Cian | Heavy Rain

Cian, le "Lointain" qu’ils disaient.

Comme une farce cruelle, comme une prophétie implacable, comme un Destin qui te revient toujours en plein dans la gueule, ton prénom te hantait, il te provoquait et toujours, il gagnait.

Lointain pourtant tu ne l’avais pas toujours été.  

C’est dans les quartiers pourris de Detroit que tu as vu le jour, ton père aux abonnés absents, ta mère vendant son corps au plus offrant. Ton enfance ce fût tout d’abord la Peur, celle qui dévore, celle qui tord le bide. Ensuite, ce fût la Violence qui vint te cueillir, la Violence des mots qu’un gosse ne devrait pas entendre, la Violence des poings assenés sur ta génitrice lorsqu’elle n’était pas suffisamment coopérative mais aussi et surtout la Violence du vice, celle qui pue, celle qui suinte, celle qui marque à vie.

Ta mère, plutôt victime de la vie que marâtre cruelle, fît ce qu’elle pût pour t’élever, pour préserver une innocence déjà entachée par la noirceur de Detroit. Puis, une sœur, plus jeune, compagne d’infortune vint à joindre cette triste comédie. La petite, bringuebalée par un oncle qui aurait donné plus de soin à un pack de bières vint à partager ton lit, recueillie par ta mère elle devint ta sœur par la force des choses.

Keira qu’elle s’appelait, elle était le Feu, tu étais la Glace, vous vous complétiez comme aucun autre duo du quartier. Elle qui t’entraînait dans ses conneries, dans sa rébellion inutile contre une providence qui ne l’écouterait pas. Keira te fit découvrir les limites, comment les dépasser et quel champ des possibles s’ouvrait à toi quand tu sortais de ton carcan du gentil petit garçon obéissant.

Les années passèrent et votre duo devint trio, Lorcan entra en scène et chamboula tout sur son passage. Chaos personnifié, tu le considérais tantôt comme un frère, tantôt comme un parasite se mettant entre toi et ta sœur.

Parasite, c’est le bon mot pour décrire Lorcan pendant ces années fatidiques qu’on appelle l’adolescence. Ce petit con n’avait que peu de choses à faire pour entretenir le Feu intérieur de Keira, et tu te retrouvais souvent à jouer le parent responsable qui devait éteindre des incendies quotidiens, quitte à prendre pour les autres et à t’oublier toi-même.

Les baffes, les invectives, tu t’en foutais éperdument, tu savais que tu appartenais à un trio qui commençait à se faire une petite réputation, pour la première fois de ta vie tu faisais partie d’une clique, d’un groupe de gosses paumés qui se débattaient tant bien que mal dans la misère, et ça te suffisait.

Seulement voilà,  

Lointain tu le devins quand des conneries d’adolescents un peu trop fougueux se transformèrent en homicide involontaire, au centre de ce putain de ring que tu pourrais dessiner de mémoire. Le Chaos n’avait eu de cesse de convoiter le Feu pendant toutes ces années, et quiconque se dressait entre eux deux était voué à disparaître, aussi bien les figurants que toi, la Glace qui s’était déjà bien consumée.  

Le choc, l’incompréhension et, pour la première fois, l’horrible sensation qu’un retour arrière était impossible vinrent te fendre de part en part, tu tombais à genoux, en réalisant que cette fois-ci le Destin avait gagné la partie.

Lointain tu le devins quand le Feu et le Chaos te quittèrent l’un après l’autre en te laissant seul face aux démons de Detroit. Être pitoyable qui avait tout donné à votre trio infernal ton incompréhension se transforma en rage aveugle lorsque Keira vint à trahir la volée.

Avec Lorcan en cabane tu ne savais plus où te réfugier, ton seul semblant de stabilité avait foutu le camp en emportant tout ce que tu avais construit jusqu’ici. Ta famille, ton sang, ta clique, tu avais tout perdu, seul et meurtri la bouteille vint à remplacer l’affection des tiens, vite détrônée par des substances plus destructrices lorsque la douleur était trop insupportable.

La seule chose qui te restait maintenant c’était la volée, petit corbeau devenu grand tu décidais de te livrer corps et âme à la Cause, à cette famille dysfonctionnelle qui ne t’abandonnerait pas. Tu décidais de te recouvrir le dos d’un tatouage typique des Black Crows, un oiseau d’ébène prenant son envol. Pendant les séances de dessin sur ta chair tu demandais au tatoueur d’enfoncer son aiguille le plus profondément possible, comme une sentence que tu t’infligeais à toi-même, tu ne voulais pas d'échappatoire.

Ton existence dédiée à la Cause tu apprenais le maniement des armes et leur commerce, tu devenais trafiquant et gravissais les échelons avec l’aisance de celui qui n'a plus rien à perdre. Les flingues n’étaient pas que de la marchandise à tes yeux, si bien que tu te mettais en tête d’apprendre à tirer, toi qui jadis détestais le simple fait de tenir cet instrument de mort au creux de ta paume.

Lointain tu le devins quand, pour chaque mission couronnée de succès, tu t’abandonnais toujours plus aux nombreux vices du quartier. Entre deux conquêtes tu t’injectais toujours plus de liquides de mort dans les veines, tout pour te flinguer la tête, pour te griller les neurones, pourvu que tu ne ressentes plus ce vide intérieur qui te consumait jour après jour.

Trop enragé pour aller visiter le Chaos en prison tu décidais de déverser ta haine sur une des seules photos que tu avais de Keira et toi. Chaque soir, tu criblais de balles un de tes mannequins d’entrainement porteur du cliché en vociférant des insultes incompréhensibles déformées par l’alcool et la drogue. Tu voulais tuer encore et encore ce Feu qui avait tout emporté sur son passage, te laissant corbeau esseulé.

Cinq années passèrent, cinq années de débauche durant lesquelles tu changeais profondément, lorsque Lorcan se présentait à toi après sa sortie de prison ta rage envers lui n’existait plus. Tu accueillais de nouveau le Chaos dans ta vie, cette fois-ci non plus en tant que parasite mais en tant que frère. Tu agrippais sans prévenir sa nuque pour coller ton front contre le sien, les yeux rougis par la rage et l’alcool tu le suppliais en silence de ne plus t’abandonner.

Le trio d’autrefois devint un duo infernal, avec Lorcan au volant et toi à la visée vous étiez les enfants prodiges du quartier, vous enchaîniez les missions avec une efficacité presque effrayante. Tout allait pour le mieux de nouveau, du moins en apparence.

Tu te gardais bien de lui raconter ces rêves lubriques dans lesquels tu t’offrais au Chaos, dans lesquels il prenait possession de toi, de tes formes masculines avec la frénésie du taulard qui goûte de nouveau à la liberté. C’est en sueur que tu te réveillais honteux, confus et nauséeux avant de succomber de nouveau à un sommeil agité.

Ta honte tu la transformais en foi, si tu devenais un régulier de l’église du dimanche tu te mis également à prier quotidiennement pour ta repentance. Lorsque les démons de ce nouveau vice contre nature vinrent à te harceler tu faisais couler ton propre sang en guise de punition.

Lorcan te fit rencontrer quelques filles en croyant déceler chez toi un trop plein de stress dû aux affaires, c’est totalement défoncé que tu manquais de tuer ta conquête du jour en entourant son cou de tes mains cruelles durant l’acte. Tu te protégeais derrière le voile de la misogynie pour justifier ton manque d’attention, Lorcan fit mine de comprendre pour te rassurer, sans pour autant croire à ton alibi plus que bancal.

Comme toujours, le Feu décidait de revenir au pire moment, c’est la bouche en cœur que Keira se pointa un beau matin dans le quartier des corbeaux, sa première destination fut ton logement où tu lui servis un accueil plus que glacial. Plus de haine, juste de l’indifférence, cette sœur pour qui tu aurais jadis donné ta vie n’avait désormais plus sa place dans la tienne.

Un élément perturbateur ne venant jamais seul le retour du Feu s’accompagna d’une des pires représailles contre ton clan que Detroit ait connu. Les Italiens avaient tout détruit, le quartier, les familles et les esprits. Toi, tu décidais de diriger ta rage vers la famille Gorgo Nostra, une rage qui ne ressemblait ni à celle du Feu ni à celle du Chaos, une rage beaucoup plus vicieuse, plus insidieuse. Tu décidais de te donner corps et âme à la vengeance que ta volée semblait vouloir mettre sur pied.  

Quand le fils du Consigliere rendit son dernier souffle tu ne ressentis rien, cela ne suffisait pas. Toi qui avais reconstruit une nouvelle famille, un nouveau nid sur les cendres de ton enfance tu ne pouvais pas accepter ce nouvel affront du Destin. Tu décidais de faire cavalier seul pour étudier leurs us et coutumes, leurs traditions et leur hiérarchie, la Glace allait faire payer la famille Gorgo Nostra et aucun prix à payer n’était trop lourd pour toi.

"Lointain" tu l’étais totalement désormais.