Clarence Duncan & Salvatore Valente

La colere aux tempes, la colere qui pulse, resonne pour silencier la raison. La peur en blason, en fioul pour alimenter cette rage qui s’est si bien animée. Loin de s’etre apaisée à l’approche de ce point de rendez-vous qu’elle a énoncé. Loin de s’apaiser puisqu’il sait les enjeux, puisqu’il connait les risques et que l’esprit affolé n’est encore parvenu à envisager la manière de les limiter.

Et il lorgne, Clarence, observe-les marches depuis ce bout de rue où il s’est arrêté. Mal garé et pourtant si bien placé. Les phalanges d’une main jouant nerveusement sur l’écran du téléphone, les autres affairées à griffer, déranger cette barbe qu’il regrette presque d’avoir laissé repousser. Il cogite, le colosse inquiet, cherche encore cette approche-là plus appropriée, la solution parfaite qu’il sait ne pas pouvoir trouver.

« Fuck ! »

Puis il ose, Clarence, puisqu’il ne peut pas attendre que celui là ne retourne la trouver. Il ose ce numéro vers un accueil dont les hôtesses ne sont probablement au courant de rien.  Il ose puisqu’il manque d’informations et qu’il ne peut que tenter, espérer. L’inconnu qu’il cherche n’a, qui sait, sans doute rien à voir avec ce Casino. Sans doute. Peut-être. Qui sait. Mais il tient à s’en assurer avant d’avoir à éliminer cette éventualité. « Good evening miss’. » Pour la femme au bout du fil quand la tonalité laisse place à une voix trop charmante. Les dents un instant serrées mais le sourire qu’il force pour etre entendu, pour feindre cette politesse qu’il s’efforce de lui retourner. « I’m.. Leaf Haynes manager. Someone from yar place tried to reach her this evening and she asked me to call ya back. She couldn’t remember the name though. Yeah I know, but that’s why she pay me for right ? Forcé tout autant, ce ricanement. Could ya please be so kind and try to find it out for me ? Really ? Great, ya’re an angel. Yeah.. Yeah I’m waiting. » Nerveux, notre homme, agacé au plus haut point pour ces quelques parades qu’il se doit d’employer, ce masque encore quand il s’était juré de ne plus avoir à s’en imposer.

Patience à faire valoir. Patience dont il use puisque l'attention est ailleurs, l'intérêt donné à tout ce qu'ils ont à orchestrer. Les rêves qui s'abreuvent de quelques images savamment choyer. Les flammes qui s'élèveront, ces cris qu'ils pourront faire résonner. Au-delà d'un règne de sang, un règne de terreur. Là, la courbe qui s'appose sur les lippes usées. La veste est déposée, le bureau retrouvé. L'esprit vagabonde un instant sur cette idiote qu'il vient d'approcher - petite chose qui pourrait cacher bien des informations qu'il tient à s'approprier. Elle était proche de ceux qu'ils ont à déjouer, ces autres qu'ils rendront aux enfers quand le moment leur sera donné. Pour plus tard, pour quand l'heure aura à sonner. Non, l'attention est ailleurs, l'intérêt donné à cette vengeance première qu'ils ont à faire gronder.

Le voilà qui soupire, l'homme. Carcasse qui s'affole dans son fauteuil, qui rend à Sergio sa liberté pour cette fin de journée. Il va devoir faire taire les murmures qui se sont emmêlés. Il va devoir faire taire tous ces chuchotements pour essayer de se concentrer. Les dossiers qui patientent, ces fiches à signer. Et pourtant, la prunelle unique ne s'attarde finalement que sur cette baie vitrée. Il a abandonné le masque, Valente. Il a délaissé cette veste ridicule qu'il se doit de tenir depuis que les ombres ont été quittées. Patient, absent - jusqu'à ce que cette sonnerie n'ait à résonner. Voix masculine qui résonne, qui énonce ce qui lui a été reporté. Pauvre réceptionniste qui cherche un nom, une identité pour... l'idiote qu'il vient probablement d'effrayer. Curieux, Salvatore. Curieux qui parvient à pleinement s'y intéresser. Il a tiqué sous ces informations confiées, un manager qu'il n'a pas réellement anticipé qui appelle à la place de la gamine qu'il venait de quitter. Les épaules qu'il a redressé, l'air mauvais sur les traits qu'il essaie d'apaiser - l'ordre d'être mis en relation avec celui-là ; et le masque est récupéré. Là, il attend que les tonalités cessent, il attend ce silence pour enfin se manifester. « I don't... I don't know if they can hear me. Allo ? Allo ? You sure it works ? » Pathétisme osé, pathétisme à faire valoir en attendant que les liens puissent enfin être tirés.

Trop de miel, trop de flatteries qui font monter  cette nouvelle nausée. Et ce sourire  défait, quitté si tôt la voix de l'hôtesse remplacée par la tonalité d'attente. Il guette, Clarence, lorgne encore cette devanture comme s'il pouvait voir à travers la brique, deviner d'avance ce à quoi il vient se confronter. Il guette, les traits tirés, le regard sévère et inquiet avant de baisser les yeux vers le sac qu'il a gardé à ses cotés. Suicide. inutile prise de risque qu'il tient à éviter s'il le peut encore.

Puis la voix, pour le tirer de sa torpeur, pour chasser un instant ces quelques idées absurdes qui flirtaient trop près de la raison. La voix qui surprend, qui  pousse le colosse à éloigne l'écran de son oreille pour le fixer un temps avant d'y revenir. «What the fu...» Un murmure, un souffle avant que la colere ne pousse l'instinct à gueuler. « OH I CAN HEAR YA YA FUCKED UP ASSHOLE ! ARE YA THE ONE HARASSING MA GIRL ? » Sans savoir, Clarence, sans s'être assuré d'avoir le bon interlocuteur. Sans reflechir puisqu'il n'écoute deja plus que ce reflexe, ce besoin vital de s'assurer que ces deux âmes  qui lui sont liées restent en sécurité.  « YA WERE ABLE TO TRACK HER DOWN AND THREAT HER SO DON'T TRY TO BULSHIT ME LIKE IF YA WERE SOME FUCKING INOCENT GRANPA YA PATHETIC OLD CUNT ! SHE KNOWS SHIT ! BOUT THE DEVILS, BOUT THE CROWS...  YA STAY AWAY FROM HER DO YA HEAR ME ?»

Faux semblants qu'il essaie de faire tenir, mais l'appréhension en vient - elle dépose enfin les effluves sur cette étrange journée, sur cette brillante avancée. Avide, Salvatore. Avide de tout ce qu'il pourrait avoir à s'approprier. Il y a ce rictus qui s'ancre sur les lippes usées, cette courbe imparable quand la voix s'élève, quand le timbre se met à gronder. Il y a ces quelques syllabes qui marquent, qui intriguent. Il y a ce besoin qui s'est mis à trembler. Là, il y a ce tout qui en vient à trop le tenter.

Il s'est redressé, l'ancien. Cette grandeur retrouvée, cette prestance qu'il ne tient pas à davantage accabler. Il s'en remet aux ombres, au silence qui peut désormais avoir à régner. Il s'en remet à cette mystérieuse voix qui tient tant à se faire entendre. Alors qu'il parle, celui-là. Qu'il parle et qu'il soit intéressant pour que l'attention ne puisse se détourner de celle qu'il tient tant à protéger. « Alright then. Your girl ? Is that so... To whom have I the honor ? »