WAR ON OUR DOORSTEP | kadeuce

I LIKE the misery. Une nuit parmi tant d'autres, le cœur qui saute un peu plus dans la poitrine. Ce choix, il l'a fait, il l'a souhaité. Vivre c'est se protéger, son père n'a pas cessé de lui répéter ; nombreux ont été les leurs à perdre ce droit, ce rêve idyllique pour des personnes comme eux. Un soupire, le regard qui guette, qui analyse les alentours. Ils sont deux derrière lui, tous les trois dissimulés dans l'ombre qu'offre la ruelle déserte. Pas un mot, pas un son, pas un souffle qui vient rappeler la vie. Non, rien. Rien que cette ambition de faire partie de quelque-chose de bien plus grand encore qu'une simple communauté, menacée qui plus est. Kadeuce, aussi, sert l'arme qui lui a été donnée. A son tour de faire sa part, à son tour de prouver qu'il peut être l'un des soldats de ce qu'ils sont, une unité. Pas de tremblement, pas de regret, pas d'hésitation, la seule volonté d'avancer. Alors il s'élance, là, quand la silhouette brave la maigre lumière qui résiste encore à ce quartier défavorisé. Les voisins dorment, sont absents, les maisons tombent sur elles-même, cachent la vue à ceux qui s'en sortent encore, plus loin, sur Eight Mile Road. « Hé, yo ! » Une provocation, le besoin de voir son regard se défaire. Une seconde à peine, l'image qui s'ancre dans la rétine – et elle ne sera pas la seule. L'homme détourne l'attention, pose son regard trop confiant sur le gamin de l'époque. Il a ce sourire qui essaie à faire entendre qu'il n'osera pas, mauvais choix. Ni une, ni deux, le coup part – puis trois d'autres. Il doit crever, c'est ainsi qu'on lui a enseigné. Et il s'en assure, reste même quelques instants devant celui qu'il vient finalement dépouiller ; les mains gantées. Portefeuille, billets de trop, bijoux, montres – jusqu'à l'alliance qu'il porte, dernier trophée de retirer avant que la porte de la maison voisine ne s'ouvre, avant que la femme ne vienne, immédiatement accroupie aux côtés de celui qu'il vient de buter – son mari, s'il parvient correctement à tout décodé. La croix autour de son cou ? Il l'a laissé, Dieu regarde, Dieu doit savoir. Son père, dans son dos, l'appelle, le rappelle à la réalité des faits – ils ont à fuir, à dégager. Et lui acquiesce, le plus naturellement du monde, non sans laisser un regard curieux sur la maison et le visage qui se tient à la fenêtre, le visage qui a tout vu. Le visage qu'il n'oubliera pas, même quand le temps sera venu. Tout ce qu'il laisse à la prunelle de la gamine, c'est un clin d’œil. Un clin d'oeil pour seul souvenir avant qu'un autre ne sorte à son tour, armé. Il fuit alors, non sans sentir la douleur se propager dans son épaule quand un autre coup retentit, derrière. Il accélère, prend sur lui pour rapidement disparaître dans les ombres d'une Detroit vieillissante et pourrissante. La fuite, l'adrénaline – Kadeuce a fait sa part. Kadeuce peut désormais pleinement y prendre part. La vie est tracée, la loyauté à respecter. Connard d'irlandais, connard de raciste qui n'a eu que ce qu'il mérite. On lui a longuement dit ces mots, le gamin l'a prit comme une philosophie et le B-Bang Clan lui a ouvert ses portes avec accueil et respect pour les risques pris, les maux engendrés. Le rêve du gosse réalisé, Kadeuce entrait dans le monde des grands, dans la fierté de ce que son père vantait. Soldat de gang, pauvre enfant trop intelligent mais corrompu.

I like the death. Il est une tête. C'est l'expression pour ceux qui trahissent des compétences plus qu'exceptionnelles. Au cours des dernières années, Kadeuce a prouvé qu'il pourrait être un atout des plus puissants pour cette communauté qu'il protège avec volonté. Une mémoire efficace, des études qui ont prouvé qu'il avait tout pour lui – il était le meilleur ; l'est encore. Des connaissances qui dépassent son âge, tout niveau ; Porter fils est parvenu à un nouveau rôle dans la grande entreprise du gang. Quelques recettes de meth en tête, il devient fabriquant, obtient l'un des entrepôts délaissés des zones délavées pour en faire tout un laboratoire surveillé. Et Dieu que ça lui plaît. Derrière la grosse tête que ses profs aiment à complimenter se trouve finalement un gamin qui engendre la folie dans les rues de son quartier. Le voilà plus que jamais respecté, un sentiment dont il ne pourra jamais se lasser. Et pourtant, le vent tourne, menace même assez violemment. Vendeur dans les allées, devant les universités ; cette descente-là, il ne l'avait pas prédit. Trop avare de son succès, aveugler jusqu'à oublier qu'ils ne contrôlent pas réellement cette ville ; ni lui, ni les autres. Au-delà de leurs lois en existent d'autres. Il est arrêté. Remise en liberté sous caution, payée avec l'argent qu'ils n'ont jamais cessé de leur voler. Un sourire aux lèvres, la provocation sur les traits – mais arrive le procès. Dix ans. Dix ans de prison pour possession et revente. Dix ans parce qu'il est noir, parce qu'il est tatoué, parce qu'il appartient à ceux qu'ils craignent. Pas de regret cependant, seulement une étrange fierté. Et si la prison calme les esprits, elle l'élève également. Il a passé ces années à lire, à apprendre, à aller au-delà de tout ce qu'il a toujours su – Kadeuce en sort plus dangereux que jamais. Et au bout de huit ans, sa gueule d'ange déchu parvient à amadouer, sa bonne conduite vient l'y aider. De retour à la rue, de retour dans son élément. Un programme d’insertion à la clé, une possibilité d'entrée dans le système et d'y déverser son venin. Après une confiance installée, Kadeuce parvient à décrocher le poste de gardien pour le cimetière qui sert au sien – une chance pour le gang de trouver un semblant de paix sur leur propre territoire. Malin qu'il est, l'ancien gamin au courage monstre et à la soif de toujours plus. Et les habitudes sont tenaces, reviennent de plein fouet sans réellement qu'il ne bataille. Il reprend la fabrication de meth, à petite dose cette fois. Il se tient à carreau, parvient à éloigner les soupçons – pour aussi longtemps qu'il le pourra, il l'espère en soit. Finalement, ça fait des années que ça dure. Des années qu'il se range plus ou moins du bon côté, tout en apprivoisant les nuits pour cette autre façade qu'il ne vient plus si aisément imposer. On le croit désormais intègre, raisonné – s'il savait tous ces méfaits, toute cette pourriture dont il ne s'est pas défait. Sa vie est ainsi, imprimée dans un schéma bien ordonné qu'il se refuse à quitter. Ils sont sa famille, l'immensité dans laquelle sa place est préservée, assurée. Il a la sensation de faire partie de quelque-chose et il ne tournera pas le dos à cette destinée qui lui fut donnée, pour rien au monde. Que Dieu pardonne à cet homme qui n'aspire qu'à exister, qu'importe le moyen, le pourquoi. Qu'importe les actes, les erreurs. Qu'importe qui soit tué, du moment que lui peut avancer.