NIGHTMARE | leaf

Irlande, Glenderry ; mars 2018.
neighbourhoods lies, like this fucking devil. Le monde se renverse, la gravité se déverse. Les pieds semblent planer, le cœur s'est retourné. Elle a ses yeux bleus d'ancrer dans ceux de son père – l'est-il seulement réellement ? Elle le voit, les lèvres bougent, essaient à communiquer ; Leaf n'entend plus. Quelque-chose en elle s'ancre, s'imprime en capital sans qu'elle ne puisse y parer. Un nom, quelques syllabes. Un nom inconnu, qu'elle croit pourtant avoir découvert il y a des années. Il est ce frère qu'elle n'a pas, envolé. Il est celui qui manque à l'appel, aux photos partout accrochées. Il manque. Il manque à la vie, à la stabilité. Elle y croit, idiote, elle y croit et en ressent un vide nouveau – comme si elle savait. Elle ment, Leaf. Elle ment, l'idée d'une âme jumelle n'a pas effleuré son esprit, pas une seule fois. Mais ça donne un nouveau sens, une volonté de découvrir, de savoir. Elle n'aime pas manquer les choses, elle n'aime pas être prise de court ; et c'est ce qu'ils lui font subir. Eux deux. Parents. Parents oui, menteurs non – elle se le dit une fois encore. Pour elle ils le sont, mais c'est faux ; ils ne font que répondre à une question. Une question bête, dénouée en premier lieu d'intérêt ; qu'est-ce qu'ils faisaient, avant ? Pourquoi n'est-il pas venu vivre avec eux directement ? Elle se souvient de sa mère, seule. Elle se souvient de cette perdition dans son regard, de cette tristesse incontrôlable. Elle s'en souvient, de cette douleur éteinte. Il n'était pas là, aux petits soins d'autres avant elle. D'autres. Lui, un parmi les autres. Au diable les deux restés, celui qui l'intéresse s'est envolé. Un soupire finalement, la lucidité qui revient. Leaf quitte les songes, les limbes de ce monde dévasté dans lequel un nouveau cliché s'est accroché. Elle garde la photographie tendue entre ses doigts encore couverts de peinture. Elle garde l'image, imprime les prunelles dans les siennes pour s'en souvenir, ne pas oublier – car ça lui ait reprit, son père tient à la garder. Qu'il fasse, elle en a vu assez. Les jambes se déplient, redonnent de la hauteur à la jeune femme qui, finalement, quitte la pièce et la maison. Elle marche, brave la longue route de côte jusqu'à cette baraque abandonnée. Pas de grand espace pour elle, elle n'y est pas à l'aise. Non, elle s'enferme dans les ruines de cette maison délaissée, s'en remet à son téléphone, fouille avec intérêt. Il est quelque-part, forcément. Il ne peut pas être silencieux, pas totalement. Une heure. Deux heures. L'aiguille tourne, continue son infernale petite course. La cuisse tremble, trahie l'agacement à être immobile, le besoin de bouger – la volonté qui cette fois manque à l'appel de la névrosée. Non, elle a l'attention bien canaliser, sur son téléphone bien aspirée. Et, au bout de quatre heures, elle le trouve. Elle l'a trouvé. Il est là, sous ses yeux – inerte mais à la fois en vie. Peut-être pourrait-elle le toucher ? Le connaître ? Le rencontrer ? Peut-être pourrait-il l'aimer quand les autres se sont fatigués à essayer ? Elle se le dit, veut y croire. Elle se met au défi de le pouvoir. Il a les ailes qu'elle n'a pas encore su avoir. Il a les ailes de ceux qui vivent, à l'inverse de ce qu'elle est ici, petite abeille tenace qui essaie à survivre.

États-Unis, Detroit ; octobre 2019.
over the hills and far far away. Les notes fraîches de l'automne bravent les portes de l'aéroport et elle détaille les alentours, toutes les allées qui s'offrent aux rétines, toutes ces parcelles de bitume qu'elle ne connaît pas. Leaf soupire, inspire puis expire. Elle a ce réflexe, essaie à s'imprégner des alentours mais, d'une caresse de main sur son épaule, il l'a ramène à la réalité. Elle est là grâce à lui, elle est là parce qu'il a bonne mine, soigne son apparence, parce qu'il contraste avec elle, pourrait la rendre banale. La jeune femme sait que, dans la tête de ceux qu'elle a laissé, subsistent ces idées. Si elle part à ses côtés, elle en reviendra changée. Elle ne reviendra pas, les attaches ne se sont pas faites – pour eux, elle n'est qu'une tornade qui n'a jamais su s'épuiser, fardeau constant qu'ils avaient pour devoir d’éduquer. Plus maintenant. Les ailes déployées, intactes, aussi grandes qu'elle les imaginait. Sur son dos, quelques affaires, ses pinceaux, ses couleurs, sont nécessaires. Un maigre sourire, quelque-chose de bref tandis qu'elle s'avance, franchit enfin ce nouveau chapitre. Elle n'a pas hésité quand il a dit qu'il partait. Leaf n'a pas réfléchit, non, jamais. Elle a seulement fait son sac, prit la responsabilité de venir se poster à ses côtés, son billet d'avion tout juste acheté. Detroit. Là-bas. Loin de l'Irlande, loin des mensonges et de l'oppression. Detroit, là où s'est perdu cet autre elle, cet autre sans lois. Elle a tout suivi de sa vie, elle s'est concentrée là-dessus avec la ferme volonté de lui mettre la main dessus. Par principe, par curiosité. Elle veut le connaître plus qu'elle n'avait envie de le suivre lui. Jonathan, à ses côtés. Petit copain depuis deux ans, atterrit en Irlande pour des études terminées, désormais de retour au pays vers ses parents, ceux chez qui elle s'en va habiter. Elle suit le mouvement, découvre en silence – pour une fois. Rares sont ces moments où elle se tait, émerveillée par ce qu'elle ignore, par ce qu'elle découvre là. Les paysages défavorisés sont ses préférés, trahissant le passé, la douleur, la chute trop profonde pour pouvoir en remonter – elle se voit au-travers de ces énormes baraques difformes et ignorées. Elle ne veut pas l'être, alors elle se casse, Leaf. Elle se casse, fissurée en un tas de parcelles différentes pour attirer, plaire. Mille et une vies en une seule – comme des échos. Elle est la fille impossible dans Doctor Who, celle qui vit au-travers des âges, qui se calque sur ce qui est nécessaire pour être remarquée. Voilà son but, vivre intensément, quitte à devoir voir trop haut, trop loin ; bien au-dessus d'elle. Leaf se perd sur l'extérieur, alors. Elle s'y concentre, voit toute cette nouvelle ville comme une nouvelle toile. Elle doit créer son œuvre, elle doit y apporter ces touches réclamées. Babylon, la liberté – qui sait quoi d'autre. Les jeux sont lancés.