Texas et tout... Bien sur, on a fait New york, Washington DC. C'était vraiment énorme!"

C'était vite résumé comme ça, mais en même temps, le choc de la fin du voyage ne l'aidait pas à apprécier tout ce qu'il avait vécu d'autre... Il lui faudrait des mois, peut être des années, pour ne plus sentir sa gorge se serrer en repensant à ce voyage... Heureusement qu'il avait rencontré Justin... S'il le recroisait un jour, il pourrait lui rappeler qu'il y avait eu des bons moments là dedans... Il le savait, mais il n'arrivait pas encore à y penser de façon rationnelle... Raison pour laquelle il faisait passer l'amertume à coup de frites dans le bec, faisant mine de juste être affamé...

"Mais la maison, ça n'a pas de prix hein..."

Même si ce n'était pas comme il l'avait imaginé... Rentrer et ne pas retrouver Billy, par exemple... Mais il allait sortir de desintox... Lui même allait se reprendre... Il allait se remettre... Il le fallait.

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@Esteban Madden

eight mile 4 février 2022

La jumelle acquiesce aux dernières paroles de l’homme, ses pensées voguent un court instant vers cette famille désarticulée dont elle est membre. Famille qui n’a pas de prix et qui part à la dérive sans que personne ne semble être à même de relever ceux qui tombent. Plane au-dessus de son repas l’ombre de Billy pour lequel Bennie pense pourtant avoir tout fait, ne voulant pas comprendre le mal-être de son frère. La jumelle refuse d’admettre qu’il a pu plonger seul. Fragilité qu’elle ne veut pas voir de peur d’ajouter une faiblesse derrière l’armure qu’elle a elle-même forgée au fil du temps. Et plus les années passent, plus la jumelle Kelly semble s’endurcir, ne laissant ainsi aucune place aux états d’âmes qu’elle pleure pourtant seule le soir. Revoir Esteban à eight mile, c’est se rappeler que son frère n’est pas avec eux, que le linge de sa chambre est plié au bout de son lit, attendant qu’il le déplace et le mette en boule à même le sol. C’est le manque de cette odeur si particulière qui embaumait l’étage de la maison familiale autrefois emplie des cris des enfants Kelly. Désormais, le silence qui y règne rapproche un peu plus la matriarche de la solitude qui l’attend. Et tout comme Summer, Bennie ne supporte pas le silence. Elle aussi, laisse la télé tourner lorsque les âmes quittent sa maison. Les peurs de Summer se sont immiscées dans l’esprit de sa fille sans qu’elle ne fasse quoi que ce soit pour lui transmettre. Malédiction qui s’abat sur les jumeaux depuis leur funeste naissance. Louie et Bennie n’ont jamais été signe de joie. Les yeux de Summer Kelly sont restés éteints après le décès brutal de Dion Jordan. L’arrivée des jumeaux n’a en rien aidé à les faire briller à nouveau. Elle a toujours eu cette tristesse lancinante dans le regard lorsqu’elle se mettait à les regarder avec attention. Mais lorsqu’elle se penchait sur Billy, ses yeux parvenaient cependant à s’animer quelque peu, levant le voile de son deuil interminable pour égayer son visage d’un léger sourire. Billy a toujours été le préféré, et personne ne lui en a jamais tenu rigueur. Chaque enfant de la fratrie a géré les choses à sa manière. Billy lui a décidé de rejeter son affection sur les cristaux vendus par les frères du b-bang. Et fort heureusement pour le dealer de l’adulescent que son nom n’est pas venu frotté les oreilles des jumeaux Kelly, car il est certain qu’il n’irait plus jamais lui vendre la moindre merde.

Bennie tente de refaire mentalement la cartographie du voyage d’Esteban à mesure qu’il aligne les noms des villes et états qu’il a visités. Malheureusement, elle se perd en route du côté du Texas. Une fois qu’il termine son périple, elle le regarde, attendant la suite qui ne vient pas. “Attend c’est tout ?” La coiffeuse essuie ses doigts plein de gras sur une serviette en papier qu’elle prend sur le dévidoir, en faisant suivre deux autres. Un bout de poulet coincé dans la joue gauche, elle continue. “ J’sais pas raconte en détail, les trucs que t’as vu et tout ! C’tait vraiment énorme…” Qu’elle répète en avalant le morceau de poulet, milkshake en main. “ Tiens vous avez fait quoi à New-York ?” Ignorant la terrible épreuve qu’il a dû traverser, la jumelle met les pieds dans le plat. “Tu fais ta liste de courses là, t’as pas pris d’photos ?” Elle attend, serrant la paille de plastique entre ses dents tout en aspirant le lait aromatisé chimiquement.

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Esteban Madden & @Bennie Kelly

Comme il s'y attendait, Bennie ne se contente jamais d'infos en surface. Il sait pas d'où ça lui vient exactement, mais si elle avait pas été animatrice potins grâce au salon de coiffure, elle aurait pu faire un merveilleux détective privé... Ou même un flic, mais ça, il ne lui dirait jamais, il tenait pas à se prendre une claquette au milieu du front. Il était en grande décortication de son aile de poulet en tentant de trouver une réponse acceptable à lui donner. Il essayait même de se rappeler ce qu'il avait fait à New york...

"On a visité Central Park, le mémorial du 11 septembre... On a fait les trucs de touristes, genre time square, l'empire state building, la statue de la liberté aussi..."

Ouais... Très liste de courses, elle avait raison... Il termina son morceau et soupira avant de relever les yeux vers elle. Il fallait qu'il lache le pourquoi du comment... Parce qu'il arriverait clairement pas à lui sortir autre chose.

"En vrai.. J'ai des photos et tout, mais j'arrive pas à me focaliser sur le positif et les trucs cools qui se sont passés parce que ça été la merde à la fin..."

Ouais, c'était une façon de l'expliquer... Il se laissa le temps de penser la suite en continuant de manger, s'il avait la bouche pleine, il pouvait pas parler... Enfin si, mais il était globalement bien élevé... Il termina et s'essuya les mains.

"Jess est tombée enceinte pendant le voyage... Et elle est morte en accouchant... J'ai découvert à ce moment là que cette salope se camait dans mon dos pendant que je bossais à gauche et à droite pour pouvoir continuer le voyage... Et la petite... Elle a pas survécu non plus... Alors... Ouais... J'ai vu plein de trucs, mais j'me dis juste qu'au fond, j'aurais jamais du partir et j'aurais probablement toujours ma gonzesse et ma gosse serait née ici... Elle aurait surement survécu... Et j'serais pas tout seul comme un con."

Ah ben ça, c'était pas une liste de courses, mais c'était plutot le pack de 24 canettes qu'il balançait au milieu de la table... Mais au moins, elle savait pourquoi il était comme ça... Aussi flou... Ce voyage, il l'avait préparé et voila qu'il rentrait et genre, il en racontait rien? Elle avait le pourquoi du comment... Il attrapa son milkshake, essayant de faire passer la boule qu'il avait dans la gorge.

"Désolé... C'était un peu abrupt..."

Un peu... beaucoup surement, mais il n'y avait pas grand chose à dire de plus... Il soupira un peu et essaya de sourire un peu, bien que le coeur n'y soit pas vraiment... Et avec Billy absent... C'était vraiment pas simple pour lui en ce moment... Mais il tenait bon, parce qu'il avait pas vraiment le choix non plus...

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@Esteban Madden

eight mile 4 février 2022

Bennie insiste et ne récolte que quelques lieux lâchés sans grand intérêt quand New-York représente pourtant pour elle une ville pleine de ressources. Et enfin, Esteban se met à évoquer les raisons de ce silence. Un bout de poulet frit coincé dans le coin de sa joue à la manière d’un écureuil, la coiffeuse écoute avec attention, mâchant difficilement à mesure que le récit de l’homme avance. Jamais elle n’aurait imaginé une chose pareille. Et contre toute attente, elle se tait. La grande gueule toujours si prompte à l’ouvrir pour tout et n’importe quoi semble ne plus savoir quoi dire.

Elle se met à trop penser, à ramener à sa vie la situation injuste dans laquelle il s’est retrouvé. Déjà, elle ne pense plus à lui lorsqu’elle avale le bout de poulet qu’elle a longuement mâché. En elle, monte alors le sentiment d’injustice incontrôlable qui l’habite lorsque l’on évoque le sujet d’un enfant à naître. Le ventre serré, elle repousse son assiette du bout des doigts. Pourquoi les autres ont-ils cette chance ? A bientôt trente ans, la jumelle Kelly ne rêve que d’une seule chose : pouvoir enfin fonder une famille avec Travis. Le récit d’Esteban l’atteint au plus profond d'elle-même, laissant pourtant son visage de marbre. Chez les Kelly, il n’a jamais été vraiment question de montrer ses émotions. L’empathie ne fait certainement pas partie du panel d’émotions que Bennie peut ressentir. Élevée à la dure, elle a rapidement compris que s’apitoyer sur le sort des autres l’empêcherait d’avancer. Mais revient toujours cette incompréhension. Pourquoi Jess a eu cette opportunité ? Pourquoi Dieu a mis un enfant sur son chemin ? Pourquoi pas elle à son tour ? C’est un désir qui l’obsède, la hante chaque mois alors qu’elle s’y attend pourtant, la plongeant ainsi dans une humeur détestable pendant de longs jours. Mais plus que tout, c’est une immense tristesse qui l’envahit alors qu’elle prend son milkshake.

“Mais quelle connasse.” est lâché sèchement. D’une main, Bennie s’empare de son téléphone pour tromper le silence et retenir les pensées qui s’immiscent peu à peu dans son esprit. Elle occupe ses yeux pour ne pas voir défiler le fruit de son imagination sous ses yeux. Bennie s’énerve, ne sait pas gérer la situation et balance son téléphone contre la table dans un bruissement de lèvres sonore. “Et vas-y arrête de prendre des meufs cheloues aussi, tu vois c’que ça fait !” Elle va même jusqu’à le sermonner pour oublier sa propre détresse, tromper ainsi le pauvre homme que l’on a privé d’un enfant.

Ca l’agace sans qu’elle ne veuille mettre les mots sur ce qu’elle ressent, déstabilisée plus qu’elle ne l’admettra jamais. “Que tu partes ou pas ça aurait été la même chose, tu vas pas r’faire la vie c’est comme ça, faut avancer maintenant.” Maladroite dans ses propos, elle tente pourtant de lui apporter un soutien, à sa manière. Et dans un long soupir, elle se redresse pour enfin se lever de cette banquette sur laquelle elle avait l’impression de s’enfoncer. “Bah au moins t’es d’retour c’est bien hein.” Elle n’a jamais su quoi dire ou quoi faire dans ce genre de situation. Alors, elle se contente de faire comme si de rien n’était, imitation parfaite de Summer qui a toujours tenu à nier les problèmes avec une détermination farouche. “J’vais dehors pendant qu’tu payes.”

Elle a besoin de prendre l’air, de se retrouver un peu seule pour ne pas exposer plus longtemps le malaise qui menace de s’installer en elle.

(c) DΛNDELION

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‡ ▬ BEYOND THE VEIL ▬ ⚖